Publié le 20 Jun 2016 - 15:41
ELARGISSEMENT DE KARIM WADE

Macky Sall pas seul contre tous

 

Pente régressive, rupture du lien de confiance, acte de grandeur politique, la libération annoncée de Karim Wade va redéfinir les rapports politiques entre le parti présidentiel, ses alliés et la société civile. Les camps se dessinent pour un remake du  oui et du non.

 

Contexte de décrispation et d’incertitudes sur les modalités de la libération de Karim Wade, les positions sont de plus en plus tranchées dans le champ politique et au-delà, l’espace public. La société civile et certains politiques, la gauche sénégalaise principalement, ne font pas mystère d’une désapprobation totale sur une probable libération. Alors que la contestation a été timide au lendemain du dialogue du 28 mai dernier, elle est désormais de plus en plus audible. De tous les alliés politiques de l’Alliance pour la République (Apr) qui dénoncent le principe d’un élargissement, seul le Mouvement de la réforme pour le développement social (Mrds) de l’imam Mbaye Niang a été conséquent avec lui-même en séchant le dialogue et en quittant la coalition présidentielle.

Pour l’avant-référendum du 20 mars déjà, deux députés de ce parti avaient quitté la coalition parlementaire à l’Assemblée, dénonçant le non-respect de la parole du président sur la réduction de son mandat. Subodorant que le dialogue n’était qu’un paravent à la libération de Karim Wade, ‘‘le Mrds ne saurait continuer à prendre part à une rencontre de compromission sur le dos du peuple’’, faisait savoir un des membres du bureau, Mohamed Sall en conférence de presse la semaine dernière. Plus à gauche, c’est la Ligue démocratique (Ld), par la voix de son secrétaire général Mamadou Ndoye qui dénonce le blanc-seing que constituerait un élargissement de l’ancien ministre de la Coopération internationale.

‘’Si Karim est libéré, ce serait un message politique donné à tous les gens qui seraient tentés d’aller vers les détournements et la corruption’’, dénonçait-il sur les ondes de la Radio Futurs Média. La position du Parti de l’indépendance et du travail (PIT) est plus nuancée. Si elle accepte une libération conditionnelle et tolère à peine la grâce, la formation exclut toute idée d’amnistie. ‘‘Si Macky Sall amnistie Karim, ce sera très mauvais pour lui, ce sera très mauvais pour le Sénégal’’, déclarait le chargé des questions économiques du parti, Ibrahima Sène,  dans nos colonnes samedi.

La société civile n’est pas en reste. ‘‘Notre unique souci est de nous opposer à la dérive de notre République. La libération de Karim dans les conditions que nous vivons est l’acte qui cristallise cette dérive au moment où il s’agit de la redresser’’, déclarait Amadou Guèye coordonnateur de l’Union nationale des indépendants du Sénégal (Unis). Malal Talla alias fou malade dont le collectif Y en a marre s’est distingué dans la lutte contre les dérives du régime Wade, s’est aussi démarqué de cette tournure prise par les événements. Dénonçant un système de privilégiés sénégalais, il a estimé que ‘‘nous avons une justice qui défend les forts et affaiblit les faibles’’, sur le plateau de l’émission Qg de la Tfm, vendredi dernier.

Le président de la Ligue sénégalaise de droits humains (Lsdh) qui a toujours affiché son opposition à la juridiction qu’est la Crei, semble être rejoint par  Alioune Tine, très nuancé dans sa dernière sortie. ‘‘Par dessus tout, la juridiction qui a jugé Karim qui, aux yeux des organisations des droits humains, ne répond pas aux normes internationales d’un procès équitable’’, a confié le Directeur du bureau régional d’Amnesty international pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre.

Justifications minimalistes

‘‘La prison n’est pas la seule modalité de répression.’’ L’argument ‘humaniste’ du conseiller en communication de la Présidence, El hadji Hamidou Kassé, a l’heur de profiter du contexte du Ramadan. Le camp présidentiel, compte tout naturellement sur le noyau dur de l’Apr dont le leader, Macky Sall, est à l’initiative de cette libération. Compérage politique avec le Pds ou pas, les marron beige  boivent le vin qu’ils s’apprêtent à tirer. ‘‘Il n’y a pas de deal comme le prétendent certains individus. Ceux qui refusent de voir la réalité, ils n’ont qu’à continuer leur chemin.

De toute façon, le Sénégal est un pays de paix et de dialogue’’, défend le secrétaire d’Etat à l’alphabétisation, Youssou Touré. Le Parti démocratique sénégalais (Pds) qui n’en demandait pas tant attend quant à lui que la libération de son candidat se concrétise. ‘‘J’applaudis des deux mains car ce serait un acte majeur à saluer.

La place de Karim, comme de tout le monde, ce n’est pas la prison’’, estime le patron des cadres libéraux, Abdoul Aziz Diop, récemment blanchi de poursuites judiciaires. Le Rewmi, dont le président Idrissa Seck avait dénoncé  une entente sur le dos des Sénégalais, semble souffler le chaud et le froid. La formation du président du Conseil départemental de Thiès est plus préoccupé à se rattraper après son ratage du dialogue du 28 mai. Le parti a rejoint la session de revue du fichier électoral et a mis en sourdine son opposition à ce qu’Abdoulaye Daouda Diallo pilote les travaux. Cette éventualité ouvrant sur d’autres spéculations, Macky va-t-il renforcer ses alliés politiques, au lieu de les affaiblir, avant une autre éventualité (entrée du Pds dans un gouvernement d’union nationale) ? Rien n’est moins sûr !

OUSMANE LAYE DIOP

 

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