La 3ème vie de Benno
Au seuil du pouvoir en l’an 2000, Me Wade n’avait satellisé que des organisations de la gauche marxisante. Ce schéma d’alliances de Macky Sall parachève de fait l’œuvre de son ancien mentor en asseyant l’hégémonie du libéralisme désormais tricéphale sur la totalité de la gauche sénégalaise. La perte de leur autonomie politique subséquente à celle de leur cohésion dans Benno Siggil Senegaal a pour Moustapha Niasse et Ousmane Tanor Dieng un air de chant du cygne. Comme quoi, aimait à enseigner leur maître à penser, Léopold Sédar Senghor, toutes les erreurs politiques se paient.
Et le prix à payer est lourd pour les deux principaux vaincus de l’élection présidentielle. Emportés par le toboggan d’une pseudo-révolution citoyenne du M23 et par la mystique d’une unité sans principe, ils sont tenus de supporter, au propre comme au figuré, le candidat libéral dont la victoire signifierait la défaite d’un chef de clan libéral décadent par un autre chef libéral émergent. Mais aussi la revanche libérale sur un leadership de management jeune et alternatif, révélé par la victoire aux élections municipales et locales du Benno originel : le président du Conseil régional, les maires de Dakar, Saint-Louis, Podor, Louga, Kafrine, et autres localités du pays.
Ceux-là, sauf Bamba Dièye qui, en sa qualité de candidat n’en demande pas tant, n’ont aucune latitude de négocier leur soutien à Macky Sall. Et à ce qu’il semble, leurs leaders en fin de parcours n’ont pas réellement pensé à eux quand ils affichent un apparent désintérêt pour un partage du pouvoir qu’ils s’engagent à aider Macky à conquérir. Cette fausse générosité prive leurs héritiers politiques. L’attitude conséquente aurait été pour eux, en la circonstance et en l’absence de toute ambition future, de démissionner de la direction de leurs partis respectifs au profit des vainqueurs des élections municipales et locales qui sont de la même génération que leur candidat au deuxième tour.
Avec l’avènement du président du Conseil régional de Dakar, Malick Gakou, comme numéro 2 de l’Alliance des forces de progrès (AFP), Moustapha Niasse ne devrait pas s’arrêter en si bon chemin. Le retrait annoncé d’Ousmane Tanor Dieng poserait le défi d’un premier congrès socialiste à départager vraiment plusieurs candidats au leadership du parti. En tout état de cause, faute d’une perspective collective claire, les bases des partis mal unifiés dans les versions successives de Benno iront s’émanciper d’une direction tatillonne dans ses choix stratégiques et irrésolue dans ses alliances tactiques au point d’obscurcir leur horizon politique au-delà du 25 mars 2012, quel que soit le vainqueur.
L’engouement anti-Wade, partagé par les différentes fractions de l’opposition, rappelle celui qui emporta le régime de Diouf. Il couve les mêmes malentendus qui ont brisé la cohésion des alliés de Me Wade qui constituent aujourd’hui l’essentiel de l’aile marchante des différentes composantes favorables à Macky Sall. Les conclusions des Assises nationales ne sauraient constituer un programme commun de gouvernement. Les auteurs des recommandations de bonne gouvernance n’ont pas compris qu’elles pouvaient tout aussi bien être un bréviaire de bonne conduite en opposition, à laquelle ils ont failli en prônant un régime faussement parlementaire tout en convoitant la chefferie d’un régime présidentiel fort.
Les coalitions politiques n’ont pas été un remède efficace à la crise des partis politiques dont certaines plus ou moins grosses pointures discutent de possibles ralliements au candidat sortant qui les négocie ferme. La transhumance massive qui est devenue une tradition politique risque de faire basculer le rapport de forces en faveur du candidat sortant si l’on se fie à l’optimisme affiché de ses affidés. Mais la chronique quotidienne nous informe qu’elle se fait dans les deux sens, du pôle de Me Wade à celui de Macky Sall et vice et versa. Mais qui serait assez fou pour ramer à contre-courant vers la composante du Benno originel ? La troisième vie de Benno semble devoir lui être fatale.