C’est quoi le “Al-Himmah” ?

L’Al-Himmah est considéré comme la voie de la détermination spirituelle mouride. Le chercheur Abdoul Khadre Ba aborde cette question et parle des fruits de cette éducation spirituelle et des réalisations de la Mouridiyyah, notamment les fruits de la Himmah, entre autres.
La Mouridiyyah, ou voie mouride, est une voie spirituelle fondée par Cheikh Ahmadou Bamba, le Serviteur du Prophète, à la fin du XIXe siècle. Elle constitue, selon le chercheur Abdoul Khadre Ba, un programme éducatif et mystique établi sur ordre divin pour revivifier l’islam et restaurer la pureté originelle de la Sunna prophétique. Comme l’a affirmé le Cheikh, ‘’nulle religion en dehors de l’islam n’est digne de louanges devant Dieu. Mon intention est de le renouveler, en ravivant la Sunna du Prophète’’.
Cheikh Mouhamadoul Amine Diop Dagana, biographe et secrétaire particulier du Cheikh, décrit la Mouridiyyah en ces termes : ‘’Il s’agit en réalité de la sincérité, âme de toute œuvre, fruit de la connaissance gnostique, et qui rend possible l’Arrivée, c’est-à-dire le dévouement total du serviteur envers Dieu, un dévouement perceptible dans ses gestes, ses paroles, ses croyances, ses actes et ses états, aussi bien ésotériques qu’exotériques.’’
Cheikh Ahmadou Bamba, selon M. Ba, a reçu l’ordre de son Seigneur d’appeler les gens à se réfugier auprès de lui, comme il le dit : ‘’Le Seigneur m’a donné l’ordre de me déclarer refuge ; quiconque veut le bien ici-bas et dans l’au-delà doit se réfugier auprès de moi.’’ Puis, a-t-il ajouté, le Prophète lui a donné l’ordre suivant : ‘’Éduque tes compagnons par la Himmah (détermination spirituelle) et ne te limite pas à l’enseignement livresque.’’
Ainsi naquirent les premiers disciples appelés mourides dans le pays, comme l’atteste Cheikh Mouhamadoul Bachir dans son Minan : ‘’Le nom “mouride” qui leur fut attribué les rendait particuliers par rapport aux disciples des autres confréries. Ils s’étaient réunis autour du Cheikh pour recevoir une éducation spirituelle profonde, se vouant entièrement à Dieu. Ils se détournaient des préoccupations mondaines, sauf pour le strict nécessaire. Au Sénégal, dans les cercles soufis, seuls les disciples de notre Cheikh furent traditionnellement qualifiés de mourides, en raison de la primauté et de la supériorité de leur irâda (volonté spirituelle).’’
Qu’est-ce que la détermination spirituelle (Al-Himmah) ?
Le mot Himmah, d’après M. Ba, est un terme arabe riche de sens, central dans la spiritualité soufie. Il peut se traduire par ‘’détermination spirituelle’’, ‘’aspiration élevée’’ ou encore ‘’volonté intérieure entièrement tournée vers Dieu’’. La Himmah est ainsi une force du cœur qui pousse le mouride à ne viser que Dieu et à persévérer sur la voie spirituelle, malgré les obstacles. ‘’Un soufi marocain disait : ‘La Himmah, c’est se tourner complètement vers Dieu, sans être distrait par autre chose.”’
Dans la voie mouride, la Himmah est la base de l’éducation spirituelle. Cheikh Ahmadou Bamba formait ses disciples à développer cette détermination spirituelle. Une forme d’éducation que le Prophète Muhammad (paix et salut sur lui) dispensait à ses compagnons, et qu’il transmit à son héritier le Serviteur du Prophète. Cette formation spirituelle repose sur deux méthodes complémentaires : Tarbiya bi-l-qāl : l’éducation par la parole, et Tarbiya bi-l-ḥāl : l’éducation par l’état (spirituel).
L’éducation par la parole consiste à transmettre des conseils, des exhortations et des mises en garde contre les ruses de l’âme, de Satan, des passions et des illusions du monde : prestige, richesse, vanités. ‘’Le Cheikh (Serigne Touba), tel un médecin des cœurs, soigne les âmes en les nourrissant de sagesse. Cette guidance équilibre l’âme du disciple et le conduit progressivement vers la perfection spirituelle et la connaissance de Dieu’’, a-t-il renseigné.
Concernant l’éducation par l’état, elle touche, à ses yeux, une catégorie de disciples qui confient entièrement leur âme au Cheikh. ‘’Ceux-ci renoncent à leur volonté propre et ne se séparent jamais de leur guide. Ils sont formés par la présence, le silence, les gestes, l’exemplarité du maître. Leurs cœurs s’élèvent simplement par l’influence spirituelle’’, a indiqué Abdoul Khadre Ba.
Les fruits de cette éducation spirituelle
Cheikh Ahmadou Bamba guidait ses disciples sur un chemin de purification rigoureux : renoncement aux plaisirs éphémères, rejet des honneurs mondains, sincérité de l’intention, excellence dans l’action, et primauté donnée à la finalité religieuse. Ce processus, d’après lui, comportait des exercices de mortification, la faim volontaire, le khidma (“le servisme”), la pratique assidue du zikr, la récitation des Qassaïdes du Cheikh, la préservation de la pureté rituelle, et l’isolement, notamment par l’éloignement des distractions.
Grâce à cette formation, les disciples surpassaient leurs contemporains par leur capacité à tout sacrifier pour la satisfaction divine, conformément au verset : ‘’Certes, Dieu a acheté aux croyants leurs biens et leurs âmes en échange du Paradis…’’
Lorsque le Cheikh achevait l’éducation spirituelle visant à éveiller la Himmah chez un disciple, celui-ci, d’après lui, subissait une transformation profonde : il ne voyait plus que Dieu en toute chose, se détachait du monde, et unissait spiritualité et action dans le service divin. Un tel mouride est animé d’une Himmah inébranlable : toujours tourné vers ce qui est élevé, noble et digne, il vise l’excellence dans tout ce qu’il entreprend.
Les réalisations de la Mouridiyyah : fruits de la Himmah
C’est cette détermination spirituelle qui permit à la Mouridiyyah de réaliser des œuvres majeures après la disparition du Cheikh : Son inhumation à Touba, malgré un contexte politique très difficile ; La construction de la ligne ferroviaire reliant Diourbel à Touba, en pleine crise économique des années 1930 ; L’édification de la grande mosquée de Touba, sur instruction directe du Cheikh : ‘’Efforcez-vous de bâtir cette mosquée, sinon d’autres le feront à votre place et récolteront tout le mérite.’’ La modernisation de la ville de Touba, qui en fait aujourd’hui la deuxième ville du Sénégal ; le grand Magal de Touba, le plus grand rassemblement religieux du pays ; les champs de Khelcom (45 000 ha de réserve agricole) ; les Keur Serigne Touba (refuges spirituels pour la diaspora) ; l’école Al-Azhar et les établissements franco-arabes ; la mosquée Massalikoul Jinaan à Dakar ; le complexe Cheikh Ahmadoul Khadim à Touba.
‘’Chacune de ces œuvres fut réalisée dans des conditions extrêmement difficiles, mais grâce à la Himmah – cette énergie spirituelle devenue seconde nature chez les Mourides –, elles ont été menées à terme avec succès’’, a-t-il expliqué.
CHEIKH THIAM