Nouakchott et Dakar accordent leurs violons sur fond de réciprocité

La Mauritanie et le Sénégal viennent de signer, ce 2 juin 2025 à Nouakchott, deux accords importants relatifs aux conditions d’entrée, de séjour et d’établissement des personnes et de leurs biens entre les deux pays. Ce résultat est le fruit d'un travail de longue haleine abattu par la diplomatie sénégalaise, qui a abouti à ce résultat sur fond de réciprocité de traitement.
C’est fait, c’est acté. Le Sénégal et la Mauritanie, deux pays qui vivent en symbiose depuis la nuit des temps, ont réussi, grâce à leur bon voisinage, à signer, ce 2 juin à Nouakchott, deux accords relatifs aux conditions de séjour et d’établissement de leurs ressortissants. Cet acte final fait suite aux différents ballets diplomatiques entre Nouakchott et Dakar, menés par la cheffe de la diplomatie sénégalaise, Yassine Fall, suivis de la visite du Premier ministre Ousmane Sonko en Mauritanie en début d’année.
En tout état de cause, les deux parties ont signé deux accords, dont le premier porte sur la lutte contre l’immigration irrégulière, notamment le trafic de migrants, la traite des êtres humains, les pratiques connexes et la protection des victimes. Le second accord concerne les conditions d’entrée, de séjour et d’établissement de leurs ressortissants respectifs et de leurs biens sur les territoires du Sénégal et de la Mauritanie.
Une épine du pied enlevée…
S’agissant précisément du second accord, les ressortissants des deux pays, notamment les Sénégalais, poussent un ouf de soulagement, après trois mois de traque et de reconduction manu militari à la frontière de Rosso pour défaut de carte de séjour. Une situation qui a courroucé Dakar, qui n’a pas manqué de le signifier à Nouakchott.
Selon Dakar, qui attendait une proposition des autorités mauritaniennes sur l’entrée, le séjour et l’établissement de ses ressortissants en Mauritanie après la visite du Premier ministre sénégalais, il était peu orthodoxe de violer le processus enclenché en perspective d’un règlement définitif à cette question.
Toutefois, des échanges au plus haut niveau ont permis d’arrondir les angles et de parvenir à cet important accord, qui stipule un allègement substantiel d’une épine qui a constitué un goulot d’étranglement pour les candidats sénégalais à la carte de séjour. La procédure a été simplifiée selon le présent accord et consiste, après une durée supérieure à trois mois, à ‘’fournir une copie de la carte nationale d’identité biométrique ou du passeport biométrique en cours de validité ainsi que l’original de la carte consulaire’’.
En outre, le candidat doit payer des frais 300 nouvelles ouguiyas (équivalent à 5 000 F CFA), ‘’sans obligation de contrat de travail ni de justificatif de revenu lors de la première demande’’.
Toutefois, précise l’accord, ‘’le renouvellement du titre de séjour, au terme de la première année, est soumis à la présentation d’un justificatif de revenu’’, une manière de prouver son séjour dans le pays.
Pour les Mauritaniens, à l’instar des ressortissants sénégalais, ils doivent fournir les mêmes pièces d’identification et payer des frais de 5 000 F CFA pour obtenir le premier titre de séjour, renouvelable dans les mêmes conditions que celles appliquées aux Sénégalais en Mauritanie.
Des accords salutaires…
Ces conditions de réciprocité ont été saluées par des observateurs de la scène politique sénégalaise et mauritanienne ainsi que par des acteurs de la société civile. ‘’Les deux pays ont amorcé une très bonne démarche en ayant la traçabilité des personnes en mobilité, à l’entrée comme à la sortie. C’est une bonne chose pour la liberté de circulation. Nous invitons les deux États à veiller à la sécurité des personnes et à l’application stricte de ces accords’’, soutient Amadou Mbow, acteur de la société civile mauritanienne.
Pour sa part, Dr Cheikh Tidiane Thiongane, coordinateur du Rassemblement des Sénégalais (Rasem), a apprécié à sa juste valeur la signature de cette convention qui mettra fin aux tracasseries administratives relatives au titre de séjour. Cet accord, a-t-il dit, ‘’relève de la réciprocité, de l’égalité dans le traitement et du respect mutuel, conditions qui mettent un bémol dans les relations bilatérales’’. La présentation d’un justificatif de revenu au terme de la première année du titre de séjour constitue, selon lui, un aspect important à expliquer et à interpréter.
Quant à Balla Kane, cadre sénégalais en Mauritanie, il est d’avis que ‘’la signature d’une nouvelle convention bilatérale entre la Mauritanie et le Sénégal apparaît comme une étape majeure de réconciliation, de clarification et d’espoir renouvelé’’. Il soutient que ‘’cette convention est le fruit d’un long compagnonnage historique entre deux peuples liés par la géographie, la culture, l’économie et parfois même le sang. Des deux côtés du fleuve Sénégal, les populations partagent bien plus que des frontières : elles partagent des destins’’.
Dans un contexte de coopération sur des ressources communes vitales (gaz offshore, pêche, transit, commerce transfrontalier...), cet accord devient plus que jamais une nécessité, les deux pays ayant compris qu’il fallait aller au-delà des incidents récents pour poser un cadre juridique clair, équilibré et humain. À son avis, ‘’cette avancée diplomatique n’aurait sans doute pas été possible sans l’implication active des représentants de la société civile et notamment du Rasem (Rassemblement des Sénégalais de Mauritanie)’’. Cette organisation, qui regroupe une grande partie de la diaspora sénégalaise, ‘’a joué un rôle fondamental dans la sensibilisation des autorités et l’expression des doléances de la communauté. Depuis l’organisation d’un symposium tenu en décembre 2024, le Rasem a su porter une parole responsable, apaisée, mais ferme, plaidant pour un traitement humain, juste et digne des Sénégalais en Mauritanie’’, dit-il.
La convention signée à Nouakchott redonne espoir, en ce sens. Elle consacre le principe de réciprocité, l'exonération des frais d’entrée, la délivrance de titres de séjour simplifiés, tout en garantissant la protection juridique des personnes et de leurs biens. Elle rappelle surtout que les mesures d’éloignement, bien que légitimes dans certains cas, doivent se faire dans le respect de la dignité humaine.
Et de conclure : ‘’Cet accord est un exemple de coopération pragmatique et respectueuse, où les peuples restent au centre des préoccupations.’’
Les deux parties ont convenu que cette convention ‘’abroge et remplace les dispositions relatives aux conditions d’entrée, de séjour et d’établissement des personnes et de leurs biens, prévues dans l’accord conclu entre les deux parties le 8 octobre 1972’’.
IBOU BADIANE, CORRESPONDANT EN MAURITANIE