Publié le 1 Jun 2023 - 10:56
JOUR DE DÉLIBÉRÉ PROCÈS OUSMANE SONKO-ADJI SARR

Le verdict de la peur

 

Le leader de Pastef sera édifié sur son sort, aujourd’hui, par la chambre criminelle dans le procès d’accusations de viols et de menaces de mort qui l’oppose à l’ex-masseuse de l’institut Sweet Beauté. Loin du tribunal de Dakar, la tension est à son paroxysme concernant les conséquences d’une condamnation potentielle de l’opposant le plus en vue du pays.

 

Astou raconte, désabusée, la conversation qu’elle a eue avec sa vendeuse de poissons. ‘’Ce qui se passe dans ce pays me dépasse. Ma poissonnière m’a assuré qu’elle a entendu des jeunes passer à côté d’elle se donner rendez-vous demain, devant les grandes surfaces d’Auchan. C’est le 1er, on va en profiter pour faire le plein de provisions’’. Ces personnes n’ont  aucune intention d’acheter ce qu’elles comptent prendre, mais profiter du chaos qu’elles espèrent, une fois qu’une condamnation sera prononcée contre le leader de l’opposition sénégalaise.

Aujourd’hui est prévue la décision finale du juge dans le procès pour viol opposant Ousmane Sonko et Adji Sarr. Des troubles sont redoutés, si le maire de Ziguinchor est condamné, comme ce fut le cas tout au long de cette affaire qui a déjà valu une vingtaine de morts au Sénégal.

Le juge Issa Ndiaye a le poids d’une partie de l’histoire sur ses épaules. En effet, de ce verdict pourrait partir des troubles redoutés depuis l’avant-goût de mars 2021. Sur cinq jours d’émeutes faisant suite à l’arrestation du leader de Pastef, alors qu’il répondait à une convocation dans le cadre de cette affaire, 14 Sénégalais ont été tués, des centaines de blessés enregistrés, ainsi que d’importants dégâts matériels. Les enseignes françaises font partie de celles qui ont été les plus attaquées, lors de cette période de troubles.

L’économie en stand-by

Depuis, l’opposant est devenu maire de Ziguinchor et ne cesse d’être désigné comme un favori à la Présidentielle de 2024. Mais à un an de cette élection, la programmation judiciaire de cette affaire ne cesse d’alimenter des tensions avec un Ousmane Sonko qui dénonce un complot visant à l’écarter de la course au pouvoir et une machine judiciaire décidée à évacuer cette affaire avant la Présidentielle.

La jeune ménagère est loin d’être la seule à craindre la décision du magistrat. La peur s’est installée dans beaucoup d’acteurs des différents secteurs économiques. À l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, le rectorat a décidé que ‘’pour des raisons de sécurité, les enseignements sont suspendus ce mercredi 31 mai 2023 à partir de 18 h. Les cours reprennent le vendredi 2 juin 2023 à 8 h’’. Ce temple du savoir a encore été le théâtre d’affrontements entre manifestants et forces de l’ordre.  

Les livreurs à moto font partie des plus gros dommages collatéraux, chaque fois que le leader de Pastef est convoqué devant la justice. Les motos sont, comme chaque fois, interdites de circuler. Hier, nombre d’entre elles ont été mises en fourrière du côté de la VDN. C’est sur les réseaux sociaux que les plus téméraires s’envoient des messages pour signaler les zones à éviter. Aussi, plusieurs commerces ont décidé de baisser rideau ce matin, afin d’anticiper d’éventuels troubles.     

Les dommages collatéraux

Sans oublier les édifices publics ciblés par des manifestants : les bus Dakar Dem Dikk, les chantiers du BRT (Bus Rapid Transit), l’autoroute à péage, le TER qui est sous surveillance. À cela s’ajoutent les attaques contre les stations-service, les propriétés privées de certains leaders, etc.

Cette tension ambiante est nourrie par les développements récents de ce procès jugé en contumace contre Ousmane Sonko. De sa décision de ne plus répondre à la justice, si sa sécurité n’est pas assurée, sont parties des rumeurs de son arrestation. Ce qui a amené ses partisans à ériger un barrage autour de sa maison. Interpellé alors qu’il organisait une ‘’caravane de la liberté’’ pour revenir à Dakar, le leader de Pastef est assigné à résidence depuis trois jours, sans possibilité de recevoir de la visite.

Les députés de sa formation politique qui ont essayé de lui rendre visite hier, ont été dispersés à coups de gaz lacrymogènes. Parmi eux, le président du groupe parlementaire Yewwi Askan Wi, Birame Soulèye Diop, par ailleurs numéro deux de Pastef, a été arrêté. Même les avocats du maire de Ziguinchor ont eu droit au même traitement de la part des forces de l’ordre.

Birame Soulèye Diop arrêté

Ces violences ne sont d’ailleurs pas passées inaperçues. Dans un communiqué rendu public, l’ONG Avocat pour l’Afrique a apporté son soutien à ses confrères, avocats d’Ousmane Sonko, ‘’qui rencontrent de plus en plus de difficultés dans l’exercice de leurs missions comme avocat’’. L’ONG rappelle aux autorités sénégalaises qu’il leur incombe ‘’de prendre des mesures nécessaires afin que (leur)s confrères puissent assurer la défense de leur client en toute sérénité, conformément au principe de base relatif du rôle du barreau des Nations Unies’’.

Lamine Diouf

Section: