Les nouvelles annonces de Sonko

C’est dans une salle archicomble que le Premier ministre Ousmane Sonko s’est adressé à ses militants de la diaspora, ce week-end. Présentant le Plan de redressement économique et social (Pres), il est revenu sur quelques-uns de ses thèmes favoris, à savoir, notamment la nécessité d’un parti État, la justice, les finances publiques… Décryptage !
DIPLOMATIE-JUSTICE-INTÉRIEURE
Que reste-t-il à Diomaye !
Face à ses militants venus très nombreux, le Premier ministre Ousmane Sonko est revenu sur un changement majeur de la politique diplomatique du Sénégal. À l’entendre, le président de la République Bassirou Diomaye Faye lui a confié un pan entier de la diplomatie : à savoir tout ce qui relève de la coopération avec les pays arabes et asiatiques. Cela a eu lieu, selon lui, au mois de décembre, à la suite d’une tournée qui l’avait mené en Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis et au Qatar.
“Au retour de cette tournée, il m’a appelé et il m’a dit : tout ce qui est coopération avec les pays du Golfe et de l’Asie, je te les confie. C’est le président lui-même qui me l’a confié, alors que je n’étais même pas demandeur”, rapporte-t-il, non sans laisser paraître toute sa joie à la suite de cette décision présidentielle. “Je dois dire que même si je n’ai pas été demandeur, j’en étais très content. Parce que ma conviction est que l’économie mondiale se déplace sur cet axe en matière géostratégique”.
S’amputant ainsi de ce pan essentiel de la diplomatie, le président reste donc avec la coopération avec les pays africains et occidentaux. Pour le président de Pastef, la coopération avec cet axe est certes importante, mais pas autant que ce qui lui a été confié. “L’Occident est certes important, mais les observateurs avertis savent que le centre de gravité mondial en matière économique, en matière de puissance tout simplement, est en train de se déplacer. Si le président me l’a confié, c’est parce qu’il a entièrement confiance en moi”.
D’après Ousmane Sonko, Diomaye ne s’est pas limité à lui en parler. Il aurait écrit à tous les pays concernés pour leur dire : désormais vous n’avez qu’un point focal et il s’agit du Premier ministre. Et il l’a réaffirmé en Conseil des ministres. “Voilà pourquoi j’ai pris mes responsabilités, parce que moi j’aime les défis”.
Longtemps domaine réservé du président de la République, la politique diplomatique est sous Pastef exercée de manière partagée. Le Premier ministre ayant en charge la coopération avec de nombreux pays importants, dont les États arabes, la Chine, le Japon, la Corée, la Turquie, l’Inde…
Par le passé, le président Abdoulaye Wade a eu à prendre une décision presque similaire en confiant à son fils Karim la gestion de cet axe stratégique. C’est donc une sorte de Graal pour le Premier ministre.
À noter qu’avec le dernier remaniement, il a beaucoup été question de la nomination de proches du Premier ministre aux stations très stratégiques de la Justice et de l’Intérieur.
DIASPORA BONDS : le grand espoir de Sonko
Afin de mobiliser des ressources suffisantes et aux meilleurs taux pour financer l’économie, le régime compte beaucoup sur la diaspora sénégalaise qui, chaque année, transfert des ressources importantes jusque-là essentiellement dédiées à la consommation.
Selon le ministre des Finances Cheikh Diba, l’émission des “diasporas bonds” va se faire dès ce 18 septembre, dans le cadre du 3e appel public à l’épargne qui sera lancé par le gouvernement. “L’innovation sera de réserver un volet aux bons citoyens et patriotique. Une partie sera affectée aux diasporas bonds. On va appeler la diaspora sénégalaise à venir participer à l’effort de transformation nationale”.
Les attentes du Sénégal par rapport à cette contribution de la diaspora sont très importantes. Selon Ousmane Sonko, il y a de bonnes raisons d’espérer, compte tenu des capacités de cette diaspora qui, en 2023, avait transféré 2 366 milliards F CFA, dont 75 % en provenance de l’Europe.
