À la recherche de la bonne eau
Alors que la capitale sénégalaise abrite la plus grande rencontre internationale pour faire face aux défis de l’approvisionnement en eau et la gestion de l’assainissement, le pays devra aussi s’inspirer de l’expérience de ses hôtes pour trouver des solutions à ses problèmes de gestion d’une ressource pourtant abondante.
Au Sénégal, démarre, aujourd’hui, le 9e Forum mondial de l’eau. Un événement qui place Dakar, du 21 au 26 mars 2022, comme la capitale mondiale de l’eau, pour une rencontre dont le thème, ‘’La sécurité de l’eau pour la paix et le développement’’, permettra d’aborder les enjeux globaux pour l’homme et la nature, aujourd’hui et demain. Pour une première en Afrique subsaharienne, le forum sera un cadre pour les autorités politiques et les acteurs de l'eau du monde entier pour accélérer la concrétisation efficace de l’Agenda mondial de l’eau, qui conditionne l’atteinte des Objectifs de Développement Durable.
Dans un pays disposant d’une façade maritime de plus de 700 km, d’au moins trois fleuves et de plusieurs bassins aquifères, cette rencontre se tient dans un lieu où les enjeux autour de l’eau sont le quotidien des populations. C’est ainsi que le forum de Dakar, co-organisé par le gouvernement sénégalais et le Conseil mondial de l'eau, devra renforcer les actions dans le monde, pour l’accès universel à l’eau et à l'assainissement, afin de redonner espoir à ces centaines de millions de personnes privées de l’essentiel, particulièrement en Afrique, en Asie et en Amérique latine.
A commencer, un pays hôte où l’abondance du liquide précieux contraste avec le manque de disponibilité d’une eau de qualité, apte à satisfaire les besoins de la population totale. Comme une invite à se pencher sur cette question, la Banque mondiale a publié, à cinq jours du début du forum, le rapport ‘’Défis et recommandations en matière de sécurité hydrique au Sénégal’’. L’enquête menée au niveau national et dans le triangle Dakar-Mbour-Thiès évalue le niveau d’attention accordé à la gestion des ressources en eau et identifie les obstacles à l’atteinte de la sécurité hydrique, en faisant un focus sur la région du Grand Dakar, où la sécurité hydrique apparaît cruciale pour le développement.
Une sécurité hydrique en danger
Le document pointe du doigt la non prise en compte les contraintes liées à la disponibilité de l’eau et le manque d’un cadre institutionnel dans la gestion des ressources comme des facteurs menaçant à la fois la sécurité hydrique du Sénégal et sa croissance économique. Deux secteurs profondément liés, puisque ‘’les défis liés à la sécurité hydrique sont particulièrement nombreux dans le triangle Dakar-Mbour-Thiès, une région qui abrite plus de la moitié de la population sénégalaise. Cette région produit par ailleurs 50 % du PIB du Sénégal et a connu un taux de croissance de 4 % par an au cours de la dernière décennie. Cependant, depuis 2011, la région est confrontée à un déficit en eau et à des risques de sécurité hydrique importants, notamment en matière de surexploitation des ressources, de pollution des nappes phréatiques et de menaces sur les zones humides et leurs écosystèmes. Le lac de Guiers, qui fournit environ 40 % de l’eau de la région, est menacé par la pollution et les fortes demandes pour cette ressource limitée’’, souligne le rapport de la Banque mondiale.
Au Sénégal, deux réformes majeures encadrent la gestion de l’eau. C’est en 1996 que le gouvernement du Sénégal a acté l’implication du partenariat public-privé (PPP) dans la gestion de l’eau. La réforme du secteur de l’hydraulique urbaine a réparti les obligations financières et les fonctions entre deux entités : la Société nationale des eaux du Sénégal (Sones), en tant que détenteur du patrimoine chargé de financer le développement, la réhabilitation et le renouvellement du patrimoine, et un opérateur privé sous contrat, la Sénégalaise des eaux (SDE, remplacée par la Sen’Eau) chargé de l’exploitation et de la maintenance des infrastructures ainsi que de la gestion des services d’approvisionnement d’eau.
Un modèle de gestion de l’eau en question
Fort du constat que ce modèle a permis une allocation optimale des capitaux et une amélioration de la viabilité financière du secteur de l’hydraulique urbaine, le gouvernement du Sénégal a cherché à reproduire la même chose dans le secteur rural qui connaît beaucoup de difficultés dans la gestion et la distribution de l’eau, souvent issue de forages. Un nouvel établissement public, l’Office des forages ruraux (Ofor), a ainsi été créé en 2014 pour contrôler, gérer, réhabiliter et déléguer l’exploitation du patrimoine d’hydraulique rurale à travers le pays, pour le compte de l’État. La gestion et la réhabilitation des infrastructures d’hydraulique rurale ont été retirées des fonctions dévolues à la Direction de l’exploitation et de la maintenance (DEM) au sein du ministère de l’Hydraulique et de l’Assainissement (MHA).
Dans la capitale sénégalaise, la forte croissance démographique, couplée à l’activité économique, exerce une pression importante sur les infrastructures vieillissantes, conduisant à la saturation des capacités de production et de transfert de l’eau. D’où l’intérêt, pour le gouvernement, d’avoir investi pour la création d’une troisième usine de traitement d’eau potable, inaugurée le 10 juillet 2021.
