Le poids de l’héritage

Macky Sall avait ouvert le bal. Diomaye-Sonko va poursuivre son œuvre. Désormais, il y aura toujours un avant et un après le pouvoir. Que les fils de présidents et leurs proches se le tiennent pour dit. Karim Wade et Amadou Sall : deux profils, deux parcours, un même sort presque identique.
C’est un secret de Polichinelle. Le fils de l’ancien président Macky Sall est dans le viseur de la justice sénégalaise. Le jeune homme est cité dans presque tous les dossiers : Tahirou Sarr, Mahamadane Sarr, Waly Ballago Seck, Farba Ngom… Rares sont les gros dossiers qui défraient la chronique et dans lesquels son nom ne figure pas en bonne place.
Le dernier en date est celui de l’homme d’affaires S. S., présenté par le journal Libération comme fondateur de l’entreprise ETS Saliou Sylla. Son interpellation, selon Libé, intervient dans le cadre de l’exécution de l’information judiciaire ouverte par le juge du premier cabinet financier, à la demande du parquet financier, à la suite d’un signalement de la CENTIF.
Dans ce dossier, il est question notamment de soupçons de blanchiment sur des montants avoisinant les 5,597 milliards de francs CFA. « Il s’agit du montant issu de retraits suspects effectués depuis les comptes de Woodrose Investment LTD, une entreprise attribuée à Amadou Sall, fils de l’ancien président Macky Sall, et tracés par la CENTIF dans un rapport », écrit Seneweb citant le quotidien d’informations. Déjà, d’autres personnes impliquées dont la gérante de ladite entreprise seraient placées sous mandat de dépôt.
Tous les chemins mènent vers Amadou Sall
Dans son réquisitoire introductif, le parquet financier demande au juge du premier cabinet de poursuivre les suspects pour association de malfaiteurs en groupe criminel organisé et blanchiment de capitaux commis par un groupe criminel organisé. Et le fils de l’ancien président est au centre de cette affaire qui est loin de livrer tous ses secrets.
Le Pool judiciaire financier (PJF) intensifie ainsi ses enquêtes dans le cadre de la politique de reddition des comptes engagée par le nouveau régime. Déjà fin avril, L’Observateur rapportait que le fils de l’ancien président était convoqué pour audition le 7 mai. Selon le journal, Amadou Sall est attendu sur un dossier de 10 milliards de francs CFA.
Là encore, on parlait de la société Woodrose Investment, dont la gérante s’appelle N. S. Ndiaye. Cette affaire s’inscrirait dans le cadre d’une enquête plus vaste portant sur des mouvements suspects de 125 milliards de FCFA, une affaire qui a déjà envoyé en prison plusieurs personnalités dont l’homme d’affaires Tahirou Sarr et le politicien Farba Ngom.
Karim et Amadou face aux convocations de la justice
Convoqué au mois de mai par le parquet financier, Amadou Sall a plutôt fait faux bond. Il n’a pas répondu à l’appel de la justice sénégalaise. C’est d’ailleurs là un des points de discordance avec l’affaire de l’autre fils de président, en l’occurrence Karim Wade.
En 2013, un an après la perte du pouvoir, le successeur de son père faisait lancer des poursuites contre lui. De l’étranger où il se trouvait, Wade fils avait tenu à rentrer au pays pour, disait-il, laver son honneur et celui de sa famille. À l’instar d’Amadou Sall, il était cité dans plusieurs affaires à milliards.
Parmi les dossiers qui lui ont valu ces poursuites devant une cour spéciale, on retient plusieurs noms de sociétés : AHS (Sénégal, Bénin, Guinée équatoriale, Centrafrique), BMCE/BLACKPEARL, ABS, AN MEDIA et CD MEDIA…
Les fils de et les hommes de paille
Il lui était aussi imputé 29 comptes logés à Monaco, un compte à Singapour qui aurait contenu 47 milliards de francs CFA, ainsi que pas mal de biens immobiliers. Des accusations qu’il avait rejetées avec véhémence, invoquant les nombreuses commissions rogatoires menées à travers le monde et qui ont été infructueuses.
Accusé d’être derrière tous ces biens à travers des montages financiers sophistiqués, il disait à la barre : « Je ne me cache derrière aucune ingénierie financière comme en atteste l'absence de flux financier entre ces sociétés, leurs actionnaires réels et moi-même. »
De l’avis de Wade fils, tous ceux qui ont été arrêtés dans le cadre de cette affaire étaient juste victimes du délit d’amitié. « J’ai mal pour tous ces prétendus complices innocents qui n’ont rien fait, qui n’ont jamais bénéficié d’un moindre marché de l’État. Ils sont les victimes collatérales de cette machination ; de ce complot dont l’objectif unique est de me détruire politiquement. »
Lors de ce procès qui avait fait grand bruit au Sénégal et à l’étranger, le fils de Wade ne s’est prononcé presque qu’une seule fois, à l’entame de l’audience. Sa manière à lui de protester contre la comparution de son ami Bibo Bourgi sur civière. Il a finalement été reconnu coupable de s’être enrichi illicitement de 138 milliards de francs CFA, condamné à six ans de prison et à une amende de 138 milliards, avant de bénéficier d’une grâce présidentielle en 2016.
Deux parcours diamétralement opposés
L’autre grande différence entre Karim Wade et Amadou Sall, c’est que le premier a été au cœur des affaires publiques sous le magistère de son père. En revanche, le second n’a pas eu de poste connu sous les deux mandatures de son père.
Sous Wade, Karim a été ministre d’État chargé de la Coopération internationale, de l’Aménagement du territoire, des Transports aériens et des Infrastructures de mai 2009 jusqu’à avril 2012. Il a aussi dirigé le département de l’Énergie ainsi que l’Agence nationale de l’organisation de la Conférence islamique.
Né le 1er septembre 1968, Karim Wade a fait son cursus élémentaire et moyen au Sénégal, avant de rejoindre la France pour le cycle secondaire. Le bac en poche, il entreprend des études supérieures à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne où il a obtenu une maîtrise en sciences de gestion, avant d’entamer son DESS en ingénierie financière. C’est ainsi qu’il sera recruté par la Société de banque suisse, avant de servir plus tard à Londres avec la Banque d'affaires UBS Warburg.
En ce qui concerne le fils de Macky Sall, Amadou, l’on n’en sait très peu aussi bien sur son parcours académique que professionnel. Même sa date de naissance n’est pas très accessible.
Aux sources du mal : fonds politiques, trafic d’influence, corruption dans les marchés publics
Souvent cité dans des dossiers à milliards, l’homme s’est fait très discret durant une bonne partie de la mandature de son père. Ce n’est que sur les dernières années que son nom est beaucoup apparu dans le débat public et souvent dans des affaires louches. D’où tiendrait-il alors sa fortune ?
Comme pour Karim Wade, son affaire sera suivie de très près aussi bien sur le plan national que sur le plan international. Déjà, certains évoquent le karma contre les Sall qui ont été sans pitié envers les Wade. Un autre fils de… va certainement tomber, mais le problème de l’enrichissement illicite – supposé ou réel – des dirigeants va rester entier tant que les sources d’enrichissement illicite : fonds politiques, trafics d’influence, corruption dans les marchés publics, ne sont pas bannis.
PAR MOR AMAR