Publié le 8 Aug 2023 - 20:12
LIBÉRATION DE ME JUAN BRANCO

L’État rejette la ‘’patate chaude’’

 

L’arrestation d’un avocat étranger, défenseur du principal opposant sénégalais, lui-même emprisonné. Les sujets polémiques sur un maintien de Me Branco en détention étaient devenus quasi intenables.  

  

Une polémique en moins. Le Sénégal s’est épargné la poursuite de la mauvaise publicité que constituait l’arrestation de l’avocat franco-espagnol Juan Branco le weekend dernier. Après une nouvelle audition devant le juge d’instruction du 2e cabinet du tribunal de grande instance de Dakar, Me Branco a été placé sous contrôle judiciaire hier par Mamadou Seck. Par la suite, le ministre de l’Intérieur a pris un arrêté pour l’expulser du territoire sénégalais.

Une reculade après les lourdes charges qui ont été visées par le procureur de la République contre l’avocat d’Ousmane Sonko ? Pas vraiment, pour le ministre de la Justice.

Faisant face à la presse, après l’annonce de la libération de Me Juan Branco, Ismaïla Madior Fall a donné les raisons de cette décision : ‘’Il a été présenté, ce matin (hier, NDLR) à un juge d’instruction qui a exécuté le mandat d’arrêt international. Il l’a ensuite inculpé avant de lui accorder une liberté provisoire. Les infractions qui étaient visées sont des faits délictuels pour certains et criminels pour d’autres. Ce sont des faits pour lesquels on ne peut pas appliquer la procédure de la flagrance. On aurait pu le mettre sous mandat de dépôt pendant des années, mais l’option du juge était de l’inculper et souverainement lui accorder la liberté provisoire.’’

Libéré et expulsé

Interpellé le samedi 5 août en Mauritanie après six jours de traque au Sénégal, Juan Branco était visé par le procureur de la République qui avait requis un mandat d’arrêt international à son encontre, suite à ces accusations : ‘’Attentat, complot, diffusion de fausses nouvelles et actes et manœuvres de nature à compromettre la sécurité publique ou occasionner des troubles politiques graves.’’

 Selon le ministre de la Justice, ‘’Me Branco a essayé d’expérimenter sa théorie de la révolution et de l’insurrection au Sénégal en appelant à brûler et à casser, etc. Sur la  base de ces infractions, un mandat d’arrêt international a été émis à son encontre par un juge d’instruction’’.

De tous ces faits, rappelle le garde des Sceaux, c’est l’exécution du mandat d’arrêt qui a valu l’arrestation de l’avocat franco-espagnol. ‘’Maitre Branco a essayé d’expérimenter sa théorie de la révolution et de l’insurrection au Sénégal, en appelant à brûler et à casser, etc. Sur la  base de ces infractions, un mandat d’arrêt international a été émis à son encontre par un juge d’instruction. Dès qu’il a été appréhendé et remis aux autorités de la police nationale, le mandat d’arrêt a été exécuté’’.

De là, s’ajoute l’enclenchement d’autres procédures. Car, ajoute Ismaïla Madior Fall, ‘’il est entré irrégulièrement, pour ne pas dire frauduleusement dans le territoire national et a cherché à sortir de manière aussi irrégulière et frauduleuse’’.

 En effet, après une audition par des agents de la Sûreté urbaine, de nouvelles charges ont été rajoutées par le procureur. Il s’agit de ‘’séjour irrégulier’’’ et ‘’outrage à magistrat’’.

Le parquet ne s’oppose pas

Malgré tout, le parquet ne s’est pas opposé au placement de l’avocat sous contrôle judiciaire. Et  pour le garde des Sceaux, l’explication est toute simple : ‘’La liberté est la règle et la détention l’exception. Il n’est pas sénégalais. Il a sa famille et sa profession. Nous avons des accords de coopération judiciaire très sérieux qui nous lient avec la France pour un besoin d’administration de la justice. Il n’y avait pas de raison de le garder dans les liens de la détention.’’

La libération de Me Juan Branco a été accueillie comme un soulagement par ses collègues du barreau de Paris. ‘’C'est un immense soulagement. Nous sommes heureux et fiers de cette décision et de la remise en liberté de Juan Branco’’, s’est félicité Me Robin Binsard, l'un des défenseurs de Juan Branco. Julie Couturier et Vincent Nioré (bâtonnier et vice-bâtonnier du barreau de Paris, NDLR) ont dénoncé l’arrestation de leur collègue au Sénégal tout en appelant à sa libération immédiate.

En dehors de la corporation, plusieurs personnalités politiques ont également dénoncé l’arrestation de Juan Branco au Sénégal. Avocat à la personnalité sulfureuse et auteur d'un essai - ‘’Crépuscule’’ - aux relents, Me Branco est critiqué dans son propre pays pour ses prises de position politiques et son goût pour la polémique. Il fut l’avocat de beaucoup de membres des Gilets jaunes, mouvement protestataire qui a ébranlé la France en 2018. D’ailleurs, dans un communiqué publié dans la matinée d’hier, les Gilets jaunes de Montpellier, regroupés au sein du RPPA, se sont prononcés ‘’pour la libération immédiate de Juan, comme des milliers de citoyens. Nous appelons à relayer la pétition en ce sens et nous participerons aux actions pour exiger sa libération’’.

Malgré la liberté provisoire accordée à Me Branco, la procédure de l’information judiciaire continue à son encontre. Le ministre de la Justice a insisté là-dessus, assurant même qu’il est ‘’possible que son contrôle judiciaire soit révoqué. Et il peut être jugé lorsque l’information judiciaire sera clôturée. S’il est condamné, il pourra purger une éventuelle peine en France’’.

Me Babacar Ndiaye également libéré

Un communiqué du ministre de l’Intérieur a précisé que l’arrêt d’expulsion de l’avocat est motivé par une ‘’violation de la réglementation sur les conditions de séjour des étrangers au Sénégal’’.  L’avocat franco-espagnol n’a pas été arrêté seul. Dans cette quête pour sauver la face devant une personne qui a osé se rendre dans un pays qui a lancé un mandat d’arrêt international à son encontre, la justice s’est lancée aux trousses de toutes les personnes susceptibles d’avoir aidé Juan Branco à entrer ou sortir du pays. C’est dans ce cadre que Me Babacar Ndiaye, un autre avocat d’Ousmane Sonko, a été arrêté. Le concernant, le garde des Sceaux a soutenu qu’il ‘’y a des éléments, des indices graves et concordants qui montrent qu’il a aidé le sieur Branco à faire ce qu’il a fait’’.  

Mais son interpellation n’a pas été du goût du Conseil de l’ordre des avocats du Sénégal qui a dénoncé une violation flagrante de l’article 6 du règlement sur l’harmonisation des règles de la profession d’avocat dans l’espace UEMOA. Celui-ci prescrit la consultation préalable du bâtonnier avant toute poursuite, arrestation ou détention.

Contestant cela, le ministre de la Justice a assuré que conformément à la réglementation, l’avocat est poursuivi pour ‘’recel de malfaiteurs et aide au séjour régulier’’.

Toutefois, après son audition hier, Me Babacar Ndiaye a été libéré sur convocation. 

Lamine Diouf 

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