Publié le 24 Jul 2013 - 12:36
EDITO DE MAMOUDOU WANE

 Vous avez dit démission ?

 

" Un seul mensonge fait plus de bruit que cent vérités "

Georges Bernanos, ''Chemin de la Croix-des-Âmes''

Le feuilleton Niang-Keïta a toutes les qualités dramaturgiques requises pour s'imposer comme le thriller de l'hivernage 2013. Il y a le ''bon'' et le ''méchant'' ; un  ''héros'' nommé Keïta pour faire trembler la citadelle Police, de l'action comme dans ce parking où Austin a été arrêté par la Section opérationnelle de l'Ocrtis, du suspense sur le fil, des ''narco'' étrangers, des flics ''corrompus'' etc. Il ne manque, pour donner plus de mordant à cette histoire, que de créer la belle créature féerique; histoire de mettre un petit grain de romantisme dans l'histoire, pour qu'à la fin, comme dans tous les bons films, le héros puisse savourer sa victoire, dans une étreinte finale, les étoiles dans le ciel. Et pourquoi pas, comme nous sommes au Sénégal, à l'ombre des  baobabs ?   

Le ''thriller'' Niang-Keïta n'a visiblement rien à envier, en termes de charge émotionnelle, à l'affaire Edward Joseph Snowden, du nom de ce jeune informaticien de 30 ans, ancien employé de la Cia, qui a rendu publiques des informations classées top-secret de la NSA sur la captation des métadonnées des appels téléphoniques aux Etats-Unis ainsi que le système d'écoute sur internet. Tous les pays du monde sont visités par la ''pieuvre'' qui a  installé ses oreilles partout. Pourtant tout le monde savait que les Etats-Unis espionnent tout le monde. Seulement voilà, le coup porté par Snowden  a été si bien asséné que les Etats-Unis sont bien obligés de le traquer pour qu'il n'en dise surtout pas plus. On remarquera en passant que nos bons amis les Américains, grands donneurs de leçons, surtout lorsqu'il s'agit des libertés, ne convoquent plus la béquille droit-de-l'hommiste, lorsque leurs sacro-saints intérêts sont en jeu. 

Mais la comparaison est plutôt glissante. Car si Snowden est assis sur du roc, rien en l'état actuel de l'affaire soulevée du trafic de drogue dans la Police, ne permet d'incriminer l'actuel Directeur général de la Police, Abdoulaye Niang. La vérité, c'est qu'il manque encore du béton pour asseoir un vrai scandale. Seule certitude, c'est que des dossiers sont agités, sur la base d'''aveux'', arrachés (?) au bout de dix jours de garde-à-vue, on ne sait d'ailleurs comment, par un commissaire de Police qui est loin d'être un exemple de...vertu. Il se trouve d'ailleurs que les faits allégués se dérobent pour emprunter le chemin inverse de l'accusation ; le profil de Keïta posant visiblement problème.

Pourquoi dans ces conditions-là, l'actuel Directeur général de la Police devrait-il démissionner ? Si on suit bien cette logique, n'importe quel guignol, même paré des oripeaux de la République, peut se réveiller un matin, confectionner un rapport contre un collègue gênant et réclamer ensuite sa tête, avant même que la lumière ne soit... La charrue avant les bœufs, on s'enfermerait alors dans une logique circulaire bien suicidaire pour le pays, avec des  démissions à la pelle, au quotidien, sur la base de simples accusations. C'est sans exagérer, ce qui se passe dans les forums sur internet. On lance une ''petite bombe'', vraie ou fausse. Et le ''jury'' des internautes prononce l'arrêt de mort, avec d'ailleurs le même individu qui se multiplie autant de fois qu'il veut, par la magie de la toile pour expédier ses sentences injurieuses, bien courageusement caché derrière son petit écran. Au nom de quoi devrait-on traîner quelqu'un à la guillotine, sans avoir aucune preuve de la véracité de ce dont il est accusé ? Il va sans dire que si le commissaire Abdoulaye Niang est bien membre de la pieuvre ''cocaïnisée'', il mériterait non seulement d'être limogé de son poste mais aussi des poursuites dans le cadre d'une procédure judiciaire normale. On  n'en est pas encore là. En attendant, il faut bien que nous canalisions notre soif de sang...

En vérité, toute thérapeutique qui sera appliquée à la Police, sans prendre en compte les vrais problèmes de ce corps bien spécial aussi bien du point de vue de son histoire que de l'état d'esprit actuel qui y prévaut, sera vouée à l'échec. Les Sénégalais ont tous grommelé ''shocking'' dans l'affaire de la drogue, tout en tolérant tous les jours le spectacle grandeur nature de la corruption dans la circulation. Tout le monde fait semblant de n'avoir pas vu les tétons de la demoiselle. On peut transposer des cas dans des corporations entières où des pratiques de ce genre se passent tous les jours. Sous le nez et la barbe des Sénégalais ? En vérité, tout le monde sait, mais chacun pointe le doigt sur le pantalon de l'autre pour éviter qu'on lorgne son caleçon. Un vrai problème de société, qui ne peut être éradiqué sans une dynamique révolutionnaire bien assumée. Mais enfin...la balle est en partie dans le camp de l'Exécutif.  

 Et il est étonnant que le Président Macky Sall qui a la réputation, au sein de la Police, d'avoir été l'un des meilleurs ministres de l'Intérieur du  régime de Wade, ne capitalise pas cette expérience pour y mettre de l'ordre. Dans le contexte actuel où la déliquescence des appareils d’État est à la mode dans la sous région (Mali, Guinée-Bissau etc), la sécurité est une question de vie et de mort. Or, c'est bien un secret de Polichinelle que les flics ne sont pas bien dans leur peau. Moral à zéro. Pas seulement à cause de cette affaire qui vient révéler un malaise profond, mais du fait de multiples facteurs. On étale le tapis rouge aux autres corps en oubliant que c'est la Police qui assure d'abord la sécurité intérieure. Le bulletin de salaire d'un commissaire même divisionnaire est tellement rachitique par rapport aux autres hauts fonctionnaires de l’État que certaines frustrations deviennent légitimes. C'est dire que tout rafistolage, qui consisterait à ne voir des poux que dans la tête de certains flics, tout en occultant les responsabilités aujourd'hui désertées de l’État, est voué à l'échec. Le ver n'est pas seulement dans le fruit.

 

Section: