Publié le 3 Aug 2012 - 22:45
MAMADOU LAMINE KEÏTA, ANCIEN MINISTRE

''Macky Sall doit réguler la démocratie''

 

Ancien ministre de la Jeunesse et des Sports sous Wade, Mamadou Lamine Keïta aborde, dans cet entretien, les questions d'actualité. Du rapport de l'Autorité de régulation des marchés publics (ARMP) qui épingle sa gestion au département de la Jeunesse en passant par les retrouvailles de la famille libérale, ou la nouvelle Assemblée nationale, le maire de la commune de Bignona ne fait pas dans la langue de bois.

 

 

 

Monsieur le ministre, votre parti, le Parti démocratique sénégalais (PDS), vient de perdre le pouvoir et vous êtes relativement jeune. Comment voyez-vous l’avenir du PDS?

 

 

L’avenir du PDS est prometteur si on en juge par les résultats que le parti a obtenus lors des dernières élections législatives et par le potentiel d’hommes et de femmes qui le composent. Au regard de sa trajectoire et du combat qui a été le sien, il est important pour notre démocratie que le PDS continue de jouer sa partition sur la scène politique nationale. La Constitution du Sénégal a fait de l’opposition un rouage essentiel de notre démocratie. Pour être crédible, un pouvoir a besoin d’une opposition qui ne ferait pas forcément dans la subversion mais dans la proposition d’idées et de programmes alternatifs. Cela dit, le PDS ne peut pas jouer le rôle qui est attendu de lui s’il ne procède pas aux véritables mutations qui lui sont imposées par le contexte politique actuel. La forte personnalité de Me Wade permettait de combler, pour ne pas dire masquer, des insuffisances organisationnelles du parti. Avec le retrait progressif de Me Abdoulaye Wade de la direction du parti, un nouveau type de management du PDS s’impose. Il faut très rapidement engager la réflexion sur les textes de notre parti qui ont besoin d’être réformés pour s’adapter aux exigences d’un parti moderne. Ensuite, il faut rapidement engager un processus serein et démocratique de renouvellement des instances du parti de la base au sommet. J’ai fait usage du mot ''sérénité'' pour dire que nous devons arrêter l’activisme et la tricherie. Le PDS est le parti où ceux qui ne représentent rien font le plus de bruit. La prochaine direction du parti doit refléter la représentativité des uns et des autres. De même, on doit se préparer à vivre un leadership d’équipe et non celui d’un homme puissant comme cela a été le cas avec Me Wade. J’ajouterai que nous devons arrêter des pratiques qui nous ont perdus : la bataille fratricide entre membres d’un même parti. Je ne connais pas de parti au monde où les gens se combattent à l’interne comme on le fait au PDS.

 

 

Quelles sont les perspectives en ce qui vous concerne ?

 

 

À un niveau personnel, je rappelle que je suis le maire de la commune de Bignona, chef-lieu du département du même nom et qui fait 72% de la superficie de la région de Ziguinchor. Je me donne aujourd’hui plus de temps pour m’occuper de ma commune. J’avais mis en veilleuse des projets académiques que j’ai repris à l’Université, notamment ma thèse de doctorat en économie. Sur le plan politique, je suis au PDS avec l’ambition de compter parmi ceux qui composeront l’équipe de leaders de ce parti dans sa phase de renouveau.

 

 

«  Quelqu’un a dit que Senghor a creusé la démocratie sénégalaise, Abdou Diouf l’a approfondie et Abdoulaye Wade l’a élargie. Moi j’ajoute que Macky Sall doit la réguler »

 

 

Le président Wade a appelé aux retrouvailles de la famille libérale. Pensez-vous que c’est possible ?

 

 

