L’ÉDITO DE MAMOUDOU WANE
La foule et le brouillard
‘’Des millions’’ de personnes hier de l’aéroport Léopold Sédar Senghor à la Permanence du Parti démocratique sénégalais. Des foules qui déferlent comme au bon vieux temps du ‘’Sopi’’. L’opération ‘’Com’’ est parfaitement réussie par Me Abdoulaye Wade qui cherchait visiblement à frapper les attentions et faire vibrer les poitrines de trouille. Sur le plan purement politique, cette démonstration de force risque d’avoir un effet circonscrit.
En pleine campagne électorale en 2012, deux cortèges se croisent sur l’Avenue Bourguiba. L’un est dirigé par Me Abdoulaye Wade, candidat des Fal 2012 et le second par Macky Sall. L’image avait quelque chose de bien pathétique que le cortège de Me Abdoulaye Wade triplait au moins celui du candidat de Macky 2012.
Tout le monde avait remarqué que les images avaient défilé à la RTS et sur internet, en même temps que le spectacle des grenades pleuvant au quotidien à la Place de l’Indépendance. Et pourtant à la fin, le verdict des urnes avait démenti le verdict des foules qui se déplacent ou qu’on déplace à souhait. Le Sénégal est un pays très spécial où l’électeur est d’une grande sérénité. Celui qui crie n’est pas forcément celui qui vote. Et il faut bien respecter cette attitude zen de l’électeur qui attend toujours le jour j pour dire son mot et…se tailler.
Combien de fois le Vieux a-t-il mobilisé devant ses adversaires à l’époque de Benno Siggil Senegaal (BSS) ? Combien de fois n’a-t-on pas lâché des chiffres astronomiques de centaines de milliers de personnes mobilisées sur le même site de la VDN ou ailleurs ? Et après ? Quelle légitimité cela peut-il donner si ce n’est celle qu’inspirent la peur des casses et l’instauration d’un climat semi-insurrectionnel ? Et comment oublier que Gorgui a mobilisé jusqu’au dernier jour de son départ ? En vérité, il a toujours su mobiliser, jusque dans la chute. Il va donc bien falloir prendre son mal en patience et attendre trois ans. C’est cela la règle en démocratie.
Il est vrai que les Sénégalais n’auront plus la même patience vis-à-vis de leurs gouvernants. Il serait tout aussi dangereux de ne pas tirer de leçon de la déferlante en corrigeant ce qui doit l’être avant qu’il ne soit trop tard. Beaucoup de Sénégalais ont la terrible impression que cela ne bouge pas comme il faut. Vrai ou faux ? L’opinion en démocratie a statut de vérité, même si le verdict de la rue n’est jamais, en dernière instance, celui du peuple.
Jusqu'à preuve d’une nouvelle vérité sortie des urnes, on ne peut pas décréter, comme un coup de baguette magique, que l’opinion a changé simplement parce que les rues de Dakar étaient noires de monde hier et qu’on a l’impression d’avoir oublié que des ‘’jeunes’’ sont morts sur la place de l’Obélisque et ailleurs pour s’opposer à une gestion solitaire du pouvoir et à un projet de dévolution monarchique.
Cette démonstration de force est enfin révélatrice d’une réalité politique intéressante. Le Parti démocratique sénégalais ne peut pas faire grand-chose sans Me Wade. Il est d’ailleurs impressionnant de voir qu’à son âge, il parvient à trouver l’énergie nécessaire pour encore croire en la lutte. C’est sans doute un des aspects les plus intéressants de sa personnalité : la ténacité.
Mais la question principale demeure : qui après lui pour porter la flamme du Pds ? Oumar Sarr ? Me Ousmane Ngom ? Modou Diagne Fada ? Nos regards se dirigent naturellement vers la Maison centrale d’arrêt et de correction de Rebeuss où est gardé son fils, Karim Wade, une des raisons de la campagne qu’il mène avec autant de détermination.
C’est dire que le Pds, comme d’ailleurs beaucoup de partis au Sénégal, a un gros problème qu’il lui faudra résoudre : survivre au Pape du Sopi… Ce qui est loin d’être une mince affaire. Cette perspective est sans doute le bon fil d’Ariane qui rend si timides les nombreux candidats à l’héritage, hors du Pds.
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