Une zone enclavée, pauvre et laissée à elle-même
Située dans le département de Podor, à 490 km de la région de Dakar, l’Île à Morphil reste une zone très enclavée. Une partie du Sénégal complètement coupée du monde et rangée aux oubliettes, malgré ses potentialités.
Zone poussiéreuse, sol aride, des maisons en banco qui menacent de tomber en ruine. L’Île à Morphil est une localité qui ne donne aucun espoir. Une impression de désolation se dégage des lieux. Elle est renforcée par l'omniprésence des charrettes, des bœufs, moutons et chèvres en divagation dans les rues et ruelles.
L’Île à Morphil est située dans le département de Podor, au nord du Sénégal. C'est l’une des zones les plus pauvres et les plus enclavées du pays. L’île, constituée par une bande de terre d’une superficie de 1 250 km², est coincée entre le fleuve Sénégal et son affluent, le Doué. Elle a un relief généralement de bas-fonds, zones de prédilection des cultures du Walo et de contre-saison. L’île s’étire sur une longueur d’environ 200 km et va de Doué, à l’Ouest de Podor à Wending (sous-préfecture de Saldé) à l’Est. Plus de 50 000 habitants y vivent actuellement.
Porte d’entrée de l’Islam au Sénégal
Et pourtant, il s'agit d'une zone qui dispose d’énormes potentialités que lui offre la nature. Le fleuve Sénégal, le Doué, le Gayo, le Ngalank, les nombreuses rivières, les marigots, et les vastes espaces de culture de décrues ou d’irrigation qui couvrent la presque totalité de l’île sont autant d'atouts pour une agriculture florissante. Il y a aussi la pêche (continentale) et un patrimoine culturel riche et varié qui contribue à la renommée de l'île. Car, l'histoire révèle que l'île a été la porte d’entrée de l’Islam au Sénégal.
Toutefois, l’Île à Morphil souffre d'un manque criard d’infrastructures sanitaires, scolaires et de services socio-économiques de base. De nombreux villages ne disposent pas de centres de santé, ni d’établissements scolaires (élémentaires et moyens). Le seul hôpital qui polarise tous les villages de la zone se trouve à Ndioum, en dehors de l’île. ''Nous, femmes de l'île, avons toutes les difficultés du monde. Pour les accouchements. Nous sommes obligées de rallier Ndioum, avec beaucoup de difficultés, surtout en cette période d’hivernage où le fleuve déborde'', renseigne Hawa Sow. De teint clair, avec des boucles d’oreilles qui rappellent ses ancêtres peuls, Hawa se désole que l'unique ambulance dont dispose la localité ne soit pas toujours ''accessible''. ''Soit elle tombe en panne, soit ce sont les fleuves qui débordent. Dans de pareils cas, il n'y a que les charrettes comme moyens de transport. Et là, c'est toujours une catastrophe pour la maman et pour le futur bébé'', explique Hawa, avec ses lèvres bien tatouées.
Tous les services se trouvent concentrés dans les centres urbains, sur la route nationale 2. Aucun grand marché hebdomadaire pour la commercialisation des produits et les échanges ne se trouve dans l’Île à Morphil. Tout ce dont ont besoin les populations nécessite des déplacements plus ou moins longs et coûteux. Et les femmes comptent parmi les personnes qui se déplacent le plus. Alors qu'elles n'ont absolument rien comme ressource.
L’Île à Morphil est très démunie, du fait de son isolement du reste du pays. Bathie est un chauffeur qui fait régulièrement la navette Demeth et Dodel. La trentaine, un turban noir autour de la tête, pour se protéger de la forte canicule et la poussière, il nous raconte les difficultés qu'il rencontre tous les jours pour rallier Dodel qui semble être leur ''capitale'' et qui se trouve à 20 km de son village. ''Il n'y a pas de route. C'est dans la boue que nous roulons. Et avec cette saison, c'est pas du tout évident''. Dans son Pick-Up de couleur blanche, il traverse deux fleuves à bord d'un bac qui est tiré à la main. Une très grande corde halée à tour de rôle par tous les passagers. ''Lors de chaque traversée, je paye 1 000 F Cfa, alors qu'il y a deux fleuves à traverser. Le voyage aller et retour me coûte 4 000 F Cfa''. Tous ceux qui habitent dans les villages environnants se donnent rendez-vous tôt le matin et paye 1 000 F Cfa par personne. La voiture peut contenir presque 15 personnes à l'aide des bancs bien rangés. Pour trouver du carburant, Mbathie se déplace jusqu'en Mauritanie. ''Je traverse le fleuve par une pirogue avec mes bouteilles pour acheter du carburant. C'est vraiment compliqué pour moi qui avais l'habitude de travailler dans la capitale sénégalaise''.
