Alerte sur la mafia des passeports

Consulat de Milan, Bureau des affaires consulaires, probité des agents, des acteurs tirent la sonnette sur les dangers d'un business nauséeux.
Une mafia. C'est le terme utilisé par le député Babacar Ndiaye (membre du parti au pouvoir et président de la Commission énergie et ressources minérales) pour désigner ce qui se passe au consulat du Sénégal à Milan, en Italie. Une mafia qu'il dit avoir constatée lui-même, sur place, il y a quelques jours, alors qu'il était en déplacement dans ce pays.
“Il y a quelques jours, j'étais en Italie. En tant que député, je suis allé au niveau du consulat pour une visite de courtoisie et pour m'enquérir des conditions de travail. J'ai été choqué par ce que j'ai vu à la devanture du consulat. Aussi, il y a une vraie mafia dans ce consulat autour des passeports”, rapporte le député lors du dernier passage de la ministre des Affaires étrangères à l'Assemblée nationale.
Comment se manifestent ces deals autour du passeport sénégalais en Italie ? À en croire le député, il y a des étrangers qui peuvent se payer le passeport sénégalais moyennant un million de francs CFA. Babacar Ndiaye affirme : “Vous pouvez voir un Gambien se faire écraser son passeport et se faire confectionner un nouveau passeport sénégalais, moyennant un million de francs CFA. Dans ce même consulat, il y a des Sénégalais qui éprouvent d'énormes difficultés à avoir des papiers. On les pousse quelquefois à payer pour avoir leur passeport rapidement.”
Le député de Takku Wallu, Barane Fofana, a saisi la balle au bond pour réclamer des actions concrètes pour mettre un terme à cette accusation qu'il juge “trop grave”. Si c'est fondé, fulmine le député de la diaspora, c'est très grave. “L'État doit identifier les coupables et les sanctionner. Quand Aissata Tall Sall était à la tête de ce département, elle avait rencontré ce genre de cas dans les consulats et elle avait pris des mesures. Elle les avait sanctionnés. Malheureusement, des gens ont voulu instrumentaliser ces mesures en parlant de sanctions politiques. L'histoire fait d'ailleurs bien les choses, puisque la même personne qu'elle avait sanctionnée pour son comportement a été sanctionnée par le président Diomaye. Et je n'ai pas entendu quelqu'un parler de sanctions politiques”.
Réagissant aux interpellations, la ministre des Affaires étrangères n'a pas nié ces pratiques. “Même ici, au Bureau des affaires consulaires à Dakar, on nous a signalé des cas de corruption, notamment sur les rendez-vous. Alors que normalement les usagers doivent avoir un rendez-vous au plus tard en trois jours, des gens essaient de les retarder pour les pousser à payer et avoir des rendez-vous rapidement. Nous sommes en train de mener une enquête pour identifier les coupables de ces actes et des sanctions seront prises”, a reconnu la ministre.
Pour lutter contre ces pratiques, Yacine Fall invite les citoyens à être des lanceurs d'alerte, mais surtout à collecter des preuves. “Si vous voyez de telles pratiques, il ne faut pas se limiter à aller dans les réseaux sociaux et de critiquer la ministre. Il faut essayer d'avoir des preuves, des photos ou vidéos, avec des témoignages détaillés. Cela nous facilite le travail, c'est-à-dire prendre les sanctions que cela requiert”, souligne-t-elle.
Yacine Fall annonce une enquête et demande aux lanceurs d'alerte de collecter des preuves
Pendant que les députés s'insurgeaient contre la corruption autour des passeports, le Premier ministre donnait, lui, des instructions fermes à l'administrateur du Fonds d'appui à l'investissement des Sénégalais de l'extérieur (Faise), pour qu'il intègre une personne citée dans une affaire de trafic de passeports de service, alors qu'elle était à l'Agence sénégalaise pour la promotion des exportations (Asepex). Des faits qui remontent à 2022 et qui étaient ébruités dans la presse. Cette dernière avait, à l'époque, été citée dans un dossier et entendue à la Division des investigations criminelles (Dic).
Aujourd’hui, la même personne, nommée Khardiatou Tandia, est affectée au Fonds d’appui à l’investissement des Sénégalais de l’extérieur (Faise). Mais la direction ne semblait pas vouloir la recevoir, poussant ainsi le Premier ministre Ousmane Sonko à leur envoyer une note confidentielle qu'’’EnQuête’’ révélait dans son édition d'hier.
Dans ladite lettre, le Premier ministre s'est voulu clair. ‘’En votre qualité d’administrateur, vous êtes prié de convoquer Madame Khardiatou Tandia pour son intégration au Faise dès réception de cette lettre. Il faut savoir que Mme Tandia est notre plus proche collaboratrice dans le projet et en qui nous avons une totale confiance’’, lit-on dans la note.
Ousmane Sonko ne s'en limite pas. Il a tenu à défendre la bonne dame qu'il a présentée comme victime de son soutien à Pastef. “Nous travaillons avec elle depuis des années en toute discrétion pour l’atteinte de leurs objectifs, ce qui lui a valu une injustice notoire. Une cadre émérite dotée d’éthique et de déontologie, qui fait partie des cadres de l’Administration qui nous ont soutenus depuis le début. Vous êtes donc tenu de l’intégrer avec effet immédiat et avec tous les privilèges afférents à son rang cette semaine en tant que votre conseillère spéciale et directrice de l’Appui à l’investissement et aux projets. Elle se chargera de vous conseiller sur tous les plans, de coordonner toutes les activités de la structure. Elle vous sera d’un grand appui, parce qu’elle maîtrise le secteur et les partenaires techniques et financiers’’, appuie Sonko qui donne presque un ultimatum à l'administrateur Khouraichi Thiam.
À en croire la lettre, Mme Tandia aurait même eu à décliner le poste d'administrateur de ces structures et était pressentie pour le poste de ministre des Affaires étrangères. “Elle a décliné le poste de ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l'extérieur pour des raisons personnelles et le poste d’administrateur du Faise à votre profit’’, révèle le Premier ministre dans sa lettre. ‘’Au vu et au su de son expertise dans plusieurs secteurs, il est primordial de l’impliquer dans toutes les décisions et qu’elle vous accompagne dans tous vos déplacements nationaux comme internationaux pour glaner des partenaires potentiels. Grâce à ses compétences et son expertise avérée, l’État du Sénégal a pu capter un financement de 130 milliards qui seront injectés dans le secteur des exportations et assurer une participation exemplaire du Sénégal à l’Expo Osaka 2025’’, a-t-il justifié, avant de sommer l'administrateur de travailler avec sa protégée “en toute transparence et en parfaite confiance et collaboration, afin de relever les défis et de statuer sur la situation des Sénégalais de l’extérieur (...)’’.
La question, c'est pourquoi celle qui aurait renoncé non seulement à un poste de ministre des Affaires étrangères et d'administrateur de cette institution stratégique va finalement se contenter d'un simple poste de conseillère d'un administrateur ? Un dossier à suivre.
Il faut noter que ce n'est pas la première fois que le nouveau régime nomme à des postes de responsabilités des gens cités dans des dossiers louches de trafic de passeports ou de visas.