L’affaire du « séquestré de Djelfa » tient l’Algérie en haleine
Séquestré à quelques mètres de chez lui pendant 26 ans, Omar Ben Omran vient d’être retrouvé sain et sauf. Mais le mystère qui entoure l’affaire alimente les rumeurs les plus folles.
Tout, dans cette affaire révélée mi-mai par la presse algérienne et reprise dans les médias du monde entier, étonne, choque et fascine. L’histoire est maintenant connue : Omar Ben Omran, un jeune homme disparu au milieu des années 1990 et que tout le monde croyait mort, a été retrouvé dans le village de Guédid, au nord du pays, dans la wilaya de Djelfa où il vivait à l’époque.
À quelques pas de sa famille
Désormais âgé de 45 ans et, pour autant que l’on puisse en juger, en assez bonne santé, l’homme aurait passé 26 ans dans le sous-sol de l’étable d’un voisin de sa famille qui l’a enlevé, puis retenu de force. Celui qu’on appelle « le séquestré de Djelfa » était prisonnier si près de chez lui qu’il entendait – certains disent même qu’il voyait par des interstices dans la cloison de l’étable – sa famille à quelques pas de là. Pourtant, il n’a jamais été en mesure ni de s’échapper ni même de crier pour lancer l’alerte et attirer les secours.
Un fait divers assez sordide mais qui passionne toute l’Algérie et au-delà, tant les questions qu’il pose sont nombreuses et les réponses, à ce stade, rares et assez peu satisfaisantes. Quelles étaient les motivations du ravisseur ? Comment a-t-il pu, seul, retenir prisonnier un homme pendant un quart de siècle ? Avait-il des complices ? Surtout : pourquoi la victime n’a-t-elle jamais pu alerter ou s’échapper d’un lieu qui n’a rien d’une prison de haute sécurité ?
Son chien mort empoisonné
Pour l’instant, la justice n’a pas communiqué sur ces nombreuses zones d’ombres, expliquant que l’audition du principal accusé, un employé municipal d’une soixantaine d’années, célibataire et sans enfants, ainsi que celle de ses co-accusés, placés sous contrôle judiciaire, sont toujours en cours. Tous encourent potentiellement la prison à perpétuité.
Pendant de longues années, la famille d’Omar Ben Omran – 15 ans au moment de sa disparition même si, sur ce point aussi, des informations contradictoires circulent… – a lancé de vastes recherches pour le retrouver, sollicitant la gendarmerie nationale, la police, passant même un appel à témoin auprès de l’émission télévisée « Et tout est possible ». Certains rappellent aussi que durant les jours qui avaient suivi la disparition du jeune homme, son chien s’était posté plusieurs jours devant la porte du suspect, s’agitant et aboyant, et avait fini par être retrouvé mort empoisonné. À deux reprises, racontent des riverains, la sœur du principal accusé a donné l’alerte, avant de se raviser.
Après des années, toutes les démarches s’avérant infructueuses, la famille a fini par se résigner, estimant que le jeune homme était sans doute une victime de plus de la guerre civile qui a ravagé l’Algérie durant les années 1990, et qui a été marquée par des milliers d’assassinats et de disparitions jamais expliquées.
Un message WhatsApp qui relance l’enquête
Jusqu’à cette année 2024 où un mystérieux message, posté dans un groupe WhatsApp du village, relance toute l’affaire. Apparemment motivé par la colère suite à un conflit d’héritage, un habitant évoque la possible présence d’Omar dans l’étable de son voisin. Le 12 mai, son frère dépose plainte auprès de la brigade de gendarmerie de Guédid. Cette fois, les gendarmes se mobilisent et perquisitionnent : le 14 mai, on découvre sur les écrans un homme au regard hagard et à la barbe foisonnante, émergeant des couches de paille. Partagée, la vidéo est visionnée des millions de fois.
Depuis, seul un cousin d’Omar, Khaled, a pu s’entretenir avec lui quelques minutes dans les locaux de la gendarmerie. Il décrit un homme en état de choc, suivi par une équipe de médecins et de psychologues. Le captif lui aurait confirmé que, pendant toutes ces années, il « pouvait voir et entendre les membres de sa famille » à travers une ouverture de son abri de fortune. Des habitants du village ajoutent qu’il « était incapable de crier ou de fuir à cause d’un sort que son ravisseur lui avait jeté ». D’autres assurent plus prosaïquement que le prisonnier était constamment drogué.
Officiellement, Omar Ben Omran n’a pour l’instant donné aucune autre explication et les autorités restent silencieuses. De quoi alimenter les spéculations les plus folles : sur les réseaux sociaux, chacun y va de son hypothèse, quand ce n’est pas toute l’histoire qui est mise en doute. Des spéculations alimentées par l’absurdité apparente de la situation : difficile de croire à cette histoire de prisonnier « ensorcelé » et incapable – 26 années durant ! – de prononcer un mot pour appeler à l’aide. Difficile aussi de croire à l’action d’un seul ravisseur.
Souvenir de la décennie noire
Sur ce dernier point d’ailleurs, la justice a fini par lâcher du lest, indiquant que six personnes avaient été placées en détention provisoire et présentées le 16 mai devant le procureur de la République près le tribunal d’El Idrissia pour les crimes « d’enlèvement d’une personne », « de leurre d’une personne », de « détention d’une personne sans ordre des autorités compétentes et en dehors des cas autorisés par la loi », et de traite d’être humain avec la circonstance aggravante de la « vulnérabilité de la victime ». Deux autres personnes ont par ailleurs été placées sous contrôle judiciaire pour « non dénonciation aux autorités compétentes ».
Rien de plus n’a filtré à ce stade, mais les circonstances laissent à penser que, pendant toutes ces décennies, certains – probablement dans le village lui-même – étaient au courant de la situation et se sont tus. Mais si l’affaire fascine à ce point, c’est aussi, estiment beaucoup de commentateurs, qu’elle réveille le douloureux souvenir de la « décennie noire » des années 1990 durant laquelle des milliers de personnes ont mystérieusement disparu, enlevées ou assassinées par les groupes islamistes armés ou par les forces de l’ordre.
Si Omar Ben Omran a survécu et a fini par être retrouvé, beaucoup de familles algériennes se disent que tout espoir de retrouver un jour le parent, l’enfant ou l’ami disparu sans laisser de traces n’est pas tout à fait mort.
Jeune Afrique