Les liaisons dangereuses
Le logiciel d'espionnage Pegasus refait surface dans le paysage médiatique sénégalais. Des informations relayées par une partie de la presse indiquent que les autorités sénégalaises chercheraient à acquérir cet outil controversé pour surveiller des applications comme WhatsApp et Telegram. Retour sur cette affaire Pegasus qui continue de défrayer la chronique en Afrique.
L'affaire Pegasus, le logiciel d'espionnage développé par la société israélienne NSO, refait surface au Sénégal. La semaine dernière, plusieurs journaux ont titré sur les intentions supposées des autorités sénégalaises de se procurer cet outil pour contrôler des applications telles que WhatsApp et Telegram. Ce logiciel, déjà utilisé par des pays comme le Maroc, l’Algérie, la République démocratique du Congo, l’Égypte, l’Ouganda, le Rwanda et le Togo, cible principalement des journalistes, des opposants, des avocats et des défenseurs des Droits de l'homme.
Pour rappel, le scandale des dérives de Pegasus, un logiciel espion ultra-invasif vendu par la société israélienne NSO, éclate en juillet 2021. Il est mondial. À l'origine de ces révélations, une enquête menée depuis des mois par un consortium de médias internationaux, Forbidden Stories.
L’affaire Pegasus est l’un des plus gros scandales mondiaux de cybersurveillance.
Pegasus a été au centre de controverses, depuis qu'un dissident émirati, Ahmed Mansoor, a lancé une alerte en 2016. La société NSO est souvent accusée de soutenir des régimes autoritaires. En Côte d'Ivoire, NSO a même engagé Gérard Araud, ancien ambassadeur de France en Israël et aux États-Unis, pour conseiller sur la protection des Droits de l'homme et de la vie privée.
Après les révélations, le président français, Emmanuel Macron avait décidé de changer de téléphone, et, par prudence, également de numéro de mobile, avait révélé les médias français. En effet, on craignait une infection potentielle de son smartphone par le logiciel Pegasus. Dans la foulée, le chef de l'État français avait tenu un conseil de défense exceptionnel, dédié à cette affaire et aux questions de cybersécurité. Au terme de celui-ci, le président avait pris des mesures, selon des informations confirmées par BFMTV : l'un de ses quatre téléphones avait été remplacé, ainsi que son numéro de téléphone "pour certains échanges".
En Afrique, presque aucun pays ne s’était prononcé sur le scandale Pegasus, à part le Rwandais Paul Kagamé qui ironisait, lors d’une rencontre, en déclarant qu'il souhaitait pouvoir s'offrir la technologie "pour en savoir plus" sur ses ennemis.
Le Sénégal et les sociétés d'espionnage
Bien qu'il n'y ait aucune preuve que le Sénégal a utilisé Pegasus ou continue de l’utiliser, le régime de Macky Sall a bénéficié des services de sociétés d'espionnage comme Team Jorge, formée par d'anciens agents du Mossad et du Shin Beth. Cette société aurait aidé Macky Sall à remporter l'élection présidentielle de février 2019. Le Dr Ndiaga Guèye, président de l'Association des utilisateurs de Tic (Asutic), a affirmé que la victoire de Sall résultait d'une stratégie de manipulation électorale menée par la société française Spallian, spécialisée dans le big data.
Selon ‘’The Guardian’’, une équipe israélienne impliquée dans la diffusion de désinformation au Sénégal a utilisé des robots numériques. Macky Sall avait également des relations avec Gabi Pérez, un ancien espion du Mossad, qui fournissait des équipements militaires et des tables d'écoute aux palais africains, y compris ceux de Dakar et de Conakry.
Les émeutes de mars 2021 et les influences étrangères
Après les émeutes de mars 2021 au Sénégal, Macky Sall a sollicité les services de Lotfi Bel Hadj, un cyber influenceur, et de sa société UReputation. Bel Hadj a rapidement démontré ses capacités en révélant l'implication de 9 000 comptes Twitter saoudiens dans le soulèvement populaire. Cela avait poussé le président et certains collaborateurs à parler de ‘’forces occultes’’. Une expression, par la suite, sans cesse utilisée dans les médias, sans pour autant qu’on dise à l’opinion ce qui se cachait derrière ces deux mots.
Un conseiller à la présidence d'un pays d'Afrique de l'Ouest avait même décrit dans les colonnes de ‘’Jeune Afrique’’ une démonstration où les techniciens de Bel Hadj ont pénétré les systèmes sécuritaires en une heure.
Accusations et controverses récentes
En octobre 2023, l'avocat français Juan Branco a affirmé, sur Facebook, avoir des preuves que le palais de Dakar était impliqué dans un complot visant à éliminer son client Ousmane Sonko. Des barbouzes français travaillant pour AVISA Partners auraient participé à cette réunion. Bien que la société ait démenti ces allégations, elle a des liens étroits avec l'ancien régime et possède des bureaux à Dakar. Gérard Askinazi, l'un des propriétaires, travaillait régulièrement pour le gouvernement de Macky Sall.
Toujours dans cette perspective, selon ‘’Africa Intelligence’’, le candidat de la majorité, Amadou Ba, a fait appel à des communicants français et sénégalais discrets lors de la campagne électorale de mars 2024. Parmi eux, Aron Shaviv, ancien communicant de Benjamin Netanyahu, aurait joué un rôle important.
L'affaire Pegasus met en lumière les enjeux de surveillance et de manipulation politique en Afrique. Entre accusations de collusions avec des sociétés d'espionnage étrangères et stratégies électorales controversées, le débat sur l'utilisation de tels outils reste d'actualité. Le Sénégal, comme d'autres pays africains, est à la croisée des chemins, entre sécurité nationale et respect des Droits de l'homme.
AMADOU CAMARA GUEYE