Publié le 12 Sep 2024 - 16:21
DISSOLUTION ASSEMBLÉE NATIONALE

Un problème de timing et d’opportunité

 

Même si elle est consacrée dans la Constitution sénégalaise depuis l’aube des indépendances, la motion de censure n’a jamais été mise en branle par un chef de l’Exécutif. En 2001, Abdoulaye Wade avait composé avec une Assemblée dominée par les socialistes pendant plus d’un an, avant de faire organiser des Législatives ‘’anticipées’’ grâce aux dispositions transitoires de la Constitution qu’il venait de faire adopter par référendum.

 

Le fait serait rarissime, pour ne pas dire inédit. Dissoudre l’Assemblée nationale, ‘’cela n’est arrivé qu’une seule fois dans l’histoire du Sénégal’’, selon certains observateurs qui citent généralement 2001 comme année de référence.

Mais de l’avis de Doudou Wade, ancien président de groupe parlementaire, ceci est à relativiser, pour ne pas dire à écarter. ‘’Je considère qu’il y en a jamais eu et j’étais de cette législature (10e législature). Au sens de l’article 86 ou 87 de la Constitution – c’est selon -, si dissoudre c’est faire ce que le président a entamé, c’est-à-dire demander l’avis du Premier ministre et du président de l’Assemblée nationale, prendre un décret de dissolution en fixant la date des Législatives, il n’y en a pas eu en 2000’’, explique l’ancien député libéral, tout en précisant que Wade n’a jamais signé un décret portant dissolution de l’Assemblée nationale.

À la question de savoir comment l’ancien président s’y était concrètement pris pour abréger le mandat des députés en 2001 - ils étaient élus en 1998 pour cinq ans - il rétorque : ‘’Le Sénégal venait d’adopter une nouvelle Constitution. Et il avait fait application des dispositions transitoires qui lui permettaient d’organiser directement les Législatives.’’ Ces dernières ont finalement été tenues en avril 2001. Selon Doudou Wade, il n’y a eu aucune période de flottement. ‘’L’Assemblée a continué de fonctionner jusqu’après les élections législatives’’, a-t-il soutenu.

Une dissolution serait inédite

Il ressort de l’article 87 de la Constitution que ‘’le président de la République peut, après avoir recueilli l’avis du Premier ministre et celui du président de l’Assemblée nationale, prononcer, par décret, la dissolution de l’Assemblée nationale.’’

Selon l’alinéa 3 de la même disposition, le décret de dissolution doit en même temps fixer la date du scrutin pour l’élection des députés. ‘’Le scrutin a lieu 60 jours au moins et 90 jours au plus après la date de publication du décret’’, précise la même disposition.

Donc, si Diomaye dissout aujourd’hui, il va devoir organiser de nouvelles élections au plus tôt le 17 novembre, au plus tard le 22 décembre 2024. La solution la plus probable serait d’organiser des élections sans passer par le parrainage, avec tous les risques qui vont avec.

Il faut noter que le pouvoir de dissolution constitue une des caractéristiques des régimes parlementaires. Il sert surtout de contrepoids au pouvoir de censure dont dispose l’Assemblée nationale sur le gouvernement.

Dans une contribution récente, le professeur Meissa Diakhaté, agrégé de droit public, disait : ‘’Le pouvoir de dissolution est généralement instauré comme moyen de rationalisation du régime parlementaire fort. Il aide à modérer le Parlement dans l’engagement de la responsabilité du gouvernement à travers, en particulier, la motion de censure.’’  

Le cas Abdoulaye Wade en 2001

Au fond, soulignait le spécialiste, ‘’la consécration de moyens d’action réciproques entre l’Exécutif et le Législatif (la responsabilité politique du gouvernement devant le Parlement et le droit de dissolution du chef de l’État) constitue l’une des marques de fabrique du régime parlementaire’’.

Il s’agit ainsi d’un levier sur lequel le président de la République peut agir pour réguler le fonctionnement des institutions, dans une situation de crise. Au Sénégal, la limite principale pour éviter tout abus de ce pouvoir, c’est qu’une Assemblée nouvellement élue ne peut être dissoute dans les premières années de législature. ‘’C’est pourquoi certains régimes contemporains abandonnent la durée probatoire d’une ou de deux années en disposant, plus prudemment, que ‘’le président de la République peut, ‘en cas de nécessité’ et après consultation du gouvernement, des bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat, prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale’’ (article 9 de la Constitution camerounaise)’’, analysait le prof de droit.

