Un ‘’crash’’ évité de justesse
En sus d’une réputation sérieusement ternie, la compagnie nationale est confrontée aux menaces de certains bailleurs de bloquer des avions au sol, faute de paiement des échéances. Le pire, selon certaines sources, a été évité grâce à un acompte qui aurait été versé par la nouvelle équipe dirigeante.
Les témoignages sont presque unanimes. La situation de la compagnie nationale Air Sénégal est de plus en plus préoccupante, inquiétante. Même si l’arrivée d’une nouvelle équipe dirigeante, menée par le DG Tidiane Ndiaye, redonne espoir, la mission s’avère des plus périlleuses, pour ne pas dire impossibles. L’un des plus grands défis à relever, c’est de restaurer la confiance perdue des passagers, y compris tous ces Sénégalais qui avaient fini d’adopter la compagnie par patriotisme économique. Beaucoup ont fini par se détourner du pavillon national, à cause des retards devenus la règle. Pire, très souvent, la compagnie ne daigne même pas prévenir les clients.
En partance pour New York, il y a quelques jours, le journaliste Dame Babou en a fait l’amère expérience. Dans une vidéo postée sur sa page Facebook, il regrettait, à l’instar de plusieurs autres voyageurs, le manque d’égard d’Air Sénégal envers ses clients. ‘’Je suis ici à l’AIBD parce que mon vol était prévu à 4 h du matin. Sur place, on m’a informé que je ne vais plus partir. Le préjudice est énorme. D’abord, j’ai quitté ma famille qui croit que je suis parti ; j’ai dû prendre ma voiture pour venir ici en passant par l’autoroute à péage, donc en payant. J’arrive ici et c’est même tout un problème pour trouver un interlocuteur. Ils avaient notre numéro de téléphone et nos adresses email, mais ils n’ont même pas pris la peine de nous prévenir…’’, témoignait M. Babou plein d’amertume.
Finalement, il a pu trouver le chef d’escale qui lui a donné quelques explications. ‘’Il m’a dit que ce sont les passagers qui devaient partir le samedi 21 (juillet) qui avaient la priorité pour partir le 24. Ceux qui étaient prévus le 24 devaient attendre un autre jour’’, rapportait-il. Sans plus de précision !
Monsieur Babou avait pourtant été mis en garde par ses amis. Mais par préférence nationale, il s’était entêté et avait préféré braver le risque.
Sur les réseaux sociaux, on ne compte plus les nombreuses récriminations contre Air Sénégal. Et ce ne serait là que la face visible de l’iceberg. Les maux dont souffre la compagnie nationale sont bien plus graves, selon plusieurs sources concordantes contactées par ‘’EnQuête’’.
Avec un déficit de plus de 100 milliards F CFA, l’entreprise ne vit que par une volonté de l’État qui tient à la sauver coute que coute. Jusqu’à quand ? La question taraude de nombreux observateurs. Cette source proche de la compagnie tente quand même de rassurer : ‘’Il faut reconnaitre que la situation est très difficile, mais ce qui est sûr, c’est que l’État ne laissera pas tomber l’entreprise. Le Sénégal a besoin d’une compagnie nationale. Je ne doute pas que les autorités vont faire le nécessaire pour redresser la boite et on a bon espoir avec le nouveau directeur général qui connait très bien le secteur.’’
Le pari est en tout cas loin d’être gagné. En sus d’une thérapie de choc qui est en gestation, la compagnie aura aussi besoin de la compréhension des bailleurs qui lui louent les avions et dont certains commencent à ne plus supporter les arriérés récurrents de paiement. Ils se sont fait entendre ces derniers jours avec des menaces de blocage d’avions dans certains pays, dont les États-Unis. Ce qui aurait sérieusement entamé les plans de relance et précipiterait à coup sûr la compagnie dans le précipice. Quatre avions étaient ainsi dans le viseur d’un des bailleurs, dont le nom n’a pas été précisé par nos interlocuteurs. Les efforts faits par la nouvelle équipe dirigeante ont permis d’éviter de justesse le pire. Un responsable du secteur aéronautique confirme et précise : ‘’Un bailleur avait effectivement menacé de bloquer des avions, faute de paiement. À la dernière minute, le nouveau DG a pu faire un acompte et décanter la situation. Les avions continuent donc de voler.’’
Selon lui, il urge cependant de trouver des solutions pérennes à ces difficultés récurrentes. ‘’On ne peut pas continuer de trouver des remèdes intermédiaires. Il n’y a pas à se compliquer la vie. Des compagnies comme Asky, Air Côte d’Ivoire, je ne parle même pas d’Ethiopian, arrivent à s’en sortir. Pourquoi pas Air Sénégal ? Je pense que c’est un problème de gouvernance et de modèle’’, regrette ce cadre de l’aéronautique qui fonde beaucoup d’espoir sur la nouvelle équipe.
Avec le nombre d’avions limite, pense-t-il, la compagnie gagnerait à supprimer certaines destinations non rentables. Il ajoute : ‘’Nous devons aussi ouvrir rapidement la compagnie low cost Sénégal express pour les vols intérieurs. Et Air Sénégal pourra se concentrer sur la sous-région et quelques lignes prestigieuses comme Paris et New York. Pour ce faire, il faudra faire des études sérieuses. Car l’ancienne équipe avait annulé les lignes sur l’Italie et l’Espagne avant d’y revenir ; ce qui montre que les études n’avaient pas été faites avant de prendre la mesure.’’
C’est donc en pleine crise que le directeur général Alioune Badara Fall a été remercié, remplacé par Tidiane Ndiaye qui devient ainsi le quatrième directeur général de la compagnie qui a seulement sept ans d’existence. Il prend la place d’Alioune Badara Fall qui avait suscité beaucoup d’espoir, du fait de son parcours en tant que pilote. Ce dernier avait remplacé Ibrahima Kane, ancien directeur général du Fonds souverain des investissements stratégiques (Fonsis) qui avait également d’excellents états de service. Tout comme le premier directeur général Philippe Bohn, venu d’Airbus et présenté à l’époque comme un as du secteur.
MOR AMAR