Publié le 13 Dec 2013 - 08:06
EDITO DE MAMOUDOU WANE

Le monde sans Mandela

 

Une semaine que Nelson Mandela a quitté ce monde, le deuil continue à habiter toujours le cœur des hommes sur les continents. Signe que son destin est de rester immortel, même les plus critiques des journalistes occidentaux ne poussent pas l'inélégance jusqu'à fouiner dans les corbeilles de l'histoire pour exhiber le linge sale. Tous les hommes ayant du reste quelque chose à cacher ; une excroissance ou une anémie, il est intéressant de constater que pasi grand-chose n'est encore sorti sur Mandela, de nature à faire pâlir l'éclat de cette étoile, filant dans l'infinie noire et compacte de la “terre des hommes”.

Mais il est encore beaucoup plus intéressant de constater que très peu de leaders à travers le monde ont compris que l'héritage de Mandéla transcendait le destin des 51 millions de Sud- Africains éparpillés sur un million de kilomètres carrés. Et que cet héritage est...dans le vent. Un homme, nous semble-t-il, l'a compris mieux que tout le monde. Il se nomme Barack Obama. Preuve qu'il n'est pas Président des Etats-Unis d'Amérique, par hasard.

Son discours est presque fondateur. Barack Obama revendique sans ambages l'héritage de Nelson Mandela. Pour cela, il n'a pas besoin de porter les habits de régent du monde. Bien au contraire, dans un stade étonnemment clairsemé, Barack Obama déserte sa fonction de président du pays le plus puissant au monde pour tenter une sorte de fusion avec le peuple de Mandela. Il visite à la fois l'histoire et l'imaginaire de ce peuple, à travers des concepts forts que les chercheurs connaissent bien, l'ubuntu.

Le lien transcende l'histoire, il est dans l'influence directe : “il y a 30 ans, j'étais étudiant quand j'ai découvert Mandéla et sa lutte. Cela a fait bougé quelque chose en moi et m'a poussé dans un voyage imprévisible qui m'a amené ici aujourd'hui. Il m'a fait vouloir être un homme meilleur”. Madiba habite les rêves du premier président noir des Etats-Unis d'Amérique. Il reste, si l'on en croit ses propos, le gardien de sa conscience.

“Ai-je bien appliqué ses leçons dans ma vie ? (…) (…). C'est ce que je me demande moi-même en tant qu'homme et en tant que Président”. Le Président Obama, qui a du reste le profil de lhéritage, vu son parcours, pousse la fusion affective jusque dans l'usage du mot “père” qu'il utilise à plusieurs reprises. Les psychanalystes pourraient bien y voir une façon de se donner un père idéal pour combler le fossé affectif qu'il n'a jamais pu trouve chez son vrai géniteur kenyan, qu'il n'a vu que très rarement. Mais nous pensons que tout est délibéré et calculé.

Mais Obama n'a pas fait 12.500 kilomètres, les Bush et les Clinton dans ses valises, juste pour marquer cette filiation- là. Trop intelligent pour laisser quelqu'un s'approcher de l'héritage de son “père”, surtout pas Robert Mugabe, très populaire dans les couches populaires sud-africaines, Obama marque étonnemment bien son territoire : “Trop de dirigeants qui se disent solidaires mais trop suffisants et trop cyniques avec leur peuple (…). Nous ne verrons jamais quelqu'un d'autre comme

Mandela”. Décrypté, cela pourrait bien signifier : “ne vous approchiez surtout pas de mon héritage !”. On peut continuer à lister les propos lourds de sens d'Obama, jusque dans la comparaison établie avec Abraham Lincoln, un des pères fondateurs de la nation américaine et Madiba. Le “pont” est tout trouvé. Surtout que, hasard, l'histoire des deux pays, les Etats-Unis et l'Afrique du Sud, se ressemble à plusieurs égards.

C'est aussi le lieu de se rendre compte à quel point Nelson Mandela est sur un certain plan orphelin sur son propre continent. Depuis sa disparition, aucun chef d'Etat africain en service ou même ancien n'a brillé à l'ombre de sa lueur. Même pas Me Abdoulaye Wade, qui aurait bien pu réclamer une part du flambeau, mais qui a passé le temps de son règne à contester à Mandela une couronne presque naturelle. Justement, Obama sait bien que la couronne est seule sur le trône, étincelant et magnifique, qu'il s'en empare à juste titre.

Plus fondamentalement, cet intérêt pour Madiba qui transcende, qu'on veuille ou pas, les cultures, les continents et naturellement les âges, est révélateur du rôle que ce continent va jouer dans les années à venir. L'Afrique n'est certes pas une terre vierge, mais il est aujourd'hui le seul continent qui a un avenir prometteur, surtout sur le plan économique. Et où les changements de comportement, malgré leur apparente lenteur, sont porteurs d'un immense espoir. L'espoir d'un avenir où les Africains sont euxmêmes les maîtres de leur propre destin. Ce qui est malheureusement bien loin d'être le cas.

Post scriptum :

Madiba n'a même pas encore été porté sous terre que la France déferle avec son armée sur le Continent. Après le Mali, les troupes françaises s'installent en Centrafrique. La méthode est toujours la même, on attend toujours que la plaie pourrisse pour intervenir, sous le nez et la barbe de la Cedeao ou de l'Union africaine. Si les groupuscules incontrôlés comme Aqmi ou Séléka n'existaient pas, il aurait bien fallu les créer, tant ils servent des intérêts précis...

PAR MAMOUDOU WANE

 

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