Publié le 26 Jun 2013 - 21:20
FAUSSE NATIONALITE

L'état civil, la racine du mal

 

Après la polémique soulevée par la nationalité de Koukoi Samba Sanyang, EnQuête a fait un tour au tribunal départemental de Dakar. Le constat ou l’aveu fait par des juges, c’est que les étrangers peuvent avoir la nationalité sénégalaise, à cause des failles sur l’état civil. 

Lorsque nous sommes arrivés dans son bureau, le juge s’apprêtait à signer une requête pour l’établissement d’un certificat de nationalité. Il s’agit d’un document comprenant une demande manuscrite adressée à la présidente du tribunal départemental de Dakar et deux extraits de naissance : celui du requérant et de son père. Après vérification, le magistrat n’a décerné aucune anomalie sur les deux actes de naissance. Aussi a-t-il apposé sa signature sur la requête qui portait déjà celle du procureur. Le requérant peut espérer obtenir son certificat de nationalité, après avoir rempli les autres formalités.

Pourtant assure notre interlocuteur : ‘’ En signant, aucun juge ne peut jurer que les actes sont authentiques. Il y a juste un contrôle sur pièces’’. En d’autres termes, reconnaît notre interlocuteur, un étranger peut bel et bien obtenir la nationalité sénégalaise. Cela n’en déplaise aux autorités judiciaires qui, pour enrayer le phénomène, après le démantèlement, il y a quelques années, d'un réseau de faussaires s’activant dans la délivrance de certificats de nationalité, surtout à des étrangers, avaient apporté des correctifs, en exigeant des actes d’état-civil, à la place de la copie de la carte d’identité nationale.

''Confier l’état civil à des privés, comme au Maroc''

Une option qui est loin de résoudre le problème, d’autant que constatent plusieurs juges interpellés, notre état civil présente des failles. Or, poursuit notre interlocuteur, ‘’le juge ne reçoit que des requêtes présentées, alors que rien ne prouve que les actes versés au dossier sont authentiques’’. En guise d’illustration, notre interlocuteur exhibe les fameux actes de naissance et explique : ‘’Vous voyez, les deux actes comportent toutes les mentions prévues par la loi. Et plus, il y a le timbre, le cachet et la signature de l’officier d’état civil’’. Pourtant confie le magistrat : ‘’rien ne me prouve qu’il s’agit d’actes authentiques ou faux. S’il y avait un système informatisé, je pourrais vérifier réellement si la signature de l’officier d’état civil est authentique‘’. Donc, étant dans l’impossibilité de procéder à des vérifications, ‘’à cause de l’absence de connexion entre les Officiers de police judiciaires, magistrats et officiers d’État civil pour un contrôle du fichier informatisé’’, le juge est obligé d’apposer sa signature.

‘’Ce n’est qu’en cas de doute apparent qu’on demande la production de la copie littérale de l’acte de naissance, ou le registre d’inscription’’,  renseigne notre interlocuteur. Encore que pour cette seconde option, poursuit le juge, ‘’cela est matériellement impossible, car il peut arriver que le requérant vienne d’une localité éloignée’’. C’est pourquoi le magistrat pense qu’on devrait aller dans le sens de la sécurisation de l’état civil, par le biais des moyens technologiques. L’idéal, selon lui, est de confier l’état civil à des privés, comme c’est le cas au Maroc. Sans quoi, se désole-t-il, ‘’non seulement les gens vont naître et renaître et les étrangers vont se glisser dans le fichier, surtout par le biais des audiences foraines qui souvent sont organisées, soit pour des raisons politiques ou par les directeurs d’école, pour permettre aux élèves âgés de se présenter à l’examen’’.

‘’Tant qu’il y aura des audiences foraines, il y aura des fraudes sur l’état civil’’

Un avis largement partagé par un de ses collègues qui a une longue expérience, en matière civile. ‘’Tant qu’il y aura des audiences foraines, il y aura des fraudes sur l’état civil’’, fulmine le juriste. En fait, durant ces audiences foraines organisées à la demande des élus locaux ( PCR, ) pour une régularisation du statut des personnes qui n’ont pas été déclarées à la naissance, il suffit juste de deux témoins pour attester de la naissance de la personne pour que le juge le constate. Or fait savoir le magistrat, ‘’ Il arrive même que la personne présentée à la barre ne soit pas celle qui est réellement concernée par la déclaration tardive’’.

C’est pourquoi, renseigne un autre juge, il est demandé, ‘’par mesure de prudence’’, la présentation d’un certificat  d’accouchement ou de carnet de suivi de la grossesse de la mère. Même à ce niveau, regrette-il, ‘’ il est arrivé que ces documents soient complaisants’’. Formel, au fait que les audiences foraines soient la source du mal, le juge soutient que les individus préfèrent cette voie de recours. Car, dit-il, ‘’lorsqu’une requête normale est introduite pour déclaration tardive, une enquête est menée et dans ce cas, le procureur peut procéder à des arrestations, en cas de tentative de fraude’’. Donc au-delà de la sécurisation de l’état civil, un magistrat à la Cour d’appel invite l’État à inciter les parents à déclarer les enfants à la naissance. Une politique surtout en direction des paysans, qui contrairement aux fonctionnaires et autres travailleurs, ne sentent pas le besoin de déclarer leur enfant, à cause de l’absence d’incidence financière.  

FATOU SY
 

 

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