Baptisée KMS3, l’infrastructure fait partie intégrante d’un approvisionnement d’eau potable majeur pour Dakar, distante de quelque 200 km. L’eau est pompée dans le lac de Guiers, dans le nord-est du Sénégal, puis traitée et enfin transportée par une conduite d’eau vers les robinets des habitants de la capitale.
L’augmentation de la capacité de production et de transfert d’eau potable vise l’amélioration de la continuité du service pour un million de personnes dans la capitale et d’étendre l’accès à l’eau potable à 680 000 personnes supplémentaires. Si elle injecte déjà 100 000 m3/j sur le réseau, Kms 3 sera en mesure de produire 200 millions de litres d’eau par jour, à la fin des travaux des infrastructures de stockage et de distribution toujours en cours.
‘’Le niveau des prélèvements actuels devrait augmenter de 30 à 60 %, d’ici 2035’’
De manière générale, les eaux de surface constituent la principale source d’eau pour l’agriculture. Mais durant les périodes de faibles précipitations, elles ne suffisent pas à répondre aux besoins, en particulier pour l’irrigation dans le bassin du fleuve Sénégal. ‘’Les eaux souterraines fournissent 85 % de l’eau potable et couvrent la plupart des besoins dans l’industrie. Cependant, ces ressources sont menacées par la surexploitation et la pollution. Le niveau des prélèvements actuels devrait augmenter de 30 à 60 % d’ici 2035, renforçant le stress hydrique et mettant à l’épreuve la capacité de répondre à la demande d’une population en pleine urbanisation. Les phénomènes extrêmes liés à l’eau et sa pollution coûtent déjà au Sénégal plus de 10 % de son PIB chaque année, et la crise de la Covid-19 a encore intensifié le problème’’, souligne l’enquête de la Banque mondiale.
Une des solutions préconisées par les recommandations est la diversification de l’approvisionnement. L’institution de Bretton Woods estime qu’une économie circulaire de la sécurité hydrique offrirait de substantiels bénéfices, en permettant au pays de développer la réutilisation des eaux usées, pour permettre la reconstitution des nappes phréatiques et l’irrigation, tout en s’appuyant sur les zones marécageuses et l’infrastructure verte en vue d’améliorer la gestion et la capture des eaux pluviales.
Le rapport recommande également des mesures de réduction du gaspillage et d’efficience, une allocation adaptée aux usages et le développement de ressources non-conventionnelles comme la désalinisation de l’eau de mer et le traitement des eaux usées. Dans le triangle Dakar-Mbour-Thiès, une plateforme de collaboration multisectorielle et multi-acteurs est nécessaire à l’amélioration de la gestion de l’eau, pour restaurer et entretenir l’équilibre entre l’utilisation actuelle des ressources hydriques et leur protection, afin de garantir les besoins à venir.
Une indispensable diversification de l’approvisionnement
Mais les questions liées à l’eau ne concernent pas seulement son utilisation domestique. Des besoins professionnels concernent l’agriculture irriguée, l’industrie et le tourisme. Beaucoup d’initiatives ont été prises au fil des décennies par le gouvernement, en vue d’une maîtrise des différents apports d’eau pour le développement économique et social : le percement de forages, l’aménagement du lac de Guiers et le traitement de ses eaux, la construction de barrages sur des cours d’eau importants, la revitalisation des vallées fossiles et les bassins de rétention, etc.
Toutefois, des problèmes demeurent dans la conservation de l’eau, le maintien de sa qualité et les divergences dans les visions politiques autour de la question. Autant de pistes sur lesquelles les services du ministère de l’Eau et de l’Assainissement devront se pencher dans les cinq jours au cours desquels le Sénégal recevra la plus grande rencontre internationale sur les questions liées à l’eau.
Tenu pour la première fois en Afrique subsaharienne, ce 9e Forum mondial de l’eau aura un accent particulier pour le continent noir où l’agriculture représente 23 % du produit intérieur brut (PIB). C’est en Afrique également que la mauvaise qualité de l’eau est à l’origine de 70 à 80 % des maladies. Dans une tribune publiée sur le site de la Banque mondiale, en prélude à la tenue de ce forum, le président de la Banque mondiale, David Malpass, et le chef d’État sénégalais, Macky Sall, également Président en exercice de l’Union africaine, ont appelé à l’engagement d’une action d’urgence dans le secteur, pour avancer sur trois fronts : le renforcement des réformes politiques et institutionnelles ; l’augmentation de l’investissement public et privé ; et une plus forte participation citoyenne.
Alors que les décideurs politiques, les chefs d’entreprise, les ONG, les donateurs et les organisations internationales se retrouveront à Dakar, les besoins de financement dans le domaine de l’eau seront multipliés par six, d’ici 2030. ‘’Alors que l’Afrique devra investir jusqu’à 20 milliards de dollars chaque année, les pays n’allouent aujourd’hui que 0,5 % de leur PIB au secteur. Et une plus forte participation citoyenne est également nécessaire à tous les niveaux. Le but ? Transformer notre façon d’utiliser l’eau, de la partager, de l’économiser, d’éviter son gaspillage et de la valoriser’’, estiment les deux décideurs.
Lamine Diouf