La CEDEAO en manque de légitimité pour attaquer le Niger
Les réticences à une intervention militaire au Niger pour rétablir l’ordre constitutionnel trouvent de plus en plus de défenseurs. Si les têtes d’affiche de la CEDEAO sont d’avis que c’est nécessaire, en dernier recours, l’Union africaine a rejoint le camp des pacifistes par tous les moyens.
C’est un véritable camouflet que vient de se prendre la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Alors que débute aujourd’hui, pour deux jours, au Ghana, une réunion des chefs d’État-major de la CEDEAO pour évoquer une possible intervention militaire au Niger, l’Union africaine (UA), organisation continentale sur laquelle se basait l’organisation sous-régionale pour légitimer son intervention, a rejeté tout envahissement militaire du Niger. Le Conseil de paix et de sécurité (CPS), organe décisionnel permanent de l’UA pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits, a tenu une réunion le lundi 14 août et a décidé de rejeter l’usage de la force face à la junte qui a pris le pouvoir au Niger depuis le 26 juillet 2023.
Selon plusieurs indiscrétions, la rencontre entre les membres du CPS fut houleuse entre pro et anti intervention militaire au Niger. Constitué de 15 membres bénéficiant de droits de vote égaux, ce conseil constitue un système de sécurité collective et d’alerte rapide visant à permettre une réaction rapide et efficace aux situations de conflit et de crise en Afrique. Sur les cinq régions africaines qui la composent, l’Afrique de l’Ouest dispose de quatre sièges. Les régions Nord, Est et Sud comptent trois sièges chacune. Seule l’Afrique du Nord comptabilise deux sièges.
L’Afrique de l’Ouest seule dans sa logique va-t-en-guerre
Le bloc de l’Afrique de l’Ouest, composé du Sénégal, de la Gambie, du Ghana et du Nigeria, s’est retrouvé isolé lors de la réunion du CPS. Les quatre autres se sont opposés à l’utilisation de la force militaire pour imposer un retour de l’ordre constitutionnel au Niger. Parmi eux, l’Afrique du Sud et l’Algérie. Cette dernière s’est montrée, depuis le début, réticente à une intervention militaire dans un pays qui partage avec elle près de 1 000 km de frontière.
L’option est de plus en plus impopulaire au niveau international. Malgré sa condamnation du putsch et son soutien initial aux décisions de la CEDEAO, les États-Unis ne semblent plus envisager l’option d’un soutien à une intervention militaire. Attachée de presse adjointe du Pentagone, Sabrina Singh a assuré que "le Niger est notre partenaire. Nous ne souhaitons pas voir ce partenariat disparaître. Nous avons investi des centaines de millions de dollars dans une base militaire et dans des exercices avec l'armée nigérienne. Alors, nous privilégions une résolution pacifique de la crise".
Face aux multiples désaveux, la CEDEAO devra peut-être se contenter des sanctions économiques contre le Niger. Si Niamey était déjà confronté à une crise de sécurité alimentaire avant la crise politique, les sanctions risquent d’aggraver la situation. Un rapport du Programme alimentaire mondial (Pam) a analysé les conséquences potentielles des mesures d’isolement prises au lendemain de l’annonce de la prise de pouvoir des militaires.
Des prédictions alarmantes du Pam, si les sanctions de la CEDEAO sont maintenues
Selon l’organisme onusien, ‘’la fermeture des frontières nigériennes avec le Nigeria et le Bénin réduira l'offre et augmentera les prix des céréales importées et d'autres produits alimentaires (en particulier le riz, le maïs et l'huile végétale). Cela aura probablement aussi un effet d'entraînement sur le prix des céréales produites localement. Dans la semaine qui a suivi l'annonce des sanctions, le prix moyen national du riz a augmenté de 17 %’’.
Toujours au plan commercial, cette situation ‘’affectera négativement les moyens de subsistance des agriculteurs nigériens (en particulier des tomates et des oignons) et des éleveurs de bétail qui dépendent des exportations vers le Nigeria ainsi que des personnes des deux côtés de la frontière qui travaillent dans le commerce et le transport’’.
Les restrictions financières imposées par la CEDEAO (gel des opérations bancaires), en plus de la suspension de l'aide étrangère, assurent le Pam, réduiront le budget de l'État, ‘’ce qui aura un impact sur les salaires des fonctionnaires ainsi que sur la capacité de réponse humanitaire du gouvernement (y compris les distributions alimentaires en cours pendant la période de soudure et les ventes subventionnées de céréales et d'aliments pour animaux)’’.
Aussi, les sanctions financières réduiront les envois de fonds de la diaspora, qui sont particulièrement importants pour les ménages pauvres.
La question sécuritaire demeure essentielle
Au plan diplomatique, plusieurs représentations étrangères ont évacué leurs ressortissants du Niger, depuis le début de la crise. Selon le rapport, les départs potentiels des forces militaires internationales, des ambassades, des entreprises étrangères (uranium, télécoms, banques, etc.) ‘’entraînera des pertes d'emplois importantes (employés, travailleurs de l'hôtellerie/du tourisme, travailleurs domestiques, gardiens, etc.). À plus long terme, la pénurie d'électricité et les restrictions commerciales réduiront la croissance du PIB, entraînant une augmentation de la pauvreté et de l'insécurité alimentaire (au Mali, les sanctions de 2022 qui ont duré six mois, ainsi que la crise ukrainienne, auraient coûté 3 % de la croissance du PIB)’’.
Alors que l’armée régulière du Niger se prépare à une éventuelle intervention militaire de la CEDEAO, l’insécurité continue de gagner du terrain dans le pays. Depuis le renversement du président Bazoum, une huitième attaque a eu lieu, le 15 août 2023, dans le sud-ouest du pays. Le ministère de la Défense de la junte a annoncé un bilan provisoire de 17 soldats tués et 20 blessés. Une attaque condamnée par la CEDEAO dans un communiqué appelant aussi à remettre entre place le président déchu afin de se concentrer sur les questions sécuritaires.
Lamine Diouf