Les marchés, entre prudence et optimisme
Après les inquiétudes des premières heures, les marchés sont de plus en plus rassurés par le discours du nouvel homme fort de Dakar. Mais la prudence reste de mise.
Ses discours sont surveillés comme du lait sur le feu. Quel sera le sort réservé aux investisseurs étrangers dans sa politique ? Quels rapports avec l’ancienne puissance coloniale la France ? Le Sénégal va-t-il privilégier le commerce avec des pays comme la Russie et la Chine, à l’instar des régimes militaires de Bamako, de Ouagadougou et de Niamey ? Autant de questions qui suscitent l’intérêt de nombreux observateurs, aussi bien sur le plan national que sur le plan international.
En marge de la cérémonie d’investiture du nouveau président, le 2 avril, le directeur général de la Société financière internationale (SFI du groupe de la Banque mondiale), accroché par ‘’EnQuête’’, revenait sur le discours qu’il juge ‘’rassurant’’ du nouveau président de la République. Interpellé sur les réactions du marché qui ont suivi la nouvelle alternance au Sénégal, il disait : ‘’Ce que je peux dire, c’est que les marchés sont toujours attentifs, lorsqu’il y a un changement politique, à ce que les nouvelles autorités disent et ce qu’elles vont faire. À ce jour, je n’ai rien entendu qui soit de nature à inquiéter les marchés. Je pense que le discours du président est rassurant. Je ne sens aucun élément qui puisse créer objectivement de la frayeur chez les investisseurs.’’
Le nouveau régime est ainsi très attendu sur des questions comme la gestion des ressources naturelles, la souveraineté monétaire ainsi que le choix des partenaires économiques et financiers. Jusque-là, Bassirou Diomaye Faye a insisté sur la nécessité de revoir certains contrats, surtout dans le domaine des ressources extractives.
Face à la Nation sénégalaise, avant-hier, lors de son discours à la veille de la fête de l’indépendance, il est revenu sur sa feuille de route : ‘’En plus de la mise en ligne déjà effective des contrats miniers, pétroliers et gaziers sur le site de l’ITIE Sénégal, je ferai procéder à la divulgation de la propriété effective des entreprises extractives, conformément à la norme ITIE, à l’audit du secteur minier, gazier et pétrolier, et à une protection plus soutenue du contenu local au bénéfice du secteur privé national.’’
Exit les inquiétudes des premières heures
Cela dit, Diomaye tient à rassurer les partenaires. Pour lui, il ne s’agit pas de remettre en cause les droits des investisseurs qui, selon lui, restent les bienvenus au Sénégal. ‘’Conformément aux lois et règlements en vigueur, les droits de l’investisseur seront toujours protégés, de même que les intérêts de l’État et des populations’’. Aux pays amis et partenaires du Sénégal, il assure que ‘’le Sénégal reste un pays ouvert et accueillant pour tous’’, où il n’y aura de passe-droits pour aucune puissance. ‘’Nos partenaires étrangers de tous horizons sont d’égale dignité pour nous. À tous, nous devons respect et considération. Et de tous nous demandons respect et considération’’, affirme le président Faye.
Si le président souverainiste était l’objet de nombreuses inquiétudes avant son élection, ses premières prises de parole sont plutôt de nature à rassurer, même si la prudence reste de mise. ‘'Les investisseurs étaient inquiets de la victoire de Faye à l’élection, car ils craignaient qu’il modifie la politique mise en œuvre par Sall’’, notait le média américain spécialisé ‘’Bloomberg’’, qui s’empressait de constater un net regain d’intérêt. Citant Samantha Singh-Jami, stratège Afrique à la Rand Merchant Bank, ‘’Bloomberg’’ ajoutait : ‘’Le ton de ses messages a changé ces derniers jours (le message de Diomaye comparativement au discours de campagne). Le Sénégal devenant un producteur de pétrole et de gaz, il devrait devenir l’une des économies les plus dynamiques d’Afrique.’’
BP et Kosmos restent optimistes et attentifs
Chez les compagnies, la tendance est aussi à l’observation. Même si l’annonce d’audit dans le secteur n’est pas de nature à apaiser tout le monde, certains tentent de dédramatiser. Interpellé par le média américain, Kosmos disait s’attendre à ce que ‘’l’environnement favorable aux affaires perdure’’ dans le pays. "Nous restons concentrés sur la collaboration avec nos partenaires pour livrer le premier gaz" au projet GTA au plus tard cette année’’, rapporte ‘’Bloomberg’’.
La prudence est également de mise chez les Britanniques. ‘’BP vise à maintenir une relation constructive avec le nouveau président, tout comme elle l’a fait avec les précédents dirigeants du pays’’, a confié à ‘’Bloomberg’’ Gordon Birrell, vice-président exécutif, responsable de la production et des opérations de la société basée à Londres. Le dirigeant espère rencontrer Faye, lorsque le nouveau gouvernement sera formé.
La promesse d’une gouvernance plus propre bien accueillie
Au-delà de la question des ressources extractives, le changement de paradigme doit embrasser toute l’économie, si l’on en croit le nouveau chef de l’État qui compte s’appuyer sur un secteur privé national fort et soutenu par l’État ‘’pour encourager la création d’emplois’’.
‘’Sur la base de nos besoins prioritaires, nous travaillerons ensemble pour endogénéiser notre économie’’, déclarait-il toujours en précisant que le secteur privé international aura également son rôle à jouer dans ce nouveau dispositif.
Dans une note à ses clients rapportée par l’agence américaine Bloomberg, François Conradie, économiste politique chez Oxford Economics, fait part de son optimisme. ‘’Nous ne pensons pas que l’équipe de M. Faye mettra en œuvre des politiques suffisamment radicales pour décourager les investissements. Nous surveillerons les déclarations de la nouvelle équipe pour savoir à quoi nous attendre’’, insiste-t-il.
Par ailleurs, malgré la prudence, les marchés jugent prometteuse la perspective de voir une gouvernance plus vertueuse dans la gestion des affaires publiques. ‘’Même si Faye sera probablement plus amical envers les juntes militaires, la gouvernance du Sénégal sera probablement plus propre que ce n’était le cas sous Sall’’, a renchéri François Conradie.
CEDEAO-UEMOA
Diomaye maintient le cap
Ceux qui s’attendent, en revanche, à une remise en cause des institutions régionales et sous-régionales, devront déchanter. Depuis son accession à la magistrature suprême, Diomaye n’a eu de cesse de réitérer l’ancrage du Sénégal dans ces organisations. Le dernier en date, c’est avant-hier. Dans son dernier discours à la Nation, il déclare : ‘’Nous veillerons, sans cesse, à maintenir et raffermir les relations de bon voisinage et de solidarité agissante au sein de nos organisations communautaires, notamment la CEDEAO et l’UEMOA.’’
Sur ce plan, le nouveau président revendique le legs panafricaniste de Cheikh Anta Diop et de Léopold Sédar Senghor, un des pères fondateurs de l’Organisation de l’unité africaine. ‘’Nous demeurons fermement engagés dans la construction de l’intégration africaine et la réalisation des objectifs de la Zone de libre-échange continentale africaine’’, a-t-il indiqué.
Dans la foulée, Diomaye a renouvelé son attachement profond à la souveraineté économique du Sénégal. Selon lui, son régime a la responsabilité historique ‘’de conforter notre souveraineté en rompant les chaines de la dépendance économique par le culte permanent du travail et du résultat’’.
C’est là une nette démarcation par rapport à la ligne tracée par les pays de l’AES (Alliance des États du Sahel) en rupture complète avec des institutions comme la CEDEAO, au moment où leur sortie du franc CFA est de plus en plus agitée.
Dans l’interview accordée au journal ‘’EnQuête’’, le DG de la SFI, tout en reconnaissant la pertinence et la légitimité du débat sur des sujets comme le franc CFA, attirait l’attention sur l’importance des dynamiques communautaires. De l’avis du directeur général de la SFI, ces questions sont tout à fait légitimes et elles ne datent pas d’aujourd’hui.
Sur le désir du nouveau régime d’avoir un partenariat plus profitable, il disait : ‘’D’abord, il faut préciser que ce débat est loin d’être nouveau. Moi-même, j’ai eu à travailler sur ces questions déjà dans les années 1990… Ce que je sais, c’est qu’avoir une monnaie régionale, c’est une bonne chose. Faciliter le mouvement des marchandises et des hommes dans de grands cadres comme l’UEMOA est un principe essentiel. Maintenant, quelle est la forme spécifique que cela prendra ? Je laisse la question aux autorités sénégalaises. Avec le réalisme que j’ai perçu aujourd’hui, je pense qu’il y aura une réponse pragmatique à cette question.’’
RICHARD HOUNKPÉ, ANALYSTE GÉOPOLITIQUE Ces défis qui attendent le nouveau président Dans un contexte où les principes démocratiques sont fortement remis en cause en Afrique et au-delà, l’alternance survenue au Sénégal revêt un caractère bien particulier. Analyste géopolitique et expert en communication stratégique et politique, Richard Hounkpé déclare : ‘’Le Sénégal s'est montré exigeant et ambitieux vis-à-vis de son système politique et c'est de la même façon qu'il attendra des nouvelles autorités plus de justice sociale, de prospérité économique, de renforcement des libertés individuelles et politiques, de dignité et de panafricanisme.’’ À son avis, Bassirou Diomaye Faye n'aura pas beaucoup de temps pour savourer son inédite victoire, ‘’tant les défis à relever sont lourds sur la capacité du pays à attirer des investissements étrangers, à favoriser l'économie locale, à donner de l'emploi aux jeunes’’. Sur la France, l’analyste géopolitique s’attend à encore plus d’ouverture du Sénégal. ‘’Les premiers propos du président Diomaye Faye rejoignent ceux de son illustre mentor Ousmane Sonko devenu Premier ministre : le Sénégal sera ouvert à tout partenariat extérieur, s'il y trouve son compte et répond aux aspirations démocratiques et souveraines du pays’’. Il faut juste relever que le Sénégal, malgré les critiques, est resté très ouvert aux autres pays depuis déjà plusieurs années. Ils sont nombreux les secteurs dans lesquels les Chinois, les Turcs et les Anglo-Saxons ont été nettement mieux servis. Dans le secteur des hydrocarbures, les principaux gisements qui défraient la chronique échappent au contrôle des entreprises françaises. |
MOR AMAR