L'inertie des élites issues de l'île
Ces difficultés trouvent écho dans le propos de Mamadou. Foulard noir à la tête, le jeune homme s'insurge contre les cadres qui sont dans les hautes sphères de l'État et qui ne font rien pour aider leurs populations. ''Nous manquons de tout, alors qu'il y a de grands cadres issus de cette zone. Nous avons une mairie, un collège, un district sanitaire, mais cela ne change rien, du moment qu'on reste toujours enclavé''. Il poursuit : ''Jusqu'à présent, on n'a pas d’électricité. Quelques maisons ont des groupes électrogènes''. Très en colère, son ami Seydou renchérit : '' Nous en avons marre des promesses à n'en plus finir. Tout ce que nous voulons, c'est d'être désenclavés. Nous avons besoin de routes et d'un pont. On doit dépasser ce stade. Nos politiciens ne font que parler''. Selon Mbathie, ''le maire de Demeth, Mamoudou Dia, veut changer les choses, mais il n'a pas assez de moyens. Il s'est toujours sacrifié pour le village et il n'a pas attendu d'être maire pour le faire. Il a même acheté une ambulance pour le centre de santé''. Younouss est un habitant de Sinthiou Dangdé. Ce père de famille et berger de fonction a tous les problèmes du monde pour nourrir son troupeau. La majeure partie de l'année, il n'y a pas d'herbes pour ses bêtes.
Pauvres en infrastructures sanitaires, sociales, scolaires...
Dans l’Île à Morphil, l’accessibilité n’est plus seulement une simple affaire de route ou de moyens de transport. La présence des infrastructures et services sociaux réduirait les distances à parcourir. De fait, la notion de désenclavement s’étend ici à la question de l’existence des services économiques et sociaux de base. Les populations expriment leur pauvreté non pas en termes de disponibilité de revenus, mais surtout en termes d'accessibilité aux infrastructures sanitaires, sociales, scolaires et économiques.
Une île sous le joug des cours d'eau
De par sa position géographique, L'Île à Morphil a plus de facilités d'échange avec la Mauritanie qu’avec le Sénégal, à partir de la route nationale 2. Les déplacements de l’Est vers l’Ouest, du Nord vers le Sud ou vers les centres urbains sont extrêmement pénibles et coûteux, à cause des bras de fleuve à traverser et de l’inexistence de routes et de pistes clairement tracées. Ainsi décrite, l'Île à Morphil fait face à des contraintes majeures. Elles sont liées à la topographie de la zone. L’île a un relief caractérisé par des plateaux très étendus, des vallées assez profondes ainsi que des bas-fonds qui ont une influence notable sur la structure des réseaux ainsi que le coût et la faisabilité des projets de transport.
L’hydrographie est également une des causes majeures de l'enclavement de l'île qui est un lieu de ramification des cours d’eau. Cette bande de terre, en plus de son enfermement entre les deux principaux fleuves (Sénégal et Doué), est traversée par plusieurs rivières et marigots du Nord au Sud, à l’Est comme à l’Ouest.
L’île a longtemps subi les aléas climatiques, surtout la sécheresse. On se rappelle les intempéries de 2002 qui ont causé d’énormes dégâts. Les vents influent sur la navigabilité des fleuves, mais c’est surtout la pluie qui est la principale contrainte. Elle a un impact sur la défectuosité des pistes et la sinuosité des fleuves. Ceci est dû au fait que, selon Michel, dans la vallée en général, la pédogenèse et la géomorphogenèse sont intimement liées.
Aujourd’hui, il s’agit de prendre en compte toutes ces difficultés, d’avoir une vision globale des réalités du milieu et d’essayer, par une volonté politique, de participer pleinement à la réduction de la pauvreté et des problèmes de déplacement, par l’application des systèmes de transport efficaces, performants et adaptés aux besoins des populations. Malgré le poids des conditions naturelles, des solutions ne manquent pas. La fatalité serait de subir ces aléas naturels, de rester spectateurs et ne rien faire.
Source : ''Les transports dans l'île à Morphil", Thierno Oumar Sall, Rapport de recherche UCAD 2011