Publié le 5 Aug 2024 - 14:34
DÉBAT SUR LE PORT DU VOILE

À l’épreuve d’une redéfinition des contours de la laïcité

 

Le Sénégal, souvent cité comme un modèle de cohabitation pacifique entre religions, est à nouveau secoué par une polémique sur la laïcité et l’interdiction du voile dans certains établissements scolaires. Cette controverse, ravivée par les propos du Premier ministre Ousmane Sonko, a suscité une vague de réactions diverses, faisant ressurgir un débat qui n'est pas nouveau dans l’espace public sénégalais.

 

Lors d’une rencontre avec les lauréats du Concours général 2024 tenue au Grand Théâtre national Doudou Ndiaye Coumba Rose de Dakar, Sonko a pris fermement position contre les écoles qui imposent des restrictions sur le port du voile pour les filles. Ses paroles ont résonné avec force, rappelant l'incident de 2019, lorsque l’institution Sainte Jeanne d’Arc de Dakar avait exigé que les élèves aient "une tête découverte", provoquant le renvoi d'une vingtaine de jeunes filles voilées.

‘’Certaines choses ne peuvent plus être tolérées dans ce pays’’, a déclaré Sonko. Avant d’ajouter : ‘’En Europe, ils nous parlent constamment de leur modèle de vie et de style, mais cela leur appartient. Au Sénégal, nous ne permettrons plus à certaines écoles d’interdire le port du voile.’’

Critiques subtiles et directes

Ces déclarations ont rapidement enflammé les réseaux sociaux, devenus un prolongement naturel des débats publics.

Cependant, c'est la réaction de l’abbé André Latyr Ndiaye qui a donné une dimension plus profonde à la polémique. Dans une lettre ouverte, l'ecclésiastique a critiqué Sonko, soulignant l’importance de la diplomatie et de la politesse dans la gestion des affaires publiques. Il a lancé une pique cinglante en affirmant que ‘’certaines langues, mains et pantalons sont disqualifiés pour mener les combats de Dieu’’.

Le Dr Pierre-Marie Niang, dans une autre lettre ouverte, a également pris position, critiquant subtilement Sonko sans le nommer directement. B. Barthélemy Ndiaye, quant à lui, a rappelé l’apport de l’Église catholique dans les luttes qui ont porté Sonko au pouvoir, soulignant l’importance de reconnaître le rôle des minorités religieuses dans la société sénégalaise.

Dans le même esprit, Philippe Malick Dione a rappelé au Premier ministre que "le Sénégal est un pays composé de personnes aux obédiences religieuses diverses. La foi, c'est la foi. Aucune ne prévaut sur une autre". Il a ajouté : "De la même manière que vous refusez que certaines écoles interdisent le port du voile, il faut aussi veiller à ce que d'autres établissements acceptent les filles non voilées, au nom du principe d'égalité des droits que vous avez souligné. Les règlements intérieurs des écoles sont conformes à la Constitution, notre charte fondamentale. Aucun parent n'est obligé d'inscrire son enfant dans un établissement, surtout s'il est privé."

Au regard de cette interpellation, beaucoup d’internautes ont fustigé le cas de Mariama Niass ou d'autres établissements qui imposent à ses pensionnaires le port du voile, une information qui n'est pas vraie.

Ce débat, loin de se limiter aux échanges de lettres, a déclenché une série de réactions parmi les partisans de Sonko. Des membres de son parti Pastef ont répondu aux critiques, notamment Falla Fleur, une proche collaboratrice, qui a défendu avec ardeur le droit au port du voile. Elle a dénoncé ce qu'elle considère comme une discrimination subjective, affirmant que tolérer les filles en mini-jupes tout en s’opposant aux voiles est une ‘’maladie de la foi’’. Elle a également insisté sur l’importance de l’inclusion et du respect des différences dans le système éducatif.

Dans le même ton, le commissaire de Pastef, dans une note parvenue aux médias, a aussi répondu à l'abbé Latyr en soulignant que dans de nombreux pays, comme le Canada, les écoles autorisent les signes religieux tant qu'ils ne perturbent pas le déroulement des cours et respectent les règles de l'établissement. Il a plaidé pour que les écoles privées catholiques au Sénégal soient des modèles d'ouverture et de tolérance, en acceptant la diversité religieuse. Il a aussi réagi à l'idée que le combat politique ne devrait pas être pour Dieu, mais pour des causes sociales comme la pauvreté et le chômage. 

Dans le cadre de la controverse, Moustapha Mamba Guirassy, ministre de l'Éducation nationale, est intervenu pour éclairer le contexte de cette déclaration. Il a expliqué que Sonko avait récemment mandaté une rencontre avec l'archevêque pour exprimer la reconnaissance du gouvernement envers les institutions catholiques, notamment pour leurs performances académiques et leur ouverture d'esprit qui attirent de nombreux élèves musulmans.

Selon le ministre, les propos du Premier ministre s'inscrivent dans une logique de respect des droits fondamentaux, affirmant que le gouvernement n'acceptera plus que des établissements, notamment français, imposent des restrictions au port du voile sur le sol sénégalais.

