Publié le 18 Jan 2025 - 13:45
LES EFFORTS DU NOUVEAU RÉGIME DANS LA LUTTE CONTRE LA CORRUPTION

Les organes de contrôle à l'épreuve de l'affaire Farba Ngom

 

Sous la présidence de Diomaye, le Sénégal a entrepris une série de réformes ambitieuses visant à renforcer la transparence et à lutter contre la corruption. Si la mise en place de nouveaux organes de contrôle, tels que le Pool judiciaire financier et la nomination de quatre membres à la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif), constitue un progrès notable, l’affaire Farba Ngom a relancé les interrogations sur l’efficacité de ces institutions face aux grandes figures politiques du pays. Une promesse de rupture avec les dérives du passé qui doit désormais se traduire par des actes concrets.

 

Depuis l’accession au pouvoir du président Diomaye, une promesse de rupture et de transparence a traversé les discours officiels, visant à rétablir la confiance des citoyens dans les institutions publiques et à lutter contre les dérives économiques qui ont émaillé les précédents mandats. Au cœur de cette dynamique se trouve la réforme des organes de contrôle, dont le rôle est désormais plus que jamais décisif pour garantir une gestion rigoureuse des finances publiques.

Cependant, comme le montre l’affaire Farba Ngom, les défis restent nombreux, notamment en termes d’efficacité et de réactivité des dispositifs mis en place.

Dans son programme, Diomaye a mis un accent particulier sur la rupture avec l’ancien régime et la refonte des structures de gouvernance. Cette rupture, qui fut un élément clé de sa campagne, doit se concrétiser par un usage optimal des ressources publiques et une politique de reddition des comptes exemplaire. L’une des grandes attentes du peuple sénégalais vis-à-vis du nouveau gouvernement réside dans la capacité des autorités à démontrer leur engagement à éradiquer la corruption, tout en garantissant la bonne gestion des fonds publics.

Pape Faye, militant de Pastef et observateur assidu de la scène politique, affirmait récemment que "les nouvelles autorités doivent mobiliser tous les moyens à leur disposition pour garantir la reddition des comptes". Une déclaration qui met en lumière l’exigence populaire de transparence et qui reflète une attente vis-à-vis des actions concrètes des organes de contrôle mis en place par Diomaye.

Le baptême du feu du Pôle judiciaire financier

Concernant l’affaire Farba Ngom, un des grands chantiers du gouvernement Diomaye a été la mise en place du Pôle judiciaire financier. Ce dispositif, longtemps promis mais jamais activé sous l’ancien régime de Macky Sall, a enfin vu le jour. C’est cinq mois après l’investiture de Diomaye que la composition de ce Pool a été rendue publique, donnant un signal fort de l'engagement du nouveau pouvoir à lutter contre la corruption et les crimes économiques.

Pour rappel, le Pôle judiciaire financier est une structure qui regroupe des magistrats, des policiers et des experts financiers, ayant pour mission de traiter les dossiers complexes liés aux crimes économiques et à la corruption. Les observateurs considèrent la mise en place effective de cette juridiction comme un véritable tournant dans la lutte contre la corruption au Sénégal.

Toutefois, ce dispositif ne peut pleinement fonctionner qu’avec des informations solides et des rapports d’investigation détaillés. C’est dans ce cadre que la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif) entre en jeu.

La Centif ressuscitée

L'un des leviers les plus puissants dans la lutte contre la corruption et le blanchiment d'argent est la Centif, une institution créée pour analyser les flux financiers suspects et traiter les alertes de fraude. Or, pendant longtemps, la Centif a été sous-exploitée et ses rapports ont été largement ignorés. Sous l’ancien gouvernement, cet organe avait perdu de sa visibilité et de son efficacité. Cependant, avec l’arrivée au pouvoir de Diomaye, la situation a radicalement changé.

En avril 2024, le gouvernement a procédé à la nomination de quatre nouveaux membres de la Centif, après leur prestation de serment devant la Cour d’appel de Dakar. Ces nouveaux responsables, dont des magistrats, des commissaires de police et un lieutenant-colonel des douanes, sont appelés à redynamiser cette institution essentielle dans la lutte contre les crimes financiers.

Le rapport de la Centif de 2023 a ainsi été publié dès le mois de septembre 2024, exposant des irrégularités financières et des soupçons de blanchiment d'argent. Ce rapport a suscité un grand intérêt au sein de l’opinion publique et des milieux politiques, renforçant l'idée que la lutte contre la corruption est désormais prise au sérieux.

