Le contrecoup économique dans le Nord
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La ville sainte de Touba a refusé du monde, à l’occasion de la commémoration du départ en exil du fondateur du mouridisme. Un événement mondial qui fait rentrer d'importants capitaux dans la cité religieuse. Mais, au même moment, il affaiblit l’économie des autres régions dont Matam où boutiques, commerces et ateliers sont fermés.
Bien que située à plus de 300 km de Touba, la région de Matam vibre au rythme du grand Magal à sa manière. La forte communauté mouride qui s'y trouve a effectué le déplacement, laissant un vide impressionnant. Tout est au ralenti. La plupart des boutiques dans les coins de rue sont fermées ; un calvaire auquel les populations d’Ourossogui sont habituées à chaque édition de cet évènement annuel.
‘’C'est toujours ainsi, ici, à Ourossogui, renseigne Alassane Bâ habitant d’Ourossogui depuis sa naissance, il y a plus de 36 ans. Il est difficile de trouver une boutique ouverte. Il faut parfois faire des kilomètres. C’est parce dans cette ville-carrefour, l’économie est quasiment entre les mains de la forte communauté mouride sur place. Les quincailleries, les épiceries et les magasins sont gérés par les hommes d’affaires d’appartenance mouride. Il est alors normal qu'en de pareilles occasions, ils ferment tout. Malheureusement, c'est nous les populations locales qui en font les frais’’, se plaint-il.
Ces complaintes sont particulièrement partagées par les dames. En effet, elles ont l’habitude de déposer leur dépense mensuelle chez le boutiquier du coin. Et en cette période, c'est souvent un quiproquo qui s'installe. Fatou est l’épouse d'un émigré ; elle dépose depuis plus de six ans l'argent servant à la dépense quotidienne chez le boutiquier du quartier. ‘’C'est à la boutique que je dépose l’argent de ma dépense quotidienne pour tout le mois. Mais quand le Magal arrive, le boutiquier part parfois en oubliant de me remettre ma dépense pour la durée de son absence. Ça m'est arrivé une année, il était parti sans crier gare et il était injoignable durant le Magal. A un moment, j'avais même cru qu’il s’était volatilisé avec mon argent. Mais heureusement qu’il n’avait pas duré. Ces dernières années, je n'ai pas de gros soucis avec mon boutiquier, à part qu’il fait plus de jours qu’il ne le dit. Pour cette année, il m'a dit qu’il va rentrer le mercredi, alors s'il ne rentre pas ce jour-là, je n’aurai pas d'argent pour ma dépense. De toute façon, s'il ne respecte pas la date donnée, il va m’entendre’’, menace-t-elle.
Pour éviter cette situation malencontreuse, certains boutiquiers ont trouvé de jeunes talibés dignes de foi pour assurer l’intérim.
Les voitures en panne devront attendre jusqu’après le Magal
En temps normal, les ateliers de mécaniciens, nombreux dans les alentours de la gare routière, grouillaient de monde. Hier, ils baignaient dans un silence de cathédrale. Les chefs mécaniciens ont baissé pavillon, certains à 72 heures de l’événement, d'autres à 48 heures. Une situation qui se présente comme un véritable casse-tête pour les automobilistes. Si, par malheur, une voiture tombait en panne, son propriétaire devra patienter pour la réparation, à moins de se faire dépanner par de seconds couteaux. Dame Cissé, tôlier de profession, la trentaine, marié et père de trois enfants, est un fervent mouride qui n'a jamais raté le Magal et ne compte pas en rater un pour le restant de son existence.
Son atelier, installé à l'air libre, tout près de l'antenne de la RTS, est désertique. Personne, à part quelques véhicules immobilisés par une panne à priori sérieuse. Le maitre de céans est parti la nuit du vendredi, soit à moins de 48 heures avant le Magal. Il est parti plus tard que d'habitude, car il avait des réparations à terminer. ‘’Cette année, je suis parti à Touba plus tard que d'ordinaire. Certains avaient même pensé que je ne ferai plus le voyage. C’est parce que mes clients m'ont mis la pression. Je m’étais engagé à leur livrer leur voiture avant le Magal. J'avais eu un contretemps la semaine dernière, mais les clients refusent de le comprendre et moi j'ai, déjà encaissé leur argent. C'est pourquoi je ne suis parti que le vendredi, mais mon épouse et mes enfants étaient partis depuis le lundi’’, fait-il savoir au bout du fil depuis la ville sainte où il se trouve.
Un chauffeur de ‘’taxi-clando’’ rencontré dans une station d’essence, confirme le manque à gagner durant cette période hautement symbolique pour les mourides. ‘’Le Magal est une bonne pratique, mais pour nous les chauffeurs de ‘taxi-clando’, c'est un peu compliqué. Il y a certes des clients, mais avec ma voiture (NDLR : une guimbarde de type Renault) je ne peux pas faire certains voyages. Si ce n’était pas le Magal, j’aurais risqué certaines distances, parce que je sais que Khadim, mon mécanicien, allait me dépanner, en cas de panne. Mais actuellement, ils sont tous partis. Ceux qui sont restés ne sont plus compétents que moi. Alors, je gère en faisant juste le minimum, en attendant la fin du Magal’’, explique-t-il.
Djibril Bâ