Mais sommes-nous dans une situation de nécessité au Sénégal pour que le président de la République veuille coute que coute recourir à cette décision extrême ? À part le projet de suppression du Haut conseil des collectivités territoriales et du Conseil économique social et environnemental rejeté par l’actuelle majorité parlementaire qui avait surtout dénoncé la méthode cavalière, il n’y a vraiment pas eu de situation de blocage à l’Assemblée nationale. La majorité actuelle de Benno Bokk Yaakaar a même voté tous les textes introduits par le chef de l’État durant cette session extraordinaire. Et, à maintes reprises, lors des sessions précédentes, nombre d’entre eux ont témoigné de leur volonté de ne rien faire pour bloquer les projets qu’ils jugeront pertinents, encore moins le budget.

Même si elle est compréhensible, il n’y a ni urgence ni nécessité

Prévue pour parer aux situations de crise et de blocage du bon fonctionnement des institutions, la dissolution n’a donc jamais été mise en œuvre, même dans les situations de crise les plus profondes. En 1962, rappelle Doudou Wade, il n’y a pas eu de dissolution. ‘’L’Assemblée avait voté une motion de censure ; elle a été constituante et avait procédé à certaines réformes dont la suppression du Conseil. Nous avons continué ainsi jusqu’aux élections de 1963 suivies d’une révision de la Constitution’’.  

À la décharge du nouveau régime, il faudrait aussi relever que jamais, à part l’an 2000, un pouvoir qui vient d’arriver n’a été contraint de cohabiter avec une majorité parlementaire qui n’était pas encore à mi-mandat. En 2012, l’élection de Macky Sall avait coïncidé avec la fin du mandat de la législature qu’il avait trouvée sur place, dominée par le parti défait à la Présidentielle, le Parti démocratique sénégalais.

La situation actuelle n’est donc comparable qu’à celle de la première alternance et à l’époque, Abdoulaye Wade s’était octroyé, à travers la nouvelle Constitution, le moyen d’abréger le mandat de la majorité parlementaire dominé par le Parti socialiste.

Il convient cependant de souligner qu’il n’y avait eu aucune précipitation dans la mise en œuvre de cette mesure. Élu le 19 mars 2000, Wade a gouverné pendant plus d’un an avec la même législature, avant d’organiser de nouvelles élections en avril 2001. Et cela n’a eu aucun impact sur le fonctionnement de l’Assemblée nationale, notamment le vote de la loi de finances de 2002.

 Diomaye pourrait donc bien essayer de faire passer sa loi de finances pour l’année 2025 avant de procéder à la dissolution.

Cela dit, une dissolution n’étonnerait aucun observateur averti, même si le timing pose un véritable problème.

Regard dans le rétroviseur

En cas de dissolution, les Sénégalais seront à nouveau appelés aux urnes pour choisir les 165 députés qui vont siéger à l’Assemblée nationale, avec la 15e législature. Troisième dans la hiérarchie des institutions constitutionnelles après le président de la République et le gouvernement, l’Assemblée nationale a connu jusque-là 12 présidents : Lamine Guèye 1960-1968 ; Amadou Cissé Dia 1968-1983 ; Habib Thiam 1983-1984 ; Daouda Sow 1984-1988 ; Abdoul Aziz Ndaw 1988-1993 ; Cheikh Abdou Khadre Cissokho 1993-2001 ; Youssou Diagne 2001-2002 ; Pape Diop 2002-2007 ;  Macky Sall 2007-2008 ; Mamadou Seck 2008-2012 ; Moustapha Niasse 2012-2022 et enfin Amadou Mame Diop 2022-2024.

Relativement au nombre de députés, il a été plusieurs fois changé par les pouvoirs successifs. De 80 à 1960, l’effectif a été porté à 100 députés en 1978. En 1983, le président Abdou Diouf décide de porter le nombre des députés de 100 à 120. ‘’En 1998, Diouf décide pour une deuxième fois d'augmenter de 120 à 140 le nombre des députés’’, informe-t-on. En 2001, fraichement porté à la tête du Sénégal, Abdoulaye Wade avait estimé que 140 était trop et qu’il fallait réduire le nombre de députés à 120. Le même Wade va changer d’avis en 2007, en décidant de faire passer le nombre de députés de 120 à 150. C’est Macky Sall qui a porté l’effectif à 165, à la faveur de l’érection de la diaspora en 15e circonscription électorale.

 

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