Publié le 10 Nov 2018 - 03:15
GESTION DES PARTIS POLITIQUES ET DE L’ETAT

 Le règne de la gérontocratie

 

Le renouvellement de la classe politique tant défendu par la jeune génération peine à voir le jour. En lieu et place, c’est la gérontocratie qui règne et qui brime toute tentative d’émancipation. Les quelques statistiques disponibles et l’histoire politique récente en témoignent éloquemment.

 

Autant le Sénégal est cité en Afrique comme un exemple en termes de démocratie, autant le constat de la sous-représentation des jeunes dans les partis politiques reste frappant, surtout en matière de responsabilité. L’irruption de trentenaires et de quadras dans le cercle restreint des figures politiques reste et demeure très timide. Cela a été entièrement démontré, lors des dernières élections qui avaient vu l’émergence de jeunes leaders, certains charismatiques, d’autres inconnus au bataillon. Mais tous avaient deux points communs : ils étaient engagés et ambitieux. Mais tous ou presque ont été relégués au second plan.  La preuve s’explique par le fait que sur les plus de 500 collectivités locales, rares sont celles qui sont dirigées par des jeunes. C’est le même constat qui a été fait à l’Assemblée nationale, au Conseil économique, social et environnemental (Cese), au Haut conseil des collectivités territoriales (Hcct), de même que dans l’actuel gouvernement.

Même si des sources ont confirmé ce fait, elles n’ont pas voulu nous livrer des statistiques pour diverses raisons. A l’Assemblée nationale où on a pu avoir les chiffres, on se rend compte qu’il y a 4 jeunes sur les 165 députés de la 13e législature. Laquelle a une moyenne d’âge de 54 ans, selon les statistiques d’Enda Lead Afrique francophone (Elaf) livrées, il y a de cela quelques mois. La tranche d’âge de 40 à 59 ans représente 57,58 % du Parlement. A signaler que l’Elaf avait précisé entendre par jeune toute personne âgée entre 15 et 35 ans.

Dans une contribution parue dans la presse en 2009, Mamadou Ablaye Ndiaye et Alpha Amadou Sy, écrivains, philosophes, coauteurs des ouvrages ‘’Africanisme et théorie du projet social’’ et ‘’Conquêtes de la citoyenneté, Essais politiques sur l’alternance’’, soulignaient un ‘’fait majeur qui prend corps dans notre société’’ et y soutenaient que ‘’le rythme du renouvellement des élites au sein des appareils freine, à n’en pas douter, l’adaptation du discours de la classe politique au vécu des jeunes, largement majoritaires au sein de la population’’. En fait, expliquent-ils, ces jeunes ont de nouveaux modèles qui ne cadrent pas avec les discours postindépendances, pas plus qu’ils ne comprennent pas souvent le langage des collecteurs de suffrages habituels.

La population sénégalaise, en 2018, est de 15,7 millions d’habitants, avec un fichier électoral estimé à 6 millions de personnes pour 299 partis politiques contre 26 formations en 1996. Sous le régime de Léopold Sédar Senghor (1960-1980), il n’y avait que 3 formations et 4 courants politiques. Son successeur Abdou Diouf (1980-2000) donnera des récépissés à 41 autres formations politiques.

La moyenne d’âge des chefs de parti se situe au-delà de 50 ans

A son arrivée au pouvoir, en 2000, Abdoulaye Wade va légaliser 143 partis. Son successeur, Macky Sall, qui gère les destinées du pays depuis 2012, s’est inscrit sur la même lancée. Sous son magistère, 111 partis politiques ont reçu leur récépissé. Cependant, autant les partis politiques pullulent comme des champignons, autant rares sont ceux qui sont dirigés par des jeunes. La moyenne d’âge des chefs de parti se situe au-delà de 50 ans.

A l’intérieur des formations politiques, les jeunes sont, dans la plupart du temps, relégués au second plan. Dans la quasi-totalité des partis les plus représentatifs au Sénégal [Alliance pour la République (Apr), Parti démocratique sénégalais (Pds), Alliance des forces de progrès (Afp), Parti socialiste (Ps), Rewmi, etc.], les jeunes ne figurent pas en grand nombre dans les instances de décision. Leur plus grand poste de responsabilité n’est rien d’autre que la coordination de la structure en charge des jeunes.

Au milieu des années 2000, les moins de 25 ans représentaient plus de 60 % de la population, selon les statistiques officielles. Beaucoup de nos institutions ne sont pas encore sorties de cette sorte de ‘’paternalisme’’, alors que les individus deviennent de plus en plus autonomes. ‘’Naturellement, les «jeunesses politiques» n’ont pas toujours servi que de «chair à canon», si l’on ose dire, ou de «colleurs d’affiches». Chaque année, les fameux «porteurs de pancartes», ceux qui réclamaient «l’indépendance tout de suite» au général De Gaulle, lors de son mémorable discours de Dakar, en 1958, aiment célébrer l’anniversaire de leur bravade à «l’homme du 18 juin». Ils étaient tous jeunes à l’époque. En mai 1968, avec l’appui des syndicats, ce sont essentiellement de jeunes lycéens et étudiants qui ont ébranlé le régime du président Senghor. Bis repetita en 1988, avec les événements post-électoraux qui ont vu des milliers de jeunes Sénégalais secouer le vieux cocotier socialiste, alors au pouvoir depuis 1960. C’est dire leur place dans l’évolution politique du Sénégal’’, font-ils remarquer.

Même si le constat est que les jeunes sont au-devant de la scène quand il s’agit de mener le combat pour faire partir un régime, force est de constater qu’ils n’ont pas un espace d’expression de leur ambition leur permettant de se hisser au sommet de leur formation politique. Les cas Malick Gackou avec l’Afp, il y a de cela 3 ans, de Djibo Ka dans le Ps en 1998, de Khalifa Sall dans le Ps dernièrement en sont des exemples patents. Si les deux premiers nommés ont eu la chance de créer leur propre formation politique, ce n’est pas le cas pour le dernier nommé qui est dans les liens de la détention pour une affaire de détournement de deniers publics. Pour le moment, il a juste un mouvement intitulé ‘’Taxawu Dakar’’.

PAR CHEIKH THIAM

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