Publié le 10 Nov 2023 - 07:31
NOUVELLES DISPARITIONS ANNONCÉES DE MIGRANTS IRRÉGULIERS

La mer suscite encore des angoisses à Bargny

 

Plus de 200 personnes embarquées dans une pirogue à destination des îles espagnoles sur l’Atlantique sont annoncées disparues.

 

Fass Boye avait établi un pic de détresse dans le lot de morts liés à l’immigration irrégulière de cet été 2023. La localité a enregistré plus d’une soixantaine de disparus, après le sauvetage, le 15 août, d’une pirogue qui a quitté les lieux le 10 juillet avec à son bord 101 passagers irréguliers à destination les îles Canaries (chiffres officiels). Bargny pourrait battre ce triste record.

Une embarcation remplie de migrants a été secourue avant-hier avec une vingtaine de rescapés. Selon les témoignages des populations locales, la pirogue avait quitté les lieux avec près de 300 migrants. Ce qui laisse présager de la disparition de plus de 200 personnes dans les eaux.

Cette histoire intervient au moment où la marine nationale a annoncé avoir porté assistance, lundi dernier, à des migrants occupant une embarcation qui a chaviré près de la plage de Gadaye (Guédiawaye, dans la banlieue dakaroise).

Selon leurs chiffres, ‘’87 rescapés et deux corps sans vie ont été dénombrés à l'issue des opérations’’. Le patrouilleur a pu secourir six personnes dans une mer agitée, avant que la pirogue ne dérive vers la plage où les services de l'État, alertés, avaient déjà déployé du personnel, précisent les services de la marine nationale.

Ces chiffres sur les disparitions sont peut-être appelés à augmenter dans les jours à venir. Malgré le basculement vers la fin de l’année et la disparition du climat favorable de l’été, les départs de pirogues continuent sur les rives sénégalaises.

Depuis l’Espagne où il suit cette crise migratoire, le journaliste Txema Santana fait part de ses inquiétudes.

Plusieurs jours sans arrivées en Espagne, malgré les départs constatés au Sénégal

‘’Nous avons passé plusieurs jours sans secours, sans arrivées. Non sans départs ni sans disparitions. Dans tous les cas, nous entrons dans la zone la plus dangereuse (la plus froide, la mer la plus mauvaise, le plus de vent) des 18 semaines clés de la route des Canaries’’, précise-t-il dans un tweet. L'Organisation internationale pour les migrations (OIM) a déjà dénombré au moins 512 morts sur ces routes de l’immigration irrégulière, même si les journalistes spécialisés sur ces questions considèrent ce chiffre sous-évalué.

Le mois d’octobre 2023 a établi d’impressionnants chiffres dans l’émigration irrégulière au Sénégal et en Espagne. Dans les deux dernières semaines du mois, la marine nationale informe que les opérations ont permis l'interception de 26 pirogues et le secours de 3 838 migrants irréguliers, dont 224 femmes et 201 mineurs. ‘’Au total, 4 471 migrants originaires principalement du Sénégal, de la Gambie, de la Guinée et du Mali ont été débarqués à la base navale Amiral Faye Gassama durant le mois d'octobre 2023’’.  

Selon le ministère espagnol de l’Intérieur et les services d'urgence locaux, au moins 32 029 personnes ont débarqué aux Canaries entre le 1er janvier et le 5 novembre 2023. C’est plus que le record d’arrivées enregistré au plus fort de la crise migratoire de 2006 qui avait inspiré la fameuse formule sénégalaise ‘’Barca wala Barsax’’ (Barcelone ou la mort). Durant cet été-là, 31 678 migrants avaient débarqué aux Canaries.

Les records d’arrivées du ‘’Barxa wala Barsax’’ battus

Le ministre espagnol de l’Intérieur, Fernando Grande-Malaska, s’est rendu à Dakar, la semaine dernière (30 octobre) et a rencontré son homologue sénégalais Sidiki Kaba. Si les détails de cette visite n’ont pas circulé, les modalités de rapatriement des migrants sénégalais n’ont pas été évoquées devant la presse.  

Pourtant, les premiers vols ont déjà atterri à Dakar, alors que les centres d’accueil de migrants sur les îles Canaries sont débordés.

À cela s’ajoutent des mesures de surveillance inédites. L’Espagne a déployé au Sénégal près de 40 policiers et gardes civils, quatre bateaux, un hélicoptère et un avion pour surveiller la côte et réprimer les réseaux de passeurs, en collaboration avec les autorités locales. Madrid affirme que cet effort conjoint a permis d'empêcher 7 132 personnes de quitter le Sénégal cette année.

Malgré les politiques mises en place pour endiguer ce phénomène, les succès sont rares. Hier, l'Agence nationale pour la promotion de l'emploi des jeunes (ANPEJ) et l’OIM ont signé un accord-cadre de coopération afin de stopper la vague migratoire incontrôlable ces derniers mois.

Selon Valérie Falaschi, Chef de mission à l’OIM, ‘’cet accord permettra spécifiquement de procéder à l'établissement d'un mécanisme de référencement pour les migrants ayant besoin d'emploi ou de formation dans le cadre de leur projet de réintégration, de coopérer dans la mise en œuvre, s'il y a lieu, d'activités financées dans des domaines de compétences de ces parties, tels que la réduction de la pauvreté, la promotion de la croissance économique et le soutien au développement humain, l'assistance au retour volontaire et la réintégration’’.

L’ANPEJ et l’OIM signent des accords de coopération

En juillet 2023, le gouvernement du Sénégal a annoncé la validation d’une stratégie nationale de lutte contre la migration irrégulière (SNLMI)  qui vise ‘’à réduire drastiquement la migration irrégulière à l’horizon 2033". Depuis cette annonce, les départs de pirogues se sont multipliés. De plus, aucun chiffre officiel du gouvernement sur le suivi quotidien des départs et l’organisation des retours n’est disponible.

Mais le directeur de l’ANPEJ rejette les critiques à l’égard du gouvernement. “Il est difficile de comprendre le procès qui est fait à l'État concernant ces gens qui dépensent cinq millions ou plus pour prendre de tels risques”, estime Tamsir Faye. En réalité, les migrants paient entre 250 000 et 500 000 FCFA pour obtenir une place dans les pirogues.

La crise migratoire de cette année est marquée par le nombre élevé de femmes et de mineurs accompagnés ou seuls. Selon les chiffres du gouvernement espagnol, plus de 3 000 mineurs sont répertoriés dans les centres d'accueil. Mettant en cause la responsabilité parentale, le directeur de l’ANPEJ se demande “où sont les parents de ces mineurs, de ces enfants qui n’ont aucune qualification encore moins d’aptitude pour travailler en Europe, compte tenu de leur âge ?”.

Lamine Diouf 

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