Pyromanie !
Un avant-goût de feu sur la chienlit lorsqu’elle s’installe. Dakar et Ziguinchor ont montré ce qu’il y a de plus inquiétant dans notre (jadis ?) si beau peuple, lorsque les verrous disjonctent. Nous avons beau mettre en garde sur ces ‘’soupapes’’ de sécurité qui sautent successivement, ce qui inéluctablement mène à la catastrophe, mais très peu de personnes savent aujourd’hui être attentifs aux signaux noirs qui s’amoncellent au-dessus de nos têtes.
Par légèreté, ignorance ou même fuite de responsabilité, nous préférons ne pas regarder la réalité en face, dans toute sa nudité. Et l’on cherche des raccourcis explicatifs parmi lesquels, des arguties bis repetita du fameux bras de fer Senghor/Mamadou Dia, comme si Macky Sall était devenu poète et Sonko, Mamadou Dia ‘’ressuscité’’, 60 ans après ces évènements, pour qualifier ce qui se joue sous nos yeux. En vérité, comme dans la fameuse posture d’autruche, on fuit la réalité, pour se réfugier dans les ténèbres du déni de réalité.
On se refuse par exemple de voir que la population du Sénégal était d’un peu plus de 3 millions en 1960 et qu’elle est de plus de 17 millions aujourd’hui. Que les moins de 18 ans font aujourd’hui trois fois plus que la population totale du Sénégal au lendemain de l’indépendance. Et que la population de Dakar en 2022 (4 millions d’habitants) dépasse à elle toute seule, celle totale du Sénégal en 1960. Inutile de vous faire un cours sur les mille et une galères de cette frange si jeune et si fragile de notre pays depuis plus de 30 ans que plusieurs spécialistes de ces questions tirent la sonnette d’alarme sur la bombe démographique. Lorsqu’une frange aussi sensible de la population, qui a fini d’expérimenter toutes les issues dont celle de l’émigration, ne trouve plus le chemin, enfermée chez soi comme des prisonniers, le moindre catalyseur met le feu aux poudres.
C’est exactement ce qui s’est passé lors des dernières émeutes de mars 2021. Le confinement imposé par le Covid a révélé l’ampleur du mal et la violence dont cette jeunesse pouvait être porteuse. La déferlante joyeuse lors de la victoire des Lions du football à la dernière Coupe d’Afrique des Nations de football a annoncé grandeur nationale, dans les rues, que cette même vague serait difficile à stopper si elle s’engageait dans une autre voie que celle de manifester son bonheur. Cette fois, le catalyseur, c’est Adji Sarr ou Ousmane Sonko ou même le troisième mandat du Président Macky Sall.
Cela peut aujourd’hui sembler cynique de le dire, mais le problème dépasse à la fois le Président Macky Sall ou son opposant le plus coriace Ousmane Sonko. La question de fond n’est ni Macky Sall, ni Ousmane Sonko. Ces derniers ne sont en vérité que des catalyseurs de violences, mais la place était déjà pleine de dangers depuis fort longtemps. Et les responsabilités, si on devait les sérier, n’épargneraient sans aucun doute, les cellules familiales, premier creuset à travers lequel, les valeurs essentielles à la vie en commun sont inséminées, dès le plus jeune âge. Faillite de l’Etat, mais aussi démission des parents (ou délitement de leur autorité) qui estiment à tort devoir laisser le job d’éducation de base au… Ciel.
Caricaturer la situation dans les conditions où nous nous trouvons aujourd’hui ne sert absolument à rien, mais franchement qui aujourd’hui peut dire qu’il contrôle ces jeunes que nous avons vus dans la rue, piller et brûler à tout va ? C’est cela la face triste de ces mouvements qu’aucune force politique ne peut ni stopper, ni revendiquer. Qui n’a pas remarqué la quasi absence de pancartes pour véhiculer des slogans contre Macky Sall, en faveur de Sonko.
Rien de tout cela. Que de la furie et du feu ! Cette fragilisation de l’espace public ne fait, comme dit et répété à longueur d’éditos, l’affaire de personne. Même pas les opportunistes politiques qui, pensant récupérer d’hypothétiques dividendes, jettent de l’huile sur le feu ; priant intimement que la tension perdure. Comme le dit si bien le Sage Bambara, ‘’lorsque le feu prend la savane, il ne fait pas la différence entre hautes et basses herbes’’. Il ne discrimine en effet pas entre le sage, le pacifiste et le pyromane. Le feu ne connaît pas de frontières si ce ne sont celles que lui imposent d’autres forces. Le feu peut aussi densifier sa puissance destructrice en s’alliant avec d’autres forces qui l’attisent. Ces forces, à l’image du vent, sont bien invisibles. Mais elles existent et peuvent avoir des motivations politiques, religieuses, géostratégiques ou même localement circonscrites.
Cette tension extrême nous semble aussi être l’avant-goût de ce qui attend le prochain Président de ce pays. La mode VAR en politique qui fait des ravages sur le troisième mandat nous enseigne que les promesses difficiles ou impossibles à tenir, peuvent être des facteurs de crise profonde. Le plus dur reste sans doute à venir.