Publié le 29 Jan 2024 - 07:05
ÉDITO PAR MAHMOUDOU WANE

Promiscuités

 

Stressante, éreintante, kafkaïenne, malveillante et cassante. 2023 se sera présentée sous une toge maléfique. Le Sénégal a bien été à deux doigts de toucher le fond. L’année du feu et du sang. On aura titillé tous les fonds et expérimenté, en mode réel, ce qu’on percevait de loin, souvent, à la télévision ou sur Internet, comme aventures malheureuses de pays voisins. Les fissures qu’on voyait se dessiner sur la terre ferme ont subitement accéléré leur travail pour se présenter comme de véritables failles, bien réelles. Failles générationnelles, cassures idéologiques, replis identitaires, apologie de la mort, lavage de cerveau, fake news, attaques des symboles religieux… Tous les ingrédients se sont assemblés - ou ont été assemblés - pour que les verrous sautent un à un. 
Mais curieusement, ils n’ont pas tous sauté. Cela relève sans doute d’un miracle, comme le Sénégal sait en expérimenter. Côtoyer les abîmes sans plonger. Le miracle va-t-il se poursuivre ?  

Rien n’est moins sûr. Les nuages noirs qui annoncent la tempête continuent de s’amonceler dangereusement au-dessus du ciel sénégalais. Comment, en effet, comprendre que l’institution qui symbolise le summum du pouvoir Judiciaire, le Conseil constitutionnel en l’occurrence, soit trainée dans la boue, simplement parce qu’un candidat  qui aurait pu régulariser sa situation de citoyen depuis belle lurette, roupille une dizaine d’années pour ne se réveiller qu’au moment où il est assuré d’être forclos ? Comment comprendre qu'un magistrat comme Cheikh Tidiane Coulibaly, dont l’intégrité est connue aussi bien de ses pairs que toutes les personnes renseignées sur les affaires d’État, soit attaqué de façon si abjecte, au soir de sa riche et honnête carrière ?

Et pourquoi donc une question aussi sérieuse que le report d’une élection présidentielle n’a pu être posée que maintenant, alors que l’impasse était visible en amont ? Pourquoi nos surdoués de la politique ne perçoivent-ils le problème que maintenant, alors que la sonnette d’alarme a retenti depuis belle lurette ?

Et que faire maintenant, à moins d’un mois d’une élection présidentielle, avec des candidats déjà validés par le Conseil constitutionnel, dernier étage de l’édifice judiciaire sénégalais ?

Autant d’interrogations diverses qui renvoient à la même matrice.

Ce qui est clair, c’est que nous sommes à la croisée des chemins. Nous allons assurément fermer une page pour en ouvrir une nouvelle. La question est de savoir comment cette nouvelle phase d’histoire que nous allons expérimenter se présentera. Cela dépendra amplement de nous. De notre capacité à rester lucides. Mais le risque de perdre le fil, au soir du départ de Macky Sall, est bien réel.

L’opposition a justement été très critique vis-à-vis du bilan du règne de Macky Sall, bien que ce dernier ait laissé de fortes traces bien visibles de son passage en termes d’infrastructures (TER, BRT, etc.). On pourra toujours titiller son bilan dit ‘’immatériel’’ qui n’est sans doute pas des plus parfaits. Mais fondamentalement, nous pensons que l’appréciation correcte et honnête de son bilan global ne se fera qu’après son départ, comme du reste l’a été le passage de Me Wade dont le côté ‘’diable’’ a été mis en valeur de façon outrancière, alors qu’il y avait aussi de belles choses à apprécier de son travail. Le scénario risque de se passer de la même façon pour Macky Sall qui pourrait avoir droit jusqu’à… des hommages immérités. 

Bien malin donc qui pourrait savoir ce qui se passera même dans les prochaines semaines. L’espace politique est habité par une surdose d’émotions qui brouille les esprits et les cœurs. On a partout chanté notre capacité à se surpasser en temps de crise, mais nous savons nous-mêmes qui nous sommes. Très prompts à critiquer et à ‘’dégager’’, et frileux quand il s’agit de bien choisir. Bien souvent, la malveillance, l’esprit de ressentiment et la volonté vengeance prennent le dessus sur la bienveillance, l’intérêt commun et l’esprit de dépassement. Ces contre-valeurs sont partout présentes dans l’espace public
alimenté de lavages à grande eau des cerveaux, les fake news, etc.
L’espace public qui devrait être celui de toutes les ouvertures est devenu celui de toutes les promiscuités, des replis identitaires et cassures générationnelles.

Le prochain président aura du pain sur la planche.

Section: