Publié le 31 Jul 2023 - 16:23
IMPACT SUR LA CONTUMACE

Une bataille de procédure entre la défense et le ministère public

 

Alors que le procureur écarte tout lien avec le jugement par contumace, les avocats persistent et exigent une reprise de l’affaire Adji Sarr dont la décision est anéantie, le professeur Ndiack Fall estime qu’il y a effectivement anéantissement du jugement dans l’affaire Adji Sarr, dès l’instant que le contumax est arrêté.

 

La bataille est donc lancée. Les experts du droit ont déjà commencé les plaidoiries dans les médias ; qui pour défendre que l’arrestation de Sonko, vendredi dernier, anéantit sa condamnation dans l’affaire Adji Sarr ; qui pour soutenir qu’en fait, il n’y a aucun rapport entre les deux affaires et que cette arrestation ne saurait anéantir la décision de la Chambre criminelle.

Du côté du procureur de la République et du régime, on semble plus s’orienter vers cette deuxième option : c’est-à-dire ne pas avoir à reprendre le procès Sonko contre Adji Sarr. Beaucoup pensent que c’est pour éviter la conséquence politique principale qui en découlerait : c’est-à-dire une chance pour Sonko de redevenir éligible (une chance parce que l’État dispose déjà d’un joker avec l’affaire Mame Mbaye Niang).

Sorti le samedi pour apporter des éclairages sur les raisons de cette arrestation et les différents chefs reprochés au leader de Pastef/Les patriotes, le représentant du parquet est revenu sur ce débat qui semble au centre de cette deuxième procédure envers l’opposant. Il déclare : ‘’Nous tenons à préciser que les motifs de l’arrestation de monsieur Ousmane Sonko n’ont rien, mais vraiment rien à voir avec la première procédure dans laquelle il a été condamné par contumace. Je tiens à ce que ça soit clair dans la tête de tout le monde, parce que le débat est posé sur la place publique. Monsieur Ousmane Sonko n’a pas été arrêté parce que c’est un contumax ; il est arrêté pour tout à fait autre chose. L’État avait la possibilité de l’arrêter, mais le parquet n’a pas opté de procéder à son arrestation, on lui a tendu une perche pour qu’il se constitue prisonnier ; c’est pourquoi on ne l’a pas arrêté. Rien ne change donc par rapport à la contumace.’’

Cette interprétation du parquetier ne semble en tout cas pas entrainer l’adhésion des défenseurs d’Ousmane Sonko. Selon ces derniers, il n’y a pas à chercher midi à quatorze heures, dès lors que leur client est arrêté, quels qu’en soient le motif et les circonstances, le jugement par contumace et tous les actes qui en ont découlé sont anéantis.

Premier à prendre la parole hier à la conférence de presse des avocats, Maitre Demba Ciré Bathily donne le ton : ‘’Il faut, à cet égard, qu’on arrête toute polémique. C’est vrai que dans sa communication, le procureur a dit qu’il n’y a aucun lien. Mais pour tous les juristes, il y a un lien évident. Dès que la personne est arrêtée, le jugement est anéanti. Et toutes les autres décisions qui ont été prises sur la base de cette décision sont anéanties. Donc, vous pouvez considérer qu’en droit aujourd’hui, il n’existe plus aucune condamnation par rapport à ce jugement (dans l’affaire Adji Sarr). Cette décision est définitivement anéantie. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est le droit qui le dit. La procédure doit donc être reprise en ce qui concerne la condamnation sur la corruption de jeunesse.’’

Embouchant la même trompette, Maitre Youssoupha Camara a affirmé que ‘’la loi est très claire ; qu’elle ne distingue pas. Dès que vous êtes arrêté, quel que soit la manière ou le motif, la décision est anéantie’’.

