Publié le 24 Mar 2014 - 21:27
DEGUERPISSEMENT DES MARCHANDS AMBULANTS

Le boulevard des allées centenaires désengorgé

 

Après le marché Sandaga, c’était au tour samedi du Boulevard du Centenaire d’être débarrassé de ses occupants « illégaux ». Les marchands ambulants installés le long de l’avenue qui accueille d’habitude le défilé militaire et civil de la fête de l’indépendance, ont été contraints de quitter les lieux sous l’œil vigilant des forces de l’ordre.

 

Une circulation fluide. Un vent frisquet souffle sur le boulevard du Centenaire. Le bouillonnement habituel d’activités a cédé la place au calme. Les nombreuses boutiques tenues par les Chinois ont fermé. Les gens vaquent tranquillement à leurs affaires. Le long du boulevard, certains habitants prennent l’air devant la porte de leur maison. Vêtu d’un jean bleu, de sandales qui laissent apparaitre ses pieds légèrement poussiéreux, d’un tee-shirt gris qui laisse entrevoir des muscles saillants, Souleymane Sembène, assis sur un tabouret, contemple ce vaste espace vide jadis grouillant. 

« A partir de 8h ce matin, les éléments de la police et les volontaires de la ville de Dakar étaient déjà là. Ils ont tout démoli, en obligeant les marchands ambulants à quitter les lieux. Certains, réticents au départ, ont fini par céder. D’autres ont de leur côté obligé les Chinois à fermer leurs boutiques. C’était le désordre total. Les marchands ambulants criaient partout qu’ils étaient victimes d’une injustice de la mairie de Dakar », raconte-t-il, en gesticulant pour relater le film des événements.

Ouf de soulagement

A quelques 100 mètres de là, Aminata Diop, la vingtaine, habitante du quartier, teint clair, assise sur une chaise en plastique à la devanture de sa maison, contemple elle aussi les passants et les véhicules qui roulent à toute vitesse. Cela fait une éternité qu’elle n’avait plus vu les Allées du Centenaire aussi belle à contempler. Pour cause, les marchands ambulants avaient fini de transformer cette avenue en souk à ciel ouvert, en étalant leurs marchandises sur le moindre petit périmètre. «Nous sommes très contents de cette opération de déguerpissement.

Il était temps que nous retrouvions notre liberté.  On n’avait plus de quiétude, les marchandises étaient étalées jusque devant nos portes. On ne pouvait même pas passer. Même quand nous avions des cérémonies (baptême ou mariage), nous ne pouvions avoir de l’espace pour installer nos bâches et chaises pour faire la fête. Car, ils refusaient de céder le passage », relate-t-elle, avec un ouf de soulagement ! Non sans ajouter: « Ici, ce n’est pas un marché. Au début, ils étaient venus juste pour acheter des marchandises dans les boutiques chinoises et pour repartir. Après, ils ont commencé à s’installer progressivement. Ils n’ont qu’à aller s’installer dans les endroits dédiés au commerce », s’écrie-t-elle.

Quelques minutes plus tard, une autre fille, teint noir, portant des bas noirs, abonde dans le même sens : « C’est vraiment un geste à saluer. Les autorités nous ont libérés de ces marchands ambulants. Ils dérangeaient notre quiétude», se récrie Soda Paye qui vient de rejoindre Amina. Elle renchérit : « On ne pouvait même pas s’asseoir dehors le soir pour prendre de l’air à cause de ces gens. Vraiment nous ne pouvons que remercier la mairie de Dakar», se réjouit-elle avec beaucoup d’enthousiasme.

De l’autre côté du boulevard, un homme habillé d’un tee-shirt blanc et d’un pantalon noir est debout, comme une sentinelle, devant une maison. Son habillement ne laisse pas deviner qu’il est gardien. « Ces marchands ambulants ne peuvent pas dire qu’ils n’ont pas reçu de sommation de déguerpissement.  Ils ont été bel et bien avertis bien avant, même la presse en avait fait l’écho », souligne Alioune Cissé. Selon lui, l’Etat doit maintenant chercher des abris pour caser ces gens qui gagnaient leur pain ici.

