Publié le 25 Mar 2020 - 23:11
CORONAVIRUS - DÉCÈS EMMANUEL N’DJOKE DIBANGO

Le monde pleure un géant de la musique africaine

 

Emmanuel N’Djoké Dibango est mort ce mardi, à l’âge de 86 ans, après avoir été contaminé du coronavirus. Plusieurs personnalités mondiales ont salué l’œuvre du saxophoniste camerounais qui a brisé les frontières de la musique.

 

Le chanteur et saxophoniste camerounais Emmanuel N’Djoké Dibango dit ‘’Manu Dibango’’ a rendu l’âme, hier, des suites de la Covid-19. Le "Papy Groove" est la première personnalité mondiale à succomber à cette maladie qui sévit dans le monde. Il avait 86 ans. À cause des règles du confinement, les obsèques auront lieu dans la stricte intimité familiale et un hommage lui sera rendu ultérieurement, dès que possible, d’après ses proches qui l’ont annoncé ce mardi.

Sa contamination à la Covid-19 avait été annoncée le 18 mars dernier. Sa disparition a surpris plus d’un, puisque l’on croyait qu’il allait se tirait d’affaire. Elle plonge le monde de la musique dans une grande tristesse. Des artistes de renom, ainsi que des personnalités politiques ont rendu hommage à cet homme qui a mixé, à travers les notes graves de son saxophone, sonorités traditionnelles, classiques ou jazzy.

La star sénégalaise Youssou Ndour parle d’un ‘’douloureux coup du sort’’, d’une ‘’immense perte’’. Sur sa page Facebook, il a écrit : ‘’Je suis à la fois triste et décontenancé. Je n’ai pas les mots pour traduire toute ma tristesse. Manu, tu as été un grand frère, une fierté pour le Cameroun et pour l’Afrique tout entière. Je présente mes condoléances sincères et attristées à sa famille, au monde de la musique et à l’Afrique entière. Adieu, le Roi du Makossa, Génie du saxo.’’  L’homme était considéré comme étant un excellent ambassadeur de la culture de son pays, tout en demeurant une passerelle culturelle entre Afrique et le monde.

‘’Sans doute, Manu, comme il aimait se faire appeler, était le doyen estimé et respecté des musiciens africains. C’est, en effet, grâce au succès retentissant de son tube’Soul Makossa’qu’il conduisit le monde et entra dans la légende’’, témoigne le président de la République camerounaise. Paul Biya a présenté hier ses condoléances à la famille d’Emmanuel N’Djoké Dibango. ‘’Avec sa disparition, poursuit-il, le Cameroun et l’Afrique perdent un musicien très apprécié et reconnu, et la Francophonie l’un de ses meilleurs défenseurs’’.

Avec une émouvante vidéo personnelle à l’appui, la chanteuse béninoise Angélique Kidjo a également exprimé son admiration et sa tristesse sur Twitter : "Cher Manu Dibango, tu as toujours été là pour moi, depuis mes débuts à Paris, jusqu’à ces répétitions, il y a deux mois. Tu es le géant de la musique africaine et un être humain magnifique."

Parcours

Emmanuel N’Djoké Dibango est né le 12 décembre 1933 à Douala, au Cameroun. Il a grandi au sein d’une famille protestante très stricte. C’est dans la chorale du temple, dont sa mère est occasionnellement professeur, qu’il est initié au chant, tandis que le gramophone parental lui fait découvrir surtout la musique française, américaine et cubaine. Les marins de ces pays débarquant dans le port de Douala avec leurs disques. "Mon oncle paternel jouait de l’harmonium, ma mère dirigeait la chorale. Je suis un enfant élevé dans les Alléluia. Ça n’empêche que je suis africain, camerounais et tout ça", disait-il.

Au printemps 1949, Manu Dibango rejoint Marseille, puis Saint-Calais dans la Sarthe. Étudiant à Chartres, puis à Château-Thierry au début des années 1950, il y découvre le jazz, joue de la mandoline et y apprend le piano. Dibango découvre le saxophone lors d’un séjour dans un centre de colonie réservé aux enfants camerounais résidents en France, à Saint-Hilaire-du-Harcouët.

À Brixel, il fait la connaissance d’une artiste peintre et mannequin (Marie-Josée dite ‘’Coco’’ qu’il épouse en 1957), à Anvers et à Charleroi, où son jazz s’africanise au contact du milieu congolais dans l’ambiance de l’accession du Congo belge à l’indépendance en 1960. En 1992, sur la demande d’Yves Bigot (Fnac Music) Manu Dibango enregistre ‘’Wakafrika’’, un album de reprises des plus grands tubes africains avec la crème des artistes africains et des musiciens internationaux. Projet ambitieux de réunification musicale de l’Afrique, Manu revisite le patrimoine de la chanson en invitant les ténors Youssou Ndour sur ‘’Soul Makossa’’, King Sunny Adé sur ‘’Hi-Life’’, Salif Keïta sur ‘’Emma’’, Angélique Kidjo et Papa Wemba sur ‘’Ami Oh !’’, sans oublier Peter Gabriel, Sinead O’Connor, Dominic Miller (guitariste de Sting) et Manu Katché (entre autres). Le single ‘’Biko’’ (avec Alex Brown, Peter Gabriel, Ladysmith Black Mambazo, Geoffrey Oryema et Sinead O’Connor) sera remixé à Atlanta par Brendan O’Brien.

Séduit par le talent de Manu Dibango, Michael Jackson avait repris l’une de ses belles chansons, ‘’Soul Makossa’’, inspirée d’un rythme du mouvement éponyme. Le Roi de la pop, qui l’avait utilisée dans son électrisant ‘’Wanna Be Startin’Somethin’’ sans son autorisation, dans son album ‘’Thriller’’ (1982), se verra attaqué en justice pour plagiat, en février 2009. Plusieurs procès et un accord financier suivront. Plus tard, ce sera au tour de Rihanna. Manu Dibango lance en 2009 une autre procédure judiciaire contre la chanteuse américaine pour le tube ‘’Don’t stop the music’’ (2007) qui samplait ‘’Wanna Be Startin' Somethin'’’, et par conséquent, ‘’Soul Makossa’’… Mais le musicien sera débouté par la justice au motif qu’il a déjà renoncé à ses droits sur la chanson de Michel Jackson. Ces faits révèlent une fois de plus la consécration mondiale d’un artiste aux multiples facettes.

Manu Dibango a été nommé Grand Témoin de la Francophonie aux Jeux olympiques et paralympiques de Rio-2016, le 8 septembre 2015, par la secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie, Michaëlle Jean.

BABACAR SY SEYE

 

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