Les enjeux politico-juridiques d’une lutte procédurale

En toile de fond de ce débat qui s’annonce épique et sans concession, il y a la disposition du Code de procédure pénale (article 307 dans la version que nous avons parcourue et qui date de 2016). Laquelle prévoit, à son alinéa premier : ‘’Les accusés non détenus, s’ils ne défèrent pas à l’article 257 du présent code, sont jugés par contumace par la chambre criminelle.’’ Quant à l’alinéa 2, il dispose : ‘’S’ils se constituent ou s’ils viennent à être arrêtés avant les délais de prescription, l’arrêt de condamnation est anéanti de plein droit et il est procédé à nouveau dans les formes ordinaires (au jugement) à moins que le contumax déclare expressément, dans un délai de dix jours, acquiescer à la condamnation.’’

Pour le professeur Ndiack Fall de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar qui était l’invité de l’émission ‘’Objection’’ de ce dimanche sur Sud FM, il ne faut tout simplement pas distinguer là où la loi ne distingue pas.

Selon le juriste spécialiste du droit pénal, dès que le procureur dit qu’il a été procédé à l’arrestation de monsieur Ousmane Sonko, le jugement par contumace est anéanti. ‘’Les règles qui gouvernent la contumace sont prévues par les articles 307 à 318 du Code de procédure pénale. Ce qu’il faut retenir, c’est que, d’après les articles 307 et 316 du Code de procédure pénale, quand la personne est condamnée par contumace, il y a deux possibilités de ce qu’on appelle la purge de la contumace’’.

Selon le juriste-pénaliste, la condamnation par contumace, par définition, elle est précaire. ‘’Donc, cette condamnation ne peut être définitive qu’à la fin de ce qu’on appelle le délai de prescription de la peine, qui est pour les délits de cinq ans. D’ici donc cinq ans, si la condamnation n’est pas exécutée, c’est à partir de ce moment qu’elle va devenir définitive’’.

Relancé par le confrère, il précise de manière non équivoque : ‘’Malgré les propos du procureur qui estime qu’il a été arrêté pour autre chose, cela importe peu. Certes, il n’y a pas de lien entre les deux affaires. Mais dès que Sonko est arrêté, il y a purge de la contumace. Contrairement à ce qu’affirme le procureur.’’

Outre cette hypothèse, l’autre acte qui aurait eu le même effet, c’est-à-dire la purge de la contumace, c’est que le contumax se constitue prisonnier.

Si ce débat occupe le devant de l’actualité depuis ce dernier rebondissement, c’est qu’il a un lien direct avec la question centrale qui accompagne ces dossiers Ousmane Sonko depuis le début, c’est-à-dire la question de son éligibilité ou non à l’élection présidentielle de 2024.

En fait, aux termes de l’article L29 et suivant, le doute n’est pas permis. Si Sonko est condamné par contumace, tant que la décision n’est pas anéantie, le doute sur son éligibilité n’est pas permis ; il est exclu d’office par la loi électorale.

En revanche, s’il arrivait que la décision soit anéantie par l’un des deux motifs susvisés, alors il pourrait retrouver des chances de pouvoir compétir. 

Participation à la Présidentielle

En effet, d’ici la Présidentielle prévue le 25 février 2024, il est peu probable de pouvoir rejuger l’affaire en présence de Sonko et ses nombreux avocats, en première instance en appel et en pourvoi pour rendre la décision définitive, afin de priver l’opposant radical de participation. Or, tant que la décision n’est pas définitive, même s’il se retrouve en prison, ses chances de participation sont intactes.

Toutefois, le leader politique, même dans ce cas, pourrait être confronté à la condamnation qu’il a écopée dans l’affaire de diffamation l’opposant au ministre Mame Mbaye Niang. Seulement, ici, l’inéligibilité est sujette à discussion et à polémique. Ça reste tout de même un joker de luxe qui a des chances réelles de prospérer.

À noter que, pour le moment, c’est au parquet et au magistrat instructeur de dicter le tempo. Le sort de Sonko semble dépendre de ce qu’ils voudront bien faire de lui. 

Section: