Les amicales face aux défis de la violence
Le syndicalisme estudiantin qui a eu à accompagner toutes les luttes estudiantines est aujourd’hui discrédité par les nombreux épisodes de violences qui ont émaillé son évolution depuis 2008. Ainsi, entre violence et désintérêt, les amicales peinent à remplir leurs fonctions de défense des intérêts matériels et moraux des étudiants.
2012 était annoncée comme la date de la fin du monde, selon une interprétation du calendrier Maya. Il n'en a rien été. Par contre, pour le mouvement estudiantin, 2012 a, à jamais, été gravée sur une pierre tombale, en actant sa mort. En effet, les amicales de la Faculté des sciences juridiques et Politiques (FSJP), de la Faculté des Lettres et des Sciences humaines (FLSH) et de la Faculté des Sciences et Techniques (FST) ont vu leurs activités suspendues, suite à des violences lors des élections de bureaux, par le recteur, le Professeur Saliou.
Aujourd'hui, ce sont les amicales des Facultés de Médecine et d’Odontologie, des Sciences Économiques et de Gestion (FASEG) et celle qui regroupe les instituts et écoles (l’INSEPS, l’EBAD, IST, CESTI, IUPA) qui servent d’intermédiaires entre les commissions ad hoc qui se sont substituées aux amicales dissoutes et les autorités universitaires, renseigne Macoumba Faye, Président de la Commission sociale de la coordination des écoles et instituts de l’Ucad.
Si on en croit Élimane Ba, Président de l’amicale de la FASEG, cette suspension a considérablement affaibli un mouvement étudiant déjà gangrené par l’infiltration des partis politiques qui ont investi en masse les amicales. Alors qu'il se doit d'être ‘’la représentativité souveraine‘’ ou le ‘’porte-voix‘’ des revendications estudiantines face à l’administration universitaire et aux autorités étatiques. Car ces amicales, poursuit-il, souffrent de différents maux qui ont causé leur perte, en les détournant des étudiants. Ces maux ont pour nom : népotisme, corruption et violence.
Selon Élimane Ba, ce désintérêt est symbolisé par le faible taux de participation à l'élection, avec 3 000 votants sur 9 000 étudiants inscrits à la FASEG. Il faut le souligner, la Faseg vient d'élire les nouveaux dirigeants de son amicale. Selon l'étudiant, la situation actuelle ne plaide pas en faveur des amicales. Car, partagé entre suspensions, retard dans l’installation du bureau et des dissensions internes, le mouvement estudiantin, naguère uni et influent, présente les traits d’une vraie armée mexicaine minée par une violence endémique qui, déjà en 2008, avait causé une première suspension.
Ndème Dieng, porte-parole du collectif des étudiants, membre de la coordination de la Faculté des Lettres et Sciences humaines, ne partage pas ces critiques. Il juge qu'elles continuent à jouer un rôle essentiel. ‘’La cinquantaine de délégués sont légitimement élus par des élections, afin de défendre les intérêts des étudiants, avec des moyens limités.
Les diverses subventions ne suffisent pas à financer les activités des amicales. Dans ce sens, ils sont chargés de l’accueil des nouveaux bacheliers, de l’hébergement, des problèmes pédagogiques et sociaux auxquels font face les étudiants…’’, souligne-t-il.
Création du collectif à l’Ucad pour renforcer les négociations
En 2012, le bureau de l’amicale de la Faculté des Lettres et Sciences a initié la création d'un collectif de 30 membres dont 5 par amicale à l’Ucad. Depuis le mois d’octobre 2013, suite à une rencontre à Saly, il s’est érigé en défenseur des intérêts des étudiants, face aux réformes instituées par l'autorité. Il compte un Comité directeur et des commissions ad hoc qui ont mené les négociations avec la commission de réformes de l’Enseignement supérieur qui désirait porter les inscriptions à la somme 150 000 francs, avant de se rallier aux propositions des étudiants : 25 000 francs pour le premier cycle, 50 000 francs pour le second cycle et 75 000 francs pour la Thèse.
Toutefois, les démons de la division ont biaisé les résultats obtenus. Lors de ces négociations, souligne Ndème Dieng, ‘’nous sommes allés à la signature du protocole en rang dispersé, car le coordinateur du Collectif Alpha Sow a préféré se retirer de la tête du collectif. Suite à des pressions et des menaces, il a démissionné et obtenu le mandat de son amicale, celle de Médecine, pour signer les accords portant sur la réforme universitaire dont les éléments les plus marquants sont l’augmentation des frais d’inscription, la Police universitaire et les bourses’’.
Ainsi, chaque entité est partie apposer sa signature sur la réforme, pour éviter l’éclatement du mouvement estudiantin national regroupant les représentants de toutes les universités du Sénégal au sein de la Coordination nationale des Étudiants du Sénégal (CNES).
Concessions
''Nous avons concédé à ce sacrifice afin de sauver l’enseignement supérieur, car nous sommes conscients de la nécessité de la réforme. Certes, nous ne sommes pas d’accord sur tout avec l’État, mais nous avons pu arracher quelques concessions sur les 11 directives de cette réforme qui concerne les étudiants'', dit-il. Parmi les concessions, il cite : la proposition qui conditionne l’octroi de la bourse à l’obtention de la mention, la fin de sa généralisation et l’évacuation de l'étudiant Ibrahima Diouf en France, blessé lors des incidents survenus au rectorat, le 22 novembre 2013.
Légitimité
Lors des négociations avec les autorités, s'est posée la question de la légitimité du CNES. Là-dessus, les étudiants restent divisés. ''Nous sommes légitimes, car le collectif a convié, pendant plusieurs séances, des milliers d’étudiants pour les tenir informés des discussions avec le ministre. Nous avons ouvert des débats au Stade de l’Université. Cette méthode de la démocratie directe nous a permis, le 14 janvier, de signer avec la consultation de la base'', déclare Ndème Dieng, avec assurance.
Ses allégations sont contestées par Elimane Ba, de la FASEG. ‘’Ce collectif n’est pas légitime, parce qu’ils n’ont jamais reçu mandat de la part des étudiants pour négocier en leur nom. En fait, ils ne représentent qu’eux-mêmes, c’est pour cela qu’ils ont été honnis par les étudiants’’, déclare celui qui se réclame de la Conférence nationale des leaders étudiants dissidente du collectif.
Cette ‘’organisation fantôme’’ n’a jamais existé, parce qu’il s’agit d’une organisation illégale qui regroupe seulement les délégués de la Faseg qui voulaient la reconnaissance du recteur, réplique Ndème Dieng.
Une Police universitaire professionnelle et compétente
Comme pour montrer que le collectif n’est pas mort de sa belle mort, il entend lancer son nouveau cheval de bataille, en exigeant le paiement des 22 000 boursiers sur les 65 000 qui devaient être payés depuis janvier. En outre, Ndème Dieng renseigne que le combat va continuer, car la coordination des amicales veut mettre fin à la limitation de l’âge pour l’octroi de bourses.
En effet, les étudiants de plus de 30 ans ne sont plus éligibles. Ils veulent également la généralisation du vote électronique, lors des élections, pour conjurer le phénomène de la violence et le remplacement de la Police nationale par une Police universitaire professionnelle et compétente. ''Ce sont ces propositions que nous allons mettre sur la table, lors de notre prochaine rencontre avec le ministre''.
Mamadou Makhfouse Ngom