Publié le 18 Dec 2012 - 15:05
INSTAURATION DE LA HAUTE COUR DE JUSTICE

Une Assemblée à deux visages

 

«Pour être en phase avec la loi» suite à la dissolution du Sénat, l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité le projet de loi portant modification de la loi organique sur la Haute cour de justice, hier, en séance plénière. Si majorité et opposition se sont dit favorables à l’instauration de cette chambre qui devrait juger les dignitaires de l’ancien régime soupçonnés d‘enrichissement illicite, les débats ont par contre été très houleux, empreints d’invectives.

 

Les tracts de Me Ousmane Ngom

 

 

A l’origine, l’audition du député Oumar Sarr, ancien ministre de l’Habitat et de l’Assainissement par la Section de recherche de la gendarmerie, sans la levée de son immunité parlementaire. Ce que Modou Diagne Fada, président du groupe parlementaire des libéraux et démocrates, considère comme une «violation de la Constitution et du règlement intérieur de l’Assemblée nationale». «Aucun député ne peut être poursuivi ou arrêté pour une affaire criminelle ou autre durant la session plénière sans au préalable avoir l’autorisation de l’Assemblée nationale qui peut lever son immunité», rapporte Diagne Fada qui demande alors le report de la séance.

 

Requête rejetée par la majorité parlementaire. Le groupe Pds décide alors de bouder les travaux. L’ancien Premier ministre Souleymane Ndéné Ndiaye se dirige vers son véhicule, les autres squattant le hall de l’Assemblée pour s’adresser à la presse pendant que que Me Ousmane Ngom distribue des tracts. Un coup d’éclat qu’Hélène Tine minimise. «Ils font de la politique politicienne», déclare l’ancienne porte-parole de l’Alliance des forces de progrès (AFP) devant la presse. «Ils désertent les commissions techniques pour venir faire leur show en séance plénière. Et ce n’est pas respecter le peuple sénégalais.»

 

Le cours de droit d'El Hadj Diouf

 

 

D’autres députés de la majorité, comme Me Aïssata Tall Sall, Moustapha Diakhaté, Moustapha Cissé Lo, la rejoignent dans cette bataille médiatique. Après une dizaine de minutes de confusion, la plénière reprend, mais la controverse autour de l’audition de Oumar Sarr va se poursuivre. Si Me El Hadji Diouf plaide pour la traduction devant la justice «des délinquants qui se croient au-dessus de la loi», il juge néanmoins «illégale» l’audition de son collègue Oumar Sarr par les pandores de Colobane. «La procédure pénale a trois phases : l’enquête, l’instruction et le jugement, indique l’avocat politicien.

 

Or, Oumar Sarr fait actuellement l’objet d’enquête sans que son immunité ait été levée avant son audition». Aïssata Tall Sall lui rappelle qu'«audition ne signifie pas poursuite judiciaire» et qu’il n’y pas de quoi s’alarmer. Le ministre de la Justice, Aminata Touré, ne dit pas autre chose. «L’audition consiste à écouter toute personne susceptible d’apporter la lumière sur l’enquête. On vous entend à titre de témoin. Si on n’a rien à lui reprocher, on le laisse partir», a expliqué la Garde des Sceaux. Des explications qui ne convainquent pas Me Diouf.

 

«Rigueur sans cruauté»

 

 

Loin de ces querelles juridiques, le député Sokhna Dieng Mbacké exhorte le ministre de la Justice à s’y prendre «avec rigueur, sans cruauté inutile». Mais Mously Diakhaté renvoie les libéraux aux déclarations de Serigne Mbacké Ndiaye, alors porte-parole de l’ancien président de la République. «Il ne savait pas si bien dire quand il affirmait que s’ils (NDLR : les libéraux) perdaient le pouvoir, ils iraient tous en prison», dit-elle. A peine a-t- elle a fini qu'Oumar Sarr, accompagné de Modou Diagne, déboule dans l’hémicycle à la surprise générale. Il est 12h25mn. Emmitouflé dans un grand boubou blanc, écharpe en bandoulière, le maire de Dagana prend sa place sans piper mot, rejoint par ses collègues de même groupe venus le soutenir.

 

En pensant jouer à la victime, Oumar Sarr récolte plutôt des quolibets assassins. «Heureusement que vous n’êtes pas revenu avec des menottes», lance Cheikh Seck, député du groupe Benno Bokk Yaakaar (BBY). Vous avez pillé les deniers publics que vous avez cachés dans les coffres, les fosses, mais avec l’opération goxxi (NDLR : vomir) vous allez rendre cet argent jusqu’au dernier centime». Aïssatou Diouf assimile Diagne Fada et Cie à «une bande de voleurs». «Si vous les attrapez, vous avez entre vos mains des voleurs ; si vous les relâchez, vous laissez échapper des voleurs», déclare la conseillère municipale à la mairie de Fatick.

 

Terrain de Diass, secco...

Le «tort» causé par les libéraux semble si «profond» que Barthélémy Dias pense que leur «place est aujourd’hui en prison». «Jamais quelqu’un n’a autant souffert que moi sous l’ancien régime, dit le maire de Mermoz-Sacré-Cœur. Ils m’ont mis plusieurs fois en prison, et m’ont envoyé des nervis pour attenter à ma vie». De quoi révolter les Libéraux. Alors, Woré Sarr monte au créneau. «Nous en avons marre de vos accusations de voleurs. On n’arrive plus à vivre correctement dans notre entourage», enrage le maire de Médina Gounass.

 

«Nous allons voter cette loi et on saura la vérité.» Les hostilités sont ouvertes. Elle accuse Mously Diakhaté et Moustapha Diakhaté d’avoir profité des largesses de Wade, alors que Diagne Fada demande à Moustapha Cissé Lo, qui lui a rappelé son terrain de Diass, de payer l’argent des secco (réservoirs pour stocker les céréales) qu’il doit aux paysans. Mais Moustapha Diakhaté n’a pas préféré répondre «à la provocation» et parle de «bravade et vocifération» qui ne servent à rien.

 

En tout cas, le ministre de la Justice promet «d’aller jusqu’au bout» dans sa volonté de traquer les biens mal acquis. «Mais nous, nous le ferons dans le respect des droits de la défense», assure Aminata Touré.

 

 

DAOUDA GBAYA

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