Certains ont vite fait de parler d’entrisme ou de volonté de transhumance. Ce n’est pas le sens dans lequel Me Wade s’est exprimé. Dans l’immédiat, des hommes politiques ont bénéficié de la confiance des Sénégalais et d’autres l’ont perdue. Chacun doit accepter et rester à la place que le peuple lui a réservée. Maintenant, l’imbroglio qu’on observe sur l’espace politique sénégalais doit progressivement prendre fin. La pléthore de partis politiques dont les 90% ne vont jamais à des consultations ou s’ils y vont, c’est en se cachant derrière les autres, n’est pas de nature à donner une bonne lisibilité de notre sphère politique. Il en est de même des alliances contre-nature. Je crois que les partis doivent évoluer vers de grands ensembles idéologiques. Les libéraux du Sénégal doivent pouvoir se retrouver dans un même et grand parti avec plusieurs leaders présidentiables qui sont départagés par les militants à la veille de chaque élection. La même chose doit exister chez les sociaux-démocrates, chez les communistes, etc. Si deux libéraux qui portent les mêmes valeurs politiques sont dans deux partis différents et rivalisent en sollicitant le suffrage universel, c’est qu’il y a problème. Ce problème a un nom : intérêt personnel. Dès que les intérêts personnels disparaissent, il devient possible de s’entendre autour de ce que nous avons en commun. Dans les grandes démocraties, l’activité politique tourne essentiellement autour de deux ou trois grands blocs caractérisés par une homogénéité idéologique. Voilà la perspective dans laquelle il faut comprendre les retrouvailles de la famille libérale. A mon avis, c’est une des missions de la magistrature du président Macky Sall. Quelqu’un a dit que Senghor a creusé la démocratie sénégalaise, Abdou Diouf l’a approfondie et Abdoulaye Wade l’a élargie. Moi j’ajoute que Macky Sall doit la réguler ; l’espace politique sénégalais a besoin de régulation. Il ne s’agirait pas de porter atteinte à la liberté d’association des citoyens mais d’éviter un émiettement qui brouille les repères. Il s’agirait de construire des entités politiques fortes qui rivalisent de façon crédible. Le Sénégal doit dépasser l’aire d’élections législatives à l’issue desquelles l’entité majoritaire a 119 députés et l’entité suivante douze. Cela ne fait pas trop sérieux mais c’est une conséquence des réalités actuelles de notre champ politique. Qu’on me comprenne bien, je ne parle pas pour mon parti mais je considère que les choses doivent évoluer dans l’intérêt de notre démocratie. Il ne s’agit pas de dire : ''C’était comme ça sous Senghor, Diouf et Wade donc on continue dans le même sens''. Ce serait un échec. Il faut que les partis se retrouvent par famille idéologique.

 

 

« Malgré mon jeune âge, j’ai devancé Baldé au PDS de plus de dix ans, donc je ne peux pas être son poulain »

 

 

Que pensez-vous de la décision d'Abdoulaye Baldé de créer son parti ?

 

 

Il en a absolument le droit et je crois que sur le plan politique, il pèse plus lourd que beaucoup de secrétaires généraux de partis. Maintenant, il doit être parmi les acteurs qui vont rendre possibles les retrouvailles de la famille libérale le moment venu.

 

D'aucuns vous ont toujours considéré comme son poulain. Allez-vous le suivre ?

 

 

Malgré mon jeune âge, j’ai devancé Baldé au PDS de plus de dix ans, donc je ne peux pas être son poulain. Cependant, je reconnais en lui le grand frère et l’ami. Cela continue et continuera car je place les valeurs de fraternité et d’amitié au-dessus de la politique. Rien ni personne ne peut changer cette donne. Maintenant, lorsqu’il s’agit de rejoindre, c’est lui qui doit me rejoindre car moi je suis resté dans la maison du père, notre maison à nous tous. Je crois que nous devons rassembler nos forces pour réparer ce qui n’est plus bon dans la maison mais personne n’a le droit de brûler cette maison qui nous a tous abrités hier.

 

 

Monsieur le ministre, les audits de l’ARMP (Autorité de régulation des marchés publics) a épinglé votre gestion au Ministère de la Jeunesse où il est noté l’achat d’une serrure à 48 500 F Cfa et une lampe à néons à 47 750 F Cfa. Qu’avez-vous à répondre à cela ?

 

 

D’abord, l’information ne m’a pas surpris. Deux ou trois jours avant la sortie (de l'article qui a fait état du rapport d'audit dudit ministère), un ami m’a rapporté les propos d’un responsable du PDS, mon parti. Ce responsable qui, malheureusement, ne m’a jamais voulu du bien, lui disait : ''Votre ami, on n’a pas entendu parler de lui dans les audits'' ; et il ajoute en wolof ‘’fokk gnu taxxal ko dara’’ (il faut qu’il soit entaché de quelque chose). Je ne dirai pas que c’est forcément lui qui a commandité l’article mais ses propos ont eu le mérite de me préparer. Cela dit, le Ministère de la Jeunesse n’est pas la SENELEC encore moins une entreprise de construction de bâtiments. Si des serrures et des lampes à néons ont dû être achetées, c’est certainement pour changer celles devenues défectueuses dans les bureaux. Vous pensez que pour acheter quelques serrures et lampes à néons mes collaborateurs viennent demander mon avis ou m’avisent où bien me rendent compte pour que je sache à combien ils les ont achetées ? Pensez-vous que c’est comme cela que fonctionne un ministère ? Pensez-vous vraiment que des détails relatifs à l’achat d’ampoules et de serrures sont portés à la connaissance du ministre ? Non, ce n’est pas sérieux La publication de cette information avec ma photo à la une et un titre qui m’accuse directement relève tout simplement d’une volonté de nuire. Mais je suis psychologiquement préparé à tout cela car quand on est un acteur politique, on doit toujours s’attendre au pire.

 

 

Quel est votre avis sur la gestion des nouvelles autorités ?

 

 

Il peut être prématuré de porter un jugement objectif sur l’action du nouveau gouvernement. Il y a eu tellement de bruits qu’on a l’impression qu’ils sont là depuis longtemps mais ils n’ont fait que quatre mois. Le délai est objectivement court pour juger. Toutefois, sur certaines questions, on peut déjà nourrir des inquiétudes. Par exemple, le président Wade avait courageusement posé des actes de diversification des partenaires du Sénégal en mettant fin à la prédominance de certains partenaires historiques dans nos relations avec l’étranger. Aujourd’hui, on sent un retour en force de ces partenaires historiques.

 

 

Vous êtes de la Casamance, et il y a de bonnes volontés affichées de part et d’autres entre les tenants du pouvoir et les forces rebelles, notamment Salif Sadio. Comment appréciez-vous ce nouvel état d’esprit ?

 

 

Je m’en félicite très sincèrement et je prie pour que rien ne vienne entraver le processus. Quand on parle de la paix en Casamance, moi je transcende les limites politiques. Je considère que ce n’est pas une question de régime ou de gouvernement. Chaque Sénégalais, et en toute circonstance, doit travailler en faveur du retour définitif de la paix dans la région sud de notre pays. Les présidents Abdou Diouf et Abdoulaye Wade ont respectivement essayé, de toutes leurs forces, sans arriver à la solution finale. Le président Macky Sall prend le relais avec son approche. Par exemple, des questions qui étaient présentées par le MFDC comme conditions pour aller aux négociations n’ont pas trouvé de réponse sous Wade et nous ne sommes pas allés à la table de négociation. Aujourd’hui, on sent une ouverture du président Macky Sall sur certaines de ces questions, c’est le cas de rencontres en dehors du Sénégal. Je demanderai au président Macky Sall d’aller jusqu’au bout de sa volonté de lever toutes les contraintes qui ont fait que le MFDC n’a jusque-là pas accepté d’aller aux négociations. En plus de rencontres qui se tiendraient hors du Sénégal, le MFDC demande la levée des mandats d’arrêt qui planent sur la tête de certains de ses responsables. Je suis à peu près sûr que sans la levée de cette autre contrainte, ils accepteront difficilement d’aller à la table de négociations. Pour donner au processus toutes ses chances, cette question doit être étudiée. Je suis de ceux qui croient que si les uns et les autres se mettent un jour autour de la table et se parlent franchement, il est possible de trouver la solution. De son côté, le MFDC doit aussi exprimer davantage sa volonté d’aller vers des négociations car au moment où je vous parle, des éléments de l’armée sénégalaise sont entre les mains d'Atika (branche combattante du MFDC, Ndlr). Cette situation n’est pas de nature à mettre le gouvernement à l’aise.

 

 

Quelle sera votre partition en tant que fils du terroir ?

 

 

Il serait prétentieux de parler de ma partition personnelle. Toute action doit s’inscrire dans une synergie. Il faut impliquer tous ceux dont la voix compte mais éviter les activistes. Le processus de paix en Casamance a, de par le passé, souffert des agissements d’activistes qui, pour le moindre acte posé, s’empressent de se valoriser et de se présenter comme éléments indispensables. Ils ont brouillé les cartes et n’ont pas toujours dit la vérité à l’autorité. Des gens comme ça, il en existe auprès de chaque Chef d’État et le président Macky Sall doit s’en méfier s’il veut arriver à la solution.

 

 

Par Bachir FOFANA

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