Un folklore qui fait tache
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Le Magal de Touba de l’année 2021 a vécu. En plus des habituelles recommandations du fondateur du mouridisme, Cheikh Ahmadou Bamba, comme la lecture du Coran, les chants religieux et la distribution à souhait de nourriture, les pèlerins ont, cette année, assisté à une nouvelle tendance marquée par l’exposition des parures en or et un dressage raffiné des mets.
La 127e édition du grand Magal de Touba a été célébrée, ce dimanche 21 septembre. Au lendemain de cette commémoration, le khalife général des mourides, Serigne Mountakha Bassirou Mbacké, a profité de la traditionnelle cérémonie officielle pour livrer, par le canal de son porte-parole, Serigne Bass Abdou Khadre, d’importants messages à l’endroit du peuple et des dirigeants du pays. Ses propos ont tourné essentiellement autour du revers des réseaux sociaux ou encore la gestion des inondations, voire la stabilité du pays, en cette période pré-électorale.
Seulement, si ses déclarations ont été bien intégrées par les fidèles mourides, la plupart ont retenu autre chose de cet évènement religieux. En effet, depuis quelque temps, une femme au teint clair est visible sur plusieurs statuts WhatsApp et sites internet. Au milieu d’une foule acquise à sa cause, elle dégaine des billets de banque et se distingue particulièrement par la quantité de ces parures en or. De l’écharpe au bracelet, en passant par le masque, tout brille chez elle.
Si cette pratique l’a propulsée au-devant de la scène durant ce Magal, la concernée, elle, relativise. ‘’Je ne suis pas venu avec une quantité importante. Il ne s’agit que de 12 kilogrammes d’or et j’ai prévu une parure pour chaque tenue’’, laisse-t-elle entendre, sourire aux lèvres, le jour des festivités.
Le socio-anthropologue Pape Serigne Sylla souligne que ces pratiques ont toujours existé. Ce qui change, à ses yeux, c’est l’apport des technologies de l’information et de la communication. Pour notre interlocuteur, les fêtes religieuses au Sénégal ont toujours présenté un côté folklorique et la religiosité dans ce pays est souvent électrique. ‘’A supposer qu’il s’agisse de dérives et d’exagérations, les cérémonies cultuelles observées au sein des organisations confrériques ont toujours présenté ces aspects. La démocratisation des moyens modernes de communication a fortement contribué à les rendre plus visibles, mais il ne s’agit guère de factualités nouvelles’’, fait-il remarquer.
Le spécialiste reconnait, cependant, que les formes d’expression de ces dérives changent et se présentent autrement, au fil des années. ‘’Nous sommes habitués à constater de l’exubérance durant certaines cérémonies religieuses. De la profusion de nourriture, du gaspillage alimentaire ou encore un semblant de dandysme concurrentiel. Ce qui nous semble nouveau, ce sont les méthodes utilisées aujourd’hui par les disciples pour reproduire ces pratiques. Les grands rendez-vous religieux, comme le Magal de Touba, sont des occasions pour que ce phénomène, bien connu au Sénégal, se révèle au grand public’’, estime M. Sylla.
Ainsi, si jusque-là, les organisateurs de ces évènements religieux, que ce soit le Gamou ou le Magal, ont toujours insisté sur un port vestimentaire correct et pudique, force est cependant de reconnaitre que d’autres tendances se dessinent. D’ailleurs, à la veille de la commémoration du départ en exil de Cheikh Ahmadou Bamba de cette année, de nouvelles directives ont été transmises aux disciples. Il s’agit, en effet, de l’interdiction du port de pantalon bouffant aux filles et de tout autre accoutrement de style occidental laissant deviner les contours féminins aux alentours de la grande mosquée de Touba, ainsi que les Snaps très prisés par les jeunes.
L’on se rappelle d’ailleurs du Snap de l’actrice de Mbarodi, Marichou, à l’intérieur de la Grande mosquée de Touba, qui avait suscité l’ire des mourides, durant le précédent Magal.
Parallèlement, l’une des particularités de la commémoration du départ en exil au Gabon du fondateur du mouridisme, reste sans nul doute le ‘’mberdél’’ ou les repas festifs recommandés à cet évènement. Des mets à perte de vue qui peuvent impressionner le pèlerin qui effectue ce pèlerinage pour la première fois. Il faut cependant noter que, pour cette année, de nombreuses femmes et filles de dignitaires mourides ont relevé la barre très haut.
A la place des traditionnels bols et plats collectifs, les autochtones ont préféré faire appel, cette année, à des services traiteurs. Ainsi, en plus d’un menu alléchant servi dans de luxueuses vaisselles, les invités, pour la plupart des célébrités, ont eu droit à des dressages et décorations dignes des cérémonies de mariage ou baptême.
Pour le socio-anthropologue, la sacralité de ces comportements dépend en réalité des fonctions sociales qui leur sont attribuées et des acteurs qui les portent. Pape Serigne Sylla pense ainsi que chacun peut se justifier par l’exécution des recommandations du fondateur du mouridisme. ‘’Si je prends l’exemple du Magal de Touba, la profusion de nourriture et le bel accoutrement sont des éléments indispensables dans le culte et expriment une certaine sacralité. Si vous interrogez les gens qui portent des masques en or ou font appel à des traiteurs ou cuisiniers professionnels, ils vous diront probablement qu’il s’agit d’une façon parmi d’autres de rendre grâce à la divinité, conformément aux recommandations de Serigne Touba. Je pense que le problème n’est pas du fait du masque en or pour célébrer le Magal, mais plutôt de celui qui le porte. Des marabouts font souvent bien pires, sans que cela ne suscite autant d’indignation’’, croit-il savoir.
Toutefois, M. Sylla est d’avis que le sens originel du Magal est très peu ou mal connu par les nouvelles générations de disciples. A ses yeux, derrière la ferveur communicante qui accompagne le Magal, se cachent tous les défauts de la société sénégalaise, à savoir la cupidité, la vantardise et le gaspillage.
HABIBATOU TRAORE