Publié le 3 Aug 2017 - 22:12
DISLOCATION DE MANKO WATTU SENEGAAL

Le temps des regrets pour l’opposition

 

Mankoo Taxawu Senegaal (MTS) et la Coalition gagnante Wattù Senegaal (CGWS) ne sont  pas parvenues à dépasser leurs contradictions dans la conquête du pouvoir législatif. Leur précédente entente, Manko Wattù Senegaal (MWS) aurait pourtant pu faire des miracles.

 

Se tirer une balle dans le pied ; donner la verge pour se faire battre ; prêter le flanc ; scier la branche sur laquelle on est assis ; causer sa propre perte... autant d’expressions qu’on s’amuserait à appliquer à la nouvelle minorité qui n’a pas su transcender ses clivages pour aller aux élections législatives du 30 juillet 2016. ‘‘C’est la première fois dans l’histoire de notre pays que l’opposition dans toutes ses franges essentielles est unie pour combattre de cette manière ; en posant très clairement les règles du jeu. C’est peut-être cela qui affole le pouvoir’’. Quand Malick Gakou, tenait ces propos dans l’après-midi du 20 septembre 2016, la conviction était forte et le verbe assuré.  C’était le lancement en grandes pompes du cadre de l’opposition appelé Front pour la défense du Sénégal/Manko Wattù Senegaal (FDS/MWS).

Malick Gakou, porte-parole du jour, et ses camarades avaient même mis le pouvoir dans les cordes après une communication confuse du PM sur les contrats pétroliers dans la matinée, une mutinerie meurtrière à la prison de Rebeuss, et l’annonce d’une marche le 14 octobre 2016. Une entité hybride, composée d’autres entités tout aussi hybrides, qui n’avait pas manqué d’étonner. Une préoccupation à laquelle, M. Gakou avait répondu, dans une envolée mi réaliste, mi idéaliste : ‘‘Vous pensez qu’elle (Ndlr : la coalition) peut s’organiser sans anicroches ? Non ! Mais en pensant au Sénégal nous surmonterons ces problèmes, puisque c’est ça l’essentiel’’.

Dix mois et une élection plus tard, la victoire de BBY a obligé ces anciens alliés dispersés à rabattre grandement de leurs prétentions pour ne se contenter que d’anecdotiques succès communaux de ses quelques grand-électeurs à la Médina, à Mermoz, Thiès, Grand Yoff. Fini le rêve d’une cohabitation historique qui avait germé en un moment dans l’esprit de l’opinion et avait inquiété jusqu’à l’Avenue Roume. La coalition était manifestement trop hétéroclite pour faire de toutes ces forces accumulées une entité articulée. En trois mois, la mécanique s’applique à son autodestruction. La figure émergente d’alors, Ousmane Sonko, les exclusions ou départs de trois membres fondateurs dont le professeur Malick Ndiaye, la ‘‘rébellion’’ interne du collectif des leaders ‘‘Garmi’’ pour la défense de Manko, et d’autres mésententes implosent l’ensemble qui n’a cessé de se fragiliser de jour en jour. ‘‘Ils n’ont su gérer les problèmes d’ego entre fortes personnalités politiques. La guerre des tendances entre grands partis, de coalitions dans des coalitions, et les ambitions individuelles ou individualistes de certains qui voulaient se peser et se soupeser ont contribué à leur propre travail de sape’’, explique l’enseignant-chercheur en sciences politiques à l’UGB, Moussa Diaw.

Condamnés à l’entente ?

Les résultats des Législatives de dimanche, qui attendent d’être officialisés, ont le mérite de devoir pousser une opposition grandement mise en minorité à la réflexion pour la survie politique. La réforme sur la rationalisation des partis politiques, agitée comme idée, pourrait être une bonne occasion pour tous les électrons libres de rentrer dans les rangs, bon gré mal gré. Quant à la bicéphale mésentente des coalitions MTS et CGWS, la nécessité d’union devrait venir à bout de leurs divergences estime Moussa Diaw ; 2019 n’étant plus loin. ‘‘Elles sont obligées de s’entendre. C’est exister ou périr. Compte tenu des résultats et du contexte, des rapports de force, il va y avoir reconfiguration. Il ne leur reste plus qu’à se coaliser, s’ils veulent conquérir le pouvoir. Sinon, ils resteront longtemps dans l’opposition, leur avenir politique est compromis à coup sûr. C’est maintenant qu’il faut préparer l’élection présidentielle et pas attendre à quelques mois pour s’y atteler. Pour l’opposition et la majorité’’.

Par extrapolation, MWS aurait mis BBY en ballottage très défavorable pour le scrutin de dimanche dernier. Les  listes conduites par Mahammed Dionne et Amadou Ba voient les scores cumulés de MTS et de la CGWS  les toiser de près de 50%. Une victoire marron-beige en berne d’une quinzaine de points par rapport à la dernière confrontation électorale d’envergure, la présidentielle de 2012 (65% pour BBY). Le résultat de l’opposition est d’autant plus regrettable compte non tenu des scores dispersés de la Coalition Ndawi Askan Wi (Ousmane Sonko), de Kaddu Askan Wi (vainqueur à Kédougou), de Modou Diagne Fada de Ldr Yeessal etc.

Tout compte fait, si elle (l’opposition) s’était présentée sous la bannière Manko Wattu Senegaal, elle n’en serait certainement pas à ergoter sur ‘‘sa’’ victoire dakaroise, sa force à Thiès, son aura à Dagana, aurait survolé Touba (contestée par BBY), sauvé Abdoulaye Baldé à Ziguinchor, renforcé Diagne Fada à Darou Mouhty, et évité la déconfiture à Moussa Touré, Abdoul Mbaye et Cie. Mais avec des ‘‘si’’...

3 QUESTIONS A Maurice Soudieck Dione (enseignant à l’Ugb)

‘’La dislocation de Mankoo Wattu Senegaal  a été une erreur politique monumentale’’

  Quelle part a joué la dislocation de Mankoo Wattu Senegaal dans la défaite de l'opposition de manière globale ?

 Comme cela était prévisible en raison du mode de scrutin majoritaire à un tour au niveau départemental, sur la base duquel 105 des 165 députés sont élus, avec la possibilité de remporter tous les sièges même avec une seule voix de différence, l’opposition devait impérativement s’unir pour espérer obtenir des résultats probants. C’est pourquoi la dislocation de Mankoo Wattu Senegaal en trois blocs organisés autour d’Abdoulaye Wade, de Khalifa Ababacar Sall et de Modou Diagne Fada a beaucoup pesé sur l’allocation des suffrages. Aujourd’hui avec les tendances qui s’ébauchent, on voit clairement que si cette frange significative de l’opposition avait réussi à préserver son unité, elle aurait gagné beaucoup plus de sièges au niveau départemental et peut-être sur la liste nationale au scrutin proportionnel.

Les controverses autour des résultats dans le département  de Dakar entre Benno Bokk Yaakaar et Mankoo Taxawu Senegaal n’auraient pas eu leur raison d’être, car si on totalise les scores obtenus par la Coalition gagnante Wattu Senegaal de Me Wade et la Coalition Mankoo Taxawu Senegaal dirigée par Khalifa Sall, l’opposition gagne haut la main la capitale ! Donc la querelle autour de la tête de liste départementale entre les partisans de Khalifa Sall et le PDS était inutile et contre-productive, cela ne valait pas la peine de faire éclater la coalition, car c’est le PDS qui est le premier parti de l’opposition, par la représentativité électorale et parlementaire, donc les partisans de Khalifa qui n’est implanté qu’à Dakar, auraient dû céder la tête de liste au PDS.

Dans d’autres départements également, le total des suffrages entre les deux plus grandes coalitions de l’opposition aurait assuré sa victoire si Manko Wattu Senegaal n’avait pas éclaté. Donc la dislocation de cette structure  a été une erreur politique monumentale fondée sur une insuffisante et inexacte appréciation des enjeux des élections législatives, qui permettent d’élire des représentants du peuple, et partant ne sauraient être considérées comme une élection présidentielle. Aujourd’hui la plupart des présidentiables qui ont mis en place des stratégies de positionnement pour 2019 semblent en subir les conséquences néfastes par une défaite dans leurs fiefs, qui aurait pu être évitée si l’unité était au rendez-vous !   

  Maintenant qu'il est clair que la survie est dans l'alliance, peut-on s'attendre à une entente entre Mankoo Taxawu Sénégal et la Coalition gagnante Wattu Senegaal principalement ?

 Cette période-là est dépassée, elle était intimement liée aux élections législatives et au mode de scrutin majoritaire à un tour au niveau départemental, même si les élections législatives ont été présidentialisées à outrance. À leur suite, d’autres logiques et combinaisons devront prévaloir en vue de la présidentielle de 2019. Dans cette perspective, il va y avoir une recomposition des coalitions autour des présidentiables les plus attrayants et attractifs pour diriger des pôles oppositionnels. Mais là le coefficient personnel va être très fort. Il reste que l’unité de l’opposition peut se faire autour de revendications relatives à la fiabilisation du processus électoral fortement décrié et discrédité lors des Législatives, pour exercer une pression sur le pouvoir et le contraindre à négocier tout en continuant à éroder son capital de légitimité. Ces coalitions électorales peuvent également se transformer en des cadres d’organisation, de concertation et d’action de l’opposition dans cette optique. Il faut dire également qu’elles peuvent constituer des leviers au sein de l’institution parlementaire pour organiser la résistance démocratique.

 Le cas échéant, comment gérer les grosses personnalités politiques (Idy, Gakou...)

 En tout cas, toutes ces fortes personnalités vont certainement se positionner. Mais elles partent psychologiquement diminuées après avoir perdu dans leurs départements, même s’il faut préciser qu’il y a eu de graves dysfonctionnements dans l’organisation des élections. On comprend dès lors la stratégie d’Idrissa Seck qui consiste à relativiser sa défaite par une victoire dans la commune malgré les moyens logistiques et financiers massifs déployés pour le déboulonner ; le retournement de beaucoup de ses partisans et alliés et la multiplication des personnalités exerçant des positions de pouvoir impliqués dans le combat pour lui arracher sa base politique.

Il semble que désormais le jeu va se faire autour de la question de savoir quel est le candidat le mieux placé et le plus capable de fédérer le maximum de forces de l’opposition. Ce n’est pas une mince affaire. Mais d’ici à la présidentielle de 2019, les divers présidentiables devront s’impliquer fortement pour inscrire leur visibilité dans la durée pour espérer se placer dans une posture avantageuse pour cette élection.

OUSMANE LAYE DIOP

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