''Représentez-nous dignement, Svp''
L'installation du nouveau parlement a vécu hier, les allures d'un grand rassemblement des citoyens sénégalais autour de la Place Sowéto. Là même où Abdoulaye Wade a commencé sa descente aux enfers. Pour tous, un impératif s'impose aux nouveaux députés : la prise en charge correcte des intérêts des citoyens.
Place Sowéto. Huis mois après les échauffourées du 23 juin 2011 nées du vote avorté de la loi sur le ticket présidentiel de Me Wade. Le plein à nouveau, hier. Des citoyens sénégalais revenus cette fois-ci pour assister à l'installation de l'Assemblée nationale de la 12e législature et formuler des recommandations à l'endroit des nouveaux parlementaires. ''Soyez des élus du peuple et pour le peuple, les prototypes du citoyen du changement. Pensez aux jeunes qui vous ont fait confiance (...), représentez-nous dignement et souvenez-vous enfin que la patrie importe plus que le parti'', peut-on lire sur une pancarte portée par un jeune trentenaire. Seydina Mame Alassane Sow, chargé des relations du Mouvement des patriotes du Sénégal, est encore dans la hantise des dérives de la législature sortante finalement balayée par les événements du 23 juin. Il garde ainsi un souvenir amer de cinq ans de scandale parlementaire marqué par le vote de lois sur mesure au profit du clan des Wade et alliés. ''Si les 14 millions de Sénégalais se sont faits représenter à l'Assemblée nationale, c'est parce qu'ils veulent que leurs aspirations et leurs besoins soient pris en charge'', rappelle-il aux nouveaux députés.
Embouchant la même trompette, Modou Fall, un autre jeune presque du même âge, va plus loin. Un chapelet de déchets plastiques au cou, un chapeau de gobelets jetables à la tête, il appelle les nouveaux élus à s'occuper de la problématique des ordures au Sénégal. Car, estime-t-il, sans la résolution de cette question, il est illusoire de rêver de développement. Dans la même foulée, le président de l'Association Sénégal Propre invite le nouveau parlement à faire en sorte que les techniciens de surface soient respectés et protégés dans l'exercice de leur métier pour qu'il n'y ait plus jamais de grève dans ce secteur névralgique de la vie publique.
Dans ce regroupement composé de toutes les couches de la société, un nouvel espoir est né quant à une meilleure prise en charge des intérêts des populations chez certains. Tandis que pour d'autres, sans doute des potentiels libéraux, l'espoir n'est pas pour le moment permis. Persuadés qu'ils sont que l'actuel chef de l'État a déjà dévié de sa trajectoire, ils estiment que Macky Sall risque de personnaliser la transition théorisée à un certain moment par l'opposition d'alors regroupée dans Benno Siggil Senegaal. ''Il ne fera pas deux mandats'', jure un quinquagénaire surpris en pleine discussion avec un ami sous l'ombre d'un arbre situé aux abords de l'Assemblée nationale. Ibrahima Ndiaye, commerçant, confie sur un ton ironique : «combien de ministres avait-il promis de nommer une fois élu pour minimiser les dépenses de l'État?'' ''Il a dépassé les 25 il y a longtemps. Il nomme un nouveau ministre conseiller chaque jour que Dieu fait pour satisfaire une clientèle politique'', martèle-t-il.
Ulcéré par un tel point de vue, son camarade d'à côté bondit et rétorque : ''Non, ce n'est pas vrai. Macky Sall fait de son mieux pour remettre le pays sur les rails après la gestion chaotique de ton leader. Et depuis son installation au pouvoir, il tient ses engagements''. Pour Abdoulaye Boye, il y a ''acharnement'' contre son leader.
Vols en pagaille
A 9h déjà, les principales artères menant à l'Assemblée nationale sortent progressivement de leur torpeur. Militants de la société civile, de Benno Bokk Yaakaar, citoyens lambda et nouveaux élus squattent ces ruelles. Convoyés par des 4x4 et autres véhicules particuliers pour certains, en cars de transports urbains ou motocyclettes, pour d'autres. Tous les moyens sont bons pour rallier la place Sowéto qui, à un moment de la journée, a refusé du monde. Difficile dès lors de se frayer un chemin pour accéder librement à l'hémicycle. Tellement la devanture du portail était engorgée.
Dépassées par cette foule immense, les forces de l'ordre ont dû créer un périmètre de sécurité pour faciliter l'accès à des parlementaires dont une bonne partie est constituée de novices. Qui se distinguent des habitués des lieux par la timidité et la méconnaissance de l'endroit.
Dans ce cafouillage, la presse a dû subir des dégâts collatéraux. Non seulement des journalistes venus couvrir l’événement sont coincés à la porte par les forces de l'ordre, mais certains d'entre eux ont été dépouillés de leurs téléphones ou dictaphones par des mains baladeuses qui ont d'ailleurs beaucoup profité de ce grand rassemblement pour faire main basse sur les biens d'autrui.
Le folklore s'invite au débat
À l'heure où les nouveaux tenants du pouvoir théorisent partout leur option pour une gouvernance de rupture, force est de constater que cela ne se reflète pas encore dans les comportements de certains responsables politiques issus de la mouvance présidentielle, notamment chez la député Mously Diakhaté. Venue en retard, elle s'est permise de distribuer quelques billets de banques aux griottes massées sur le parvis de l'Assemblée nationale et chantant les louanges des personnalités qui passent. Itou pour la ministre de la Famille, Mariama Sarr qui, dopée par les louanges de griottes survoltées, n'a pas hésité à déverser beaucoup de billets de banque. Comme au temps des Wade... |
ASSANE MBAYE