‘’Il faut mettre de l’ordre dans ce pays…’’

 El hadji Bâ ne dit pas autre chose : « Ces gens ne sont même pas des marchands ambulants. Un marchand ambulant n’a pas de place fixe. Sa particularité, c’est de faire le tour des quartiers pour vendre ses marchandises », dit-il avec force. « Il faut mettre de l’ordre dans ce pays, martèle-t-il. Et je pense que nos gouvernants actuels sont dans cette dynamique ». Et de poursuivre: « S’ils veulent ne plus être déguerpis, ils n’ont qu’à occuper des zones dédiées au commerce ou de faire ce qu’un vrai marchand ambulant fait : c’est-à-dire circuler avec sa marchandise», dit-il avec un brin d’ironie.  

Le soleil commence à se coucher. La fraîcheur se fait de plus en plus sentir. Un groupe de jeunes filles devise tranquillement. L’une d’elles soutient que cela ne les arrange pas d’un côté car, selon elle, ces vendeurs leur permettaient de ne pas faire des déplacements jusqu’en ville pour acheter des fringues. Par contre, elle pense que cela est tout à fait normal qu’ils quittent l’avenue pour plus de sécurité dans la zone.

Le silence des Chinois

Non loin de là, un Chinois, avec un gros chien qui ne cesse d’aboyer, a l’air un peu crispé. Impossible de lui arracher un mot. Comme lui, tous ses compatriotes abordés ne veulent pas faire de commentaires sur cette opération de déguerpissement.

S’il est difficile de savoir si  ces ressortissants de l’Empire du Milieu sont pour ou contre cette opération, par contre il y a certains Sénégalais qui la désapprouvent. C’est le cas de cette dame interpellée à l’arrêt d’un bus. « Je ne suis nullement d’accord avec le déguerpissement de ces pauvres personnes. Il faut savoir que ces gens n’ont pas les moyens de louer des boutiques. Je trouve que ce que Khalifa Sall est en train de leur faire est injuste. Pendant des années, on a vécu comme ça et cela n’a dérangé personne. Il veut juste se faire remarquer. Il est en train de faire beaucoup de mal à de braves gens », fulmine-t-elle.

Dimanche. Il est 8 heures, les boutiques des Chinois s’ouvrent une à une. Comme hier samedi, aucun marchand ne traîne dans les parages. Après une trentaine de minutes, on aperçoit des marchands ambulants qui rentrent dans les boutiques de leurs fournisseurs pour faire des achats. Ass Guèye, accompagné de son ami, discute des prix des articles. « Si les habitants de ce quartier se réjouissent de notre déguerpissement, cela ne peut être que de l’hypocrisie. Car ce sont les locaux qu’ils louent aux Chinois qui les font vivre.

Les Chinois paient cher pour la location. Et nous sommes leurs principaux clients. Donc s’ils sont contents de nous voir quitter les lieux, ce n’est que de la pure perfidie», crie-t-il. Son ami, qui ne cesse d’acquiescer, de dire : « Khalifa Sall ne fait que nous montrer la raison du plus fort. Car nous ne dérangeons personne. Nous ne sommes pas sur l’avenue, mais aux abords. Et je ne vois nullement en quoi nous pouvons entraver la circulation », souligne le compagnon de Ass Guèye.  

Juste à côté de cette boutique, un employé d’un magasin chinois, qui a requis l’anonymat, confie que ce déguerpissement ne fait pas leurs affaires. Il craint même des affrontements entre marchands ambulants et force de l’ordre les prochains jours. « Je pense que demain, les réticents vont revenir pour affronter les policiers», avise-t-il, en demandant gentiment de partir avant d’éveiller la curiosité de son patron assis à l’intérieur de la boutique.

En attendant, Centenaire respire le calme. 

Samba DIAMANKA

 

 

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