Publié le 4 Nov 2020 - 14:35
LENDEMAIN DE SCRUTIN :

Une victoire, deux gouvernements

Résidence surveillée de Henri Konan Bédié

 

Le président sortant a été réélu pour un troisième mandat. Mais depuis lundi, l’opposition ivoirienne est victime d’attaques, car elle a finalement constitué un gouvernement de transition.

 

Alassane Ouattara a remporté la Présidentielle du 31 octobre avec un taux de 94,27 %. D’après la Commission électorale indépendante (CEI), sur les 7 000 000 d’électeurs, 6 066 441 ont pu s’exprimer dans les urnes. Les 1 500 000 empêchés par des manifestations ou la fermeture de certains bureaux de vote n’ont pas participé au scrutin. L’institution totalise un taux de participation de 53,90 %.

 Le candidat indépendant Kouadio Konan Bertin s’en tire, pour sa part, avec 1,99 % des voix. Félicitant son adversaire, il appelle les acteurs politiques à la concertation au nom de la paix et de la réconciliation. ‘’En Côte d’Ivoire, j’ai des adversaires, mais pas d’ennemis. J’ai fait le choix d’une élection très imparfaite au lieu d’une guerre civile meurtrière. Entre deux maux, il faut choisir le moindre. J’ai fait le choix d’une élection imparfaite et je l’assume’’, a-t-il déclaré hier, suite à la proclamation des résultats.

Bien loin de clore le chapitre électoral, cette victoire du président sortant est plutôt la porte ouverte à de nouvelles turbulences. Le bras de fer entre l’opposition et le pouvoir se durcit. Le gouvernement de transition rendu public a pour Premier ministre Tidiane Thiam et comme vice-président Laurent Gbagbo. Pascal Affi N’Guessan occupe le poste de ministre d’Etat et des Affaires étrangères. 

Plusieurs leaders politiques en résidence surveillée

Hier après-midi, la police, fortement déployée aux alentours de la résidence du président Henri Konan Bédié, a tenté d’empêcher la tenue d’un point de presse. Repoussés de force à l’entrée de la villa, plusieurs journalistes n’ont pas pu avoir accès à la rencontre. Les plus chanceux, de l’intérieur, ont pensé ne plus pouvoir en sortir, tant la tension montait.

‘’Les risques du métier’’, pourrait-on conclure. Sauf que dans ce contexte précis, la presse, surtout étrangère, a été victime de menaces et d’agressions physiques et verbales émanant des deux camps opposés durant tout le processus électoral. Le pays a malheureusement atteint un niveau où les partisans ne font plus la différence entre couverture médiatique d’un événement et appartenance politique.

Dans une atmosphère tendue, le point de presse a finalement eu lieu. Le Parti démocratique de Côte d’Ivoire-Rassemblement démocratique africain (PDCI-RDA) dénonce ‘’une attaque à l’arme lourde’’ des résidences de son président et de trois autres membres de l’opposition. La formation soutient que ‘’ces attaques armées nocturnes, injustifiées, incomprises, perpétrées par des éléments à bord de véhicules de nos forces régulières, témoignent d’un grave recul de notre démocratie et d’une atteinte inacceptable au droit et aux libertés individuelles’’.

En effet, dans la nuit de lundi à mardi, des individus ont tiré des coups de feu, avant de lancer des bombes lacrymogènes en direction des domiciles d’opposants. Aucun blessé n’a été enregistré.

Pendant la rencontre, sur ordre des forces de l’ordre, le secrétaire exécutif du parti, Maurice Kakou Guikahué, sera raccompagné chez lui sous haute escorte. Depuis hier, les leaders de l’opposition, considérés les plus actifs, sont en résidence surveillée. Henri Konan Bédié, Mabri Toikeuse, Maurice Guikahué et Assoa Adou sont interdits de sortie. Le porte-parole des opposants est, quant à lui, porté disparu. Pascal Affi N’Guessan aurait, selon ses proches, quitté son domicile pour un lieu plus sécurisé.

Si le gouvernement reconnait avoir ‘’réagi’’ suite à l’annonce d’un Conseil de national de transition, il se dédouane, en affirmant que son opération ne visait pas des résidences précises. Selon le ministre de la Sécurité et de la Protection civile, dans un contexte pareil, ‘’il est important de renforcer la sécurité. Des patrouilles sont donc organisées pour disperser d’éventuelles manifestations sur la voie publique. L’interdiction de ces rassemblements est, je vous le rappelle, prorogée jusqu’au 15 novembre’’, indique Vagondo Diomandé.  

Suite à la formation du second gouvernement, l’Etat de Côte d’Ivoire accuse l’opposition de ‘’complot et d’attentat’’ et compte punir les auteurs.

3 200 réfugiés ivoiriens dans trois pays africains

De son côté, la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest demande à l’opposition de respecter l’ordre constitutionnel et de privilégier la voie du dialogue. Un dialogue qu’elle refuse pourtant d’arbitrer, en tant que facilitateur ou médiateur, se contentant d’un poste d’observateur.

Dans cette atmosphère délétère, c’est l’économie ivoirienne qui risque d’en pâtir. A Abidjan, les Ivoiriens réfléchissent à deux fois avant de pointer le nez dehors. L’élection présidentielle, tout comme en 2010, laisse un pays profondément divisé. On décompte déjà 3 200 Ivoiriens réfugiés au Liberia, au Ghana et au Togo, arrivés le lundi 2 novembre, craignant des violences post-électorales.

Force est de reconnaitre que le taux de participation ne reflète pas ce qui s’est réellement passé le 31 octobre 2020. La capitale comptant le tiers des électeurs affichait ville morte. A l’intérieur du pays, pratiquement toutes les 17 régions ont connu des troubles liés à la désobéissance civile. Le rapport de plusieurs missions d’observation est sans appel. L’élection a été émaillée de violences et non-inclusive. Les ‘’microbes’’ ont sévi durant toute la campagne et même le jour du vote dans des communes réputées être des fiefs de certains opposants.

Aujourd’hui, l’opposition ivoirienne forme un bloc, certes, mais ne bénéficie pas d’une mobilisation populaire à la hauteur du combat enclenché. Or, son intensité requiert une base populaire forte. L’Ivoirien d’aujourd’hui, dix ans après la crise post-électorale qui a emporté plus de 3 000 personnes, préfère fermer les yeux et se taire plutôt que s’engager dans une lutte politique. La donne a changé, les blessures sont profondes et le traumatisme ne guérit pas.

Si à ce tableau, la frange de l’armée mécontente du traitement financier d’Alassane Ouattara et rancunière depuis le mandat d’arrêt international lancé contre Guillaume Soro, rallie l’opposition, on peut s’attendre au pire. Le troisième mandat d’Alassane Ouattara ralentit la Côte d’Ivoire dans sa marche vers une réconciliation vraie. Une réunification sincère entre le nord et le reste du pays.

EMMANUELLA MARAME FAYE (ENVOYEE SPECIALE A ABIDJAN)

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