Remparts en péril
On dit bien souvent de la démocratie qu’elle est un système certes imparfait, mais le mieux à même d’assurer une certaine liberté aux citoyens vivant sous son manteau. Mais on oublie d’insister sur le fait qu’elle est très fragile et peut facilement s’effondrer sous le feu de ses propres contradictions ou excroissances inattendues. Ceux qui ont réfléchi sur le sujet, à commencer par les pères fondateurs de la Science politique, l’admettent volontiers.
L’on a, en effet, une large documentation sur le sujet, de penseurs qui sont allés scruter la démocratie telle qu’elle s’est matérialisée dans l’histoire des hommes, à divers endroits du monde.
L’on oublie trop vite que dans les années 30, les Allemands ont, en toute liberté et conscience, adoubé et porté Adolf Hitler qui va devenir chancelier pour ensuite dérouler le tapis de la mort sous les pieds du monde. Et plus récemment, le 45e président de la plus importante démocratie du monde, Donald Trump, a failli mettre à terre l’Oncle Sam, allant jusqu’à faire attaquer les institutions américaines par ses partisans. L’Amérique porte encore les stigmates de ces bravades qui ont certes terni l’image qu’elle véhicule, mais bien heureusement, le système a résisté pour finalement réussir à circonscrire le mal. Trump est aujourd’hui dans les mélasses d’une sulfureuse affaire qui en fait oublier la ‘’prise’’ du Capitole.
On peut évoquer d’autres cas comme le Brésil, avec comme fil d’Ariane, le populisme de bas étage.
Si l’on engage ainsi la réflexion sur la démocratie et ses caprices, c’est parce que justement, nous ne sommes point à l’abri d’un effondrement de notre ‘’case’’ Sénégal. Les mêmes symptômes décrits plus haut sont là, bien visibles. Les méthodes sont vieilles, mais elles semblent marcher à toutes les époques : la promesse d’un avenir meilleur et l’engagement total au service de la Cause. La fin justifiant les moyens dans ce paradigme qui puise sa force dans l’irrationnel, et la Cause étant placée au-dessus des pauvres vies humaines qu’elle engage et dont elle peut disposer à souhait, les autres pièces du puzzle se mettent elles-mêmes en place.
On a juste besoin de convoquer les instincts les plus basiques, les pulsions primaires et les ressorts émotifs profonds pour tourner la machine. Naturellement, le vocabulaire de l’offre politique est délibérément guerrier. ‘’Je suis prêt à mourir. Êtes-vous aussi prêts à mourir pour la Cause ?’’. L’écho de cette clameur ne peut que dire : ‘’Oui.’’ C’est une bien dangereuse offre politique et un déficit d’intelligence politique que de proposer à des jeunes, à la fleur de leur vie, de servir de chair à canon pour la réalisation de ses objectifs politiques.
C’est pourtant ce que propose aux jeunes, dans ses sorties, et de façon récurrente, le leader du Pastef, Ousmane Sonko, présenté comme un sérieux candidat à la succession de Macky Sall. Maitre Abdoulaye Wade, un des pionniers de la ‘’kamikaze formula’’, ne poussait jamais le rubicond jusqu’à élever cette méthode ‘’kamikaze’’ au rang de vertu citoyenne.
Mais comme dans les démocraties qui flanchent, ce sont moins les actes de ceux qui veulent piéger la démocratie qui impactent le plus, que le silence de ceux qui sont supposés en être les remparts. Or, ce qui semble être la mode et donc plus commode pour se donner une certaine ‘’crédibilité’’ argumentative, c’est toujours d’ouvrir le feu sur le pouvoir, le troisième mandat auquel le président Macky Sall n’aurait pas droit, et les autres dérives liées à sa gestion de l’État. Évidemment que le pouvoir doit être critiqué dans sa gestion des affaires publiques. Si la police ou la gendarmerie semblent avoir la main trop lourde dans la répression, au point de faire des victimes dont on aurait pu se passer, les organisations de défense des droits humains peuvent raisonnablement dénoncer les dérives. Et l’opposition est aussi dans son rôle en le faisant.
Mais le problème réside dans le caractère sélectif de l’indignation. On ‘’oublie’’ de pointer du doigt, de façon ferme, certaines dérives verbales qui n’ont pas droit de cité en République et qui sont dangereuses pour la stabilité du pays, lorsque c’est un opposant qui porte la mauvaise parole. Pourtant, celle-ci, parce qu’elle peut catalyser les forces les plus obscures, est sans nul doute plus nocive, sur l’échelle de la dangerosité, que les balles perdues.
Tout ce qui est excessif est dérisoire.