L'affaire Farba Ngom : un déclencheur de débat

L’affaire Farba Ngom, en particulier, constitue un tournant dans les débats sur l’efficacité des organes de contrôle sous le nouveau régime. Le maire d’Agnam, homme d'affaires influent et proche du président sortant, est accusé de détournement de fonds et de blanchiment d'argent. Bien qu’il n’ait pas encore été formellement inculpé, l’affaire a ravivé les discussions sur l’usage des organes de contrôle et sur leur capacité à enquêter sur les grandes figures politiques du pays.

Cette affaire a le mérite de relancer le débat aussi sur l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac), qui a vu le jour sous le régime de Macky Sall. Cependant, elle n’a pas servi à grande chose durant les 12 ans de pouvoir de BBY. C’est le même constat pour les autres organes comme la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif), ainsi que sur d’autres institutions de contrôle comme la Cour des comptes et l'Inspection générale d’État (IGE).

Alors que certains estiment que ces organes font leur travail avec rigueur, d’autres déplorent un manque de réactivité, notamment lorsqu’il s'agit de personnalités politiques influentes.

Ainsi, malgré ces avancées, l’effort de transparence et d’action ne semble pas totalement satisfaisant pour l’ensemble des citoyens. La publication des rapports d’organismes comme la Centif, l’IGE, ou encore la Cour des comptes est certes un pas important vers la reddition des comptes, mais la véritable question demeure : que faire de ces rapports ?

Une partie de l’opinion publique réclame plus que de simples publications de documents : elle veut des actions concrètes, des poursuites judiciaires et des sanctions. En effet, comme le soulignent plusieurs observateurs, les rapports produits par les organes de contrôle semblent souvent ne pas aboutir à des résultats tangibles, en particulier lorsqu’ils concernent des personnalités politiques influentes.

L’affaire Farba Ngom est l'exemple même de cette problématique. Si le rapport de la Centif évoque plusieurs indices d’irrégularités financières, le public attend des suites judiciaires. Cependant, la question de l'indépendance des institutions de contrôle et de la pression politique reste en toile de fond. Dans ce contexte, beaucoup appellent à une plus grande réactivité et transparence de la part de ces institutions, particulièrement lorsqu’elles sont amenées à traiter des dossiers impliquant des figures politiques.

Le rapport sur la situation des finances publiques

Un autre chantier majeur pour le nouveau gouvernement est l'élaboration du rapport sur la situation des finances publiques, couvrant les années 2022 et 2023. Ce rapport, qui est en cours d’élaboration par la Cour des comptes, pourrait jouer un rôle central dans la restitution des comptes publics et dans la mise en lumière de possibles détournements de fonds. Sa publication, attendue avec impatience, devra répondre à des attentes élevées en matière de transparence.

Selon un communiqué de la Cour des comptes en décembre 2024, l’adoption de ce rapport suivra les procédures en vigueur et sera publiée après validation par les instances compétentes. Toutefois, de nombreux observateurs se demandent si cette nouvelle publication ne sera pas une simple formalité, ou si elle aura un véritable impact sur la politique de gestion des finances publiques. Pour l’heure, la question reste en suspens.

Les réformes entreprises sous le régime Diomaye marquent un tournant décisif dans la lutte contre la corruption et dans la mise en place d’un système de gouvernance transparent. L’engagement du gouvernement pour renforcer les organes de contrôle, notamment par la mise en place effective du Pool judiciaire financier et par l’activation de la Centif, est un pas important.

Cependant, des questions subsistent. L’affaire Farba Ngom, Lat Diop et d’autres demeurent un test pour la capacité des organes de contrôle à faire la lumière sur les pratiques de corruption et à traduire leurs rapports en actions concrètes. Si la promesse de rupture avec l’ancien système se veut ambitieuse, elle ne pourra se concrétiser que si des actions claires et des sanctions appropriées suivent les investigations de ces organes de contrôle.

La gouvernance du Sénégal, sous Diomaye, sera jugée à l’aune de la transparence effective de ses actions et de la rigueur avec laquelle les fautes économiques et financières seront traitées. Le peuple sénégalais attend de ces institutions qu’elles agissent avec impartialité et détermination, afin de remettre les finances publiques au service du bien-être de tous.

AMADOU CAMARA GUEYE

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