Publié le 12 Feb 2015 - 02:22
FRAUDE FISCALE ET FUITE DE CAPITAUX

L’Etat invité à prendre ses responsabilités 

 

Le scandale Swissleaks, qui vient de mettre à nu un système mondial d’évasion fiscale, doit inciter le gouvernement à définir de nouvelles stratégies pour récupérer ces fonds, mais aussi d’établir des garde-fous, à l’image de la France, pour contenir une saignée aux conséquences drastiques sur les économies nationales.

 

Les révélations du journal français Le Monde, en collaboration avec le Consortium international du journalisme d’investigation (Ciji), dont le groupe Ouestafs news, continuent à soulever des vagues. Ces fuites de capitaux estimées à plus de 1 800 millions de dollars, soit 94 milliards de Fcfa pour le Sénégal, constituent un énorme manque à gagner pour les services fiscaux. Une face visible de l’iceberg qui doit inciter les gouvernants, de l’avis des économistes et des observateurs, à prendre des mesures draconiennes pour une embellie financière.

Le professeur Moustapha Kassé, doyen honoraire à la faculté des Sciences économiques et de Gestion (Faseg) qui a eu à attirer l’attention des autorités étatiques sur ces mouvements financiers, demande à l’Etat ‘’de prendre ses responsabilités et de mobiliser ces fonds pour l’essor économique du pays’’. Dans cette perspective, il juge qu’il est judicieux de changer de fusil d’épaule dans la lutte contre l’enrichissement illicite. La manne financière planquée au niveau de la banque américano-suisse HSBC PB illustre à souhait que le gouvernement doit revoir sa stratégie. ‘’Au lieu de continuer à mobiliser des fonds à l’extérieur, l’Etat du Sénégal doit retenir ses capitaux de l’intérieur.’’

Pr Kassé : ‘’Les responsables de ces fuites sont connus depuis longtemps’’

D’ailleurs, le professeur Kassé  a eu à sonner l’alerte, dans son ouvrage intitulé ‘’L’industrialisation africaine est-elle possible ? Quel modèle pour le Sénégal ?’’. Il accorde, dans le document, une place de choix à ce mal rampant en passe de créer un gouffre financier colossal. Interpellé au téléphone, le doyen honoraire de la Faseg souligne qu’il est difficile de faire une estimation sur l’énorme préjudice des fuites de capitaux et des placements de mannes financières dans des paradis fiscaux. ‘’On ne peut faire d’estimation par rapport aux conséquences sur nos budgets. Mais, elle est probablement supérieure aux chiffres jusque-là avancés. Les enquêtes du journal Le Monde ne concernent que la banque suisse, or il doit exister d’autres paradis fiscaux’’. Et d’ajouter : ‘’Il faut retenir qu’à l’échelle de l’Afrique, les capitaux en fuite sont plus importants que l’aide au développement estimée entre 300 et 500 milliards de dollars.’’

Dans le même sillage que les journalistes d’investigation, des études de Léonce Deinkoumane de la Banque africaine de développement  (Bad) ont confirmé largement l’ampleur de ce phénomène en Afrique. Mais pour M. Kassé, ‘’les  mécanismes de réalisation de ces fuites qui passent par la banque ont changé, de même que le système. La particularité, aujourd’hui, c’est que les responsables de ces fuites sont connus depuis longtemps’’. A cet effet, le dynamisme de la  filiale lybano-syrienne dans ce domaine est très remarqué.  La raison : ‘’Le Liban était une bonne planque financière, avant qu’il ne soit aux prises avec une instabilité’’. Pour M. Kassé, l’Etat doit également s’attaquer à l’optimisation fiscale, en ce sens que les multinationales contournent les services fiscaux.

 Pour le Forum Civil, ‘’le mal est plus profond’’

S’il est démontré de part et d’autre que ces transactions financières constituent un frein à l’envol des jeunes nations africaines, en ce sens qu’elles créent de la moins-value, en termes de financement, le Forum civil ne s’émeut guère de ces révélations. ‘’Il n’y a rien de surprenant pour nous, car nous dénonçons ces pratiques, depuis quelques années. Il ne restait juste qu’à identifier les auteurs’’, souligne Birahime Seck. Pour notre interlocuteur, le mal est encore plus profond. Le phénomène qui ne cesse d’étendre ses tentacules revêt plusieurs formes. ‘’Au-delà de l’ampleur de la fraude fiscale qui fait perdre des ressources à nos pays, il y a lieu de s’appesantir sur les pertes fiscales organisées par les Etats africains, et le Sénégal n’est pas en reste.’’

Pour des explications plus détaillées, il souligne ‘’qu’il existe de grandes entités qui bénéficient de soutien d’hommes d’affaires nichés au niveau du Palais qui les aident à échapper au paiement des impôts. Au moment où les petites et moyennes entreprises sont contraintes de s’acquitter du paiement des impôts qui est du reste obligatoire. Plusieurs entreprises implantées au Sénégal subissent des redressements fiscaux organisés par l’administration fiscale, une fois sur la table des autorités compétentes, le dossier est classé sans suite’’.

Du coup, Swissleaks soulève de nouveaux problèmes souterrains. Dès lors, il urge, pour les différents acteurs, de mettre un terme à cette géométrie variable.  Mais encore faudrait-il que l’Etat ‘’mette en place un système de coopération qui consiste à inciter les différents pays à collaborer avec lui, dans le cadre d’une enquête ou d’une investigation en vue de rapatrier toutes les ressources qui ont été volées à l’Etat du Sénégal’’. Il sera aussi question d’activer plusieurs leviers pour mettre fin à cette saignée. Pour Birahime Seck, ‘’il devra impérativement intervenir sur les mécanismes de contrôle, renforcer le système de contrôle fiscal au niveau de l’administration, mais aussi au niveau de la Cellule nationale de traitement de l’information’’. Occasion saisie par Birahime Seck pour relancer l’impérieuse nécessité de la déclaration de patrimoine.

Mame Mactar Guèye : ‘’Il faut exiger une attestation de domiciliation des avoirs’’

Ainsi, il est temps d’exiger une attestation de domiciliation des avoirs, en vue de mettre un terme à ce manque de patriotisme économique, selon Mame Mactar Guèye. La déclaration de patrimoine exigée aux hauts fonctionnaires de l’Etat ne suffit pas. ‘’Elle doit être accompagnée d’une attestation de domiciliation des avoirs. Il faut concocter un projet de loi pour obliger des personnalités à se soumettre à plus de transparence dans les affaires’’, selon le vice-président de l’Ong islamique Jamra. Mame Mactar Guèye dénonce une absence de ‘’patriotisme économique’’. Comment des célébrités et hommes d’affaires peuvent-ils se permettre de thésauriser leurs avoirs dans des banques étrangères, alors que cette importante manne financière aurait facilité de grandes réalisations et permis de poser des actes de haute portée civique. Ce manque de patriotisme économique est à dénoncer avec la dernière énergie.  Il exhorte ainsi le Sénégal à s’inspirer de l’exemple de la France qui est parvenu à juguler le phénomène. 

Matel BOCOUM

 

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