Guirassy a souligné que la polémique actuelle est alimentée par des intentions malveillantes, détournant l'attention du véritable enjeu : la primauté de la Constitution, qui garantit la liberté religieuse au-dessus des règlements intérieurs des écoles.

Retour sur une bataille récurrente au Sénégal

Pour rappel, ce débat sur le voile a déjà atteint son paroxysme en 2019, avec l’affaire de l’institution Sainte Jeanne d’Arc (ISJA). L'institution, suivant les directives de la congrégation des sœurs de Saint-Joseph de Cluny, avait décidé d'interdire le port du voile, suscitant une vive controverse. Après plusieurs jours de négociations, l’école a finalement réintégré les élèves voilées, mais sans modifier son règlement intérieur. L’administration de l’école avait justifié cette mesure par la nécessité d'une harmonisation des règlements internes des établissements sous sa tutelle.

L’incident de 2019 n’était pas le premier du genre. En 2011, une polémique similaire avait éclaté lorsque plusieurs établissements catholiques, dont le collège Hyacinthe Thiandoum de Dakar et d’autres à Thiès, avaient exclu des élèves pour port du voile. Face à cette situation, l’ancien ministre de l’Éducation Kalidou Diallo avait rappelé avec fermeté que les écoles privées au Sénégal ont l’obligation de respecter les croyances et coutumes des élèves, en vertu de la Constitution du pays. Il avait menacé de fermer tout établissement qui ne se conformerait pas à ces principes.

Certains ont révélé que cette controverse était en réalité une bataille de foi entre la congrégation des sœurs de Saint-Joseph de Cluny et les communautés chiites libanaises de Dakar. Cette situation avait poussé feu Mamadou Omar Ndiaye à mettre en garde contre les risques que cette communauté pourrait faire peser sur le fragile équilibre qui maintient la stabilité du Sénégal depuis près de 60 ans. Il avait averti que certains fanatiques cherchaient à semer la discorde.

Il est également frappant de constater que parmi les 27 familles impliquées dans ce débat, 24 sont libanaises, représentant une infime minorité. Trois familles sénégalaises se sont jointes à cette cause, bien que ce combat ne semble pas véritablement être le leur.

Aujourd’hui, le débat relancé par Sonko met en lumière les tensions latentes entre laïcité et religion dans un pays où les symboles religieux occupent une place importante dans la vie publique. La question du port du voile n’est pas seulement un enjeu religieux, mais aussi un symbole de l’identité et de la résistance culturelle face à des normes perçues comme étrangères.

Ce débat récurrent pose également la question de la capacité du Sénégal à maintenir son modèle de coexistence pacifique entre les différentes communautés religieuses. Le pays a, jusqu’à présent, réussi à éviter les conflits majeurs liés à la religion, mais des débats comme celui-ci montrent que le tissu social reste fragile.

Alors que les partisans et les opposants de Sonko continuent de s’affronter sur ce sujet, une chose est certaine : le débat sur l’interdiction du voile au Sénégal est loin d’être clos. Les enjeux sont multiples, touchant à la fois aux principes de laïcité, aux droits des femmes et à la cohabitation entre les différentes religions dans un pays en pleine mutation politique et sociale. Les prochains développements de cette affaire seront scrutés de près, car ils pourraient bien redéfinir les contours de la laïcité et de la liberté religieuse au Sénégal.

COMMENTAIRE

Être grand, c'est épouser une grande querelle

"Être grand, c'est épouser une grande querelle". Cette citation de William Shakespeare suggère que ceux qui aspirent à une stature élevée, qu'elle soit morale, intellectuelle ou politique, doivent être prêts à engager des débats ou des conflits d'envergure.

Dans ce contexte, elle s'applique bien à Ousmane Sonko, qui a délibérément remis sur la table un débat sensible et complexe sur la laïcité au Sénégal. En évoquant l'interdiction du voile dans certaines écoles privées catholiques, le Premier ministre s'attaque à un sujet qui touche à l'essence même du vivre-ensemble dans un pays où musulmans et chrétiens ont réussi à cohabiter pacifiquement, faisant de cette harmonie un modèle souvent cité.

En adoptant cette posture, il semble accepter le rôle de celui qui "épouse une grande querelle" en prenant position sur un enjeu qui dépasse la simple politique pour toucher aux valeurs fondamentales de la société sénégalaise. Son intervention peut être vue comme un acte de leadership courageux, visant à défendre ce qu'il perçoit comme des principes essentiels.

Cependant, elle expose également les fragilités potentielles du modèle de cohabitation religieuse au Sénégal, soulevant des questions sur l'équilibre entre respect des différences et maintien de l'ordre social.

Ainsi, cette phrase souligne la complexité du rôle de leader dans des contextes où des débats de fond touchant à l'identité et aux valeurs d'une nation sont inévitables. Sonko, en s'attaquant à une telle "querelle", montre qu'il est prêt à affronter des défis majeurs pour marquer son empreinte sur la scène politique et sociale du Sénégal.

AMADOU CAMARA GUEYE

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