La guerre des trois
Ce cas de figure est inédit dans les annales politiques sénégalaises : un président élu au second tour par une large alliance composée de candidats malheureux, parie sur celle-ci pour évincer la majorité parlementaire de la coalition présidentielle battue dont il fut le chef. Quoique scindée en deux listes concurrentes et affaiblie par des défections, cette majorité rêve, les yeux ouverts, d’un futur retour au pouvoir par une cohabitation qu’imposeraient les urnes. Cette compétition autour du pouvoir législatif, plus courue que l’élection présidentielle avec 24 listes, va dérouler ses promesses de revanche politique et de rééquilibrage institutionnel mais, plus sûrement, assouvir les ambitions de carrière individuelles.
Le fait que la coalition Bokk Yaakaar soit dirigée par Moustapha Niasse, rallié au candidat de l’opposition du 2ème tour, promet une disharmonie et une incohérence programmatique entre les alliés de circonstance qui espèrent reconduire la majorité présidentielle en majorité parlementaire. La diversité des figures politiques de prou dont l’autorité est discutée par leurs bases respectives n’est pas gage d’un appui homogène à la politique gouvernementale, même si le sort des urnes restait favorable à la coalition présidentielle. L’actuel Premier ministre, faute de légitimité politique, ne ferait pas le poids face aux dinosaures ralliés mais non point domptés.
L’absence d’une présence marquante du parti présidentiel, l’Alliance pour la république (APR), sur l’échiquier politique et même de cadres convaincus et convaincants dans le débat national, laisse le président Macky Sall désarmé face à ses adversaires et sans ressources devant ses alliés. Le choix de la tête de liste de Bokk Yaakaar découlerait de ce constat affligeant plus que d’une générosité quelconque au vu de la parcimonie avec laquelle ses alliés ont été investis à la base. Au surplus, le triomphe de la liste parlementaire du nouveau régime est le seul gage de l’accession de Moustapha Niasse au perchoir de l’Assemblée nationale, la seule consécration qui manque à sa renommée.
Ce triomphe reste incertain. Par quelle magie le rapport de forces qui a basculé entre les deux tours va-il rester intangible ? Les partis qui ont fini par soutenir Macky Sall ne l’ont fait qu’en désespoir de cause sans cesser pour autant de rivaliser entre eux. Le souci de survie politique des leaders de partis en a fait des chefs de factions anxieux qui se marquent à la culotte en même temps qu’ils essaient d’endiguer l’ambition de leurs lieutenants et l’aspiration de leurs militants. Les législatives leur ont donné l’occasion de se défausser de ces soucis sur leur allié devenu d’autant plus puissant que Niasse et Tanor Dieng ont dû lui faire des concessions qu’ils se sont refusées l’un à l’autre.
Pour Tanor Dieng, candidat sur la liste départementale, quel que soit le cas de figure, sa bonne fortune devrait tenir dans le pari de gagner chez soi comme il le professait déjà, étant du pouvoir. En ce moment, il pourrait légitimement aspirer être Premier ministre d’un gouvernement qui devrait s’appuyer sur la virginité des socialistes de toute souillure du régime de Me Wade pour mener la politique vertueuse dont rêve l’actuel régime. Même si les législatives n’étaient pas la sanction d’un gouvernement apparemment tatillon, de cadres qui traînent les casseroles de leur épopée wadienne et de conseillers pléthoriques dont la faconde cache mal les reniements successifs.
Les épigones de l’ancien régime reprennent pied face aux atermoiements d’une inquisition brouillonne. Compte tenu de ce qui se sait désormais, les tenants du pouvoir et les cadres de l’opposition politique se tiennent par la barbichette pour ce qu’ils ont vécu ensemble. La politique dite de récupération des biens nationaux a donc des limites humaines et objectives. Confronté aux faits, le journalisme dit d’investigation a pris un sacré plomb dans l’aile non seulement pour n’avoir pas découvert le patrimoine conséquent de l’actuel président, mais aussi pour avoir attribué à ceux de l’ancien régime plus de biens qu’ils n’en ont jamais eus.
Les douze années d’alternance ont disloqué les partis, dépolitisé le débat public et secrété une petite bourgeoisie d’affaires politiciennes dont la prospérité repose sur le fonctionnement d’un appareil d’État dispendieux et la spéculation sur les opportunités financières offertes par une démocratie dite exemplaire. Le seul débat qui prévaut les concerne dans les trois entités potentiellement hégémoniques que sont les deux fractions du Parti démocratique sénégalais et la coalition du pouvoir. C’est une âpre lutte pour le pouvoir, la guerre que se mènent les trois listes. Les 21 autres ont peu de chance de troubler le jeu malgré la pertinence de leur combat, à cause d’une logique de dispersion qui n’a pas épargné les écologistes, sans doute les plus dignes de confiance.