“Nous savons que c’est une partie de vos revenus pour aider vos familles. À travers l’appel public à l’épargne, nous vous sollicitons pour venir investir dans votre pays avec ce que vous mettiez à côté”, ajoute-t-il, avant de préciser : “Nous ne vous demandons pas de faire un don, c’est un placement que nous allons vous restituer intégralement avec des intérêts.”
En Italie, Ousmane Sonko a aussi confié avoir reçu des investisseurs, dont un évoluant dans le domaine de l’agriculture. À l’en croire, cette entreprise compte investir 150 millions d’euros au Sénégal. “Il est prêt à réserver 15 % du capital aux nationaux et je pense que la diaspora doit saisir ces opportunités”.
PARTI-ÉTAT : la confusion dangereuse
Le président de Pastef persiste dans une confusion grave qui peut mener ce pays vers des dérives aux conséquences dévastatrices. Face à ses militants, il est revenu sur son souhait de restaurer le parti État. “Qu’on l’appelle parti-État ou autre…. Partout dans le monde, on a des partis-États, même aux États-Unis. Quand un président arrive, il change tout et installe ses hommes. C’est pourquoi on dit administration Bush, administration Trump…”, se justifie le Premier ministre. Pour lui, il n’y a aucun problème à ce niveau.
Il faut noter que le Premier ministre - fiscaliste de profession - a une conception très particulière de la notion de parti État. Une conception qui tranche d’avec la plupart des écrits des spécialistes en sciences politiques que nous avons parcourus. Lesquels estiment que le concept renvoie plus aux pays où règne le parti unique ou des partis hyperdominants. Le parti unique se confond ainsi avec l’État lui-même dans toutes ses composantes : administration, justice, armée, organisations sociales et économiques. Inversement, toutes les activités du parti deviennent des activités de l’État et revêtent un caractère officiel.
À titre d’illustration, il est souvent invoqué, pour caractériser des régimes comme les États africains postcoloniaux, l’ex-URSS, la Chine… Nous ne voyons chez aucun auteur la désignation d’États modernes démocratiques comme les États-Unis, la France ou autres comme étant des partis-États.
C’est donc très simpliste de s’appuyer uniquement sur l’appellation “Administration Trump…” pour penser qu’il y a une confusion entre le parti et l’appareil d’État dans un pays comme les États-Unis. C’est d’autant plus vrai que nous sommes dans le cas d’une séparation stricte des pouvoirs. Contrôler l’exécutif ne signifie pas forcément contrôler le Congrès, encore moins la justice. Et on ne peut parler de l’État sans l’un de ces trois leviers.
INDEMNISATION DES MILITANTS
Sonko théorise
Confondant l’État (Exécutif, Législatif, Judiciaire) avec le parti, le Premier ministre Ousmane Sonko est revenu sur l’option de son gouvernement d’indemniser les “victimes” des manifestations préélectorales, dont l’essentiel est composé de ses militants et sympathisants. Une décision inédite qu’il met dans le cadre de la solidarité pastéfienne. “Vous n’avez jamais vu un parti arriver au pouvoir, voter à l’Assemblée nationale une loi pour indemniser ceux qui ont été blessés ou mis en prison. Cela n’a jamais existé dans l’histoire du Sénégal”, lance-t-il pour consoler ses militants en colère, en leur disant que cela signifie que le parti n’a pas oublié les siens.
Selon lui, Pastef a toujours été un parti de solidarité et il le reste. “Nous nous sommes toujours soutenus mutuellement. Tout n’est pas parfait, peut-être qu’il y a des manquements, peut-être des omissions, mais qu’on en discute dans le calme. Il ne faut pas donner l’image de militants ou d’un parti qui est là juste pour le partage de privilèges et de postes. Si on le fait, nous risquons de perdre la confiance des Sénégalais en 2029”, a-t-il mis en garde.
MOR AMAR