C’est quoi le problème ?
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Un nouvel épisode de la saga des révélations du Consortium international des journalistes d'investigation secoue le monde, depuis dimanche. Véritable scandale, lorsque les plus puissants cachent des milliards de dollars dans des paradis fiscaux et prétendent, en même temps, lutter contre la pauvreté et la corruption. Seulement, aux yeux des lois, ces actions ne sont pas forcément illégales. Le Sénégal reste, pour le moment, épargné par les révélations dans ces Pandora papers.
Scandaleux. Le qualificatif n’est certainement pas de trop, rapporté aux révélations faites par la publication de la dernière enquête du Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ) sur l’évasion fiscale. Après les Panama Papers en 2016, les Paradise Papers en 2017, les Mauritius Leaks en 2019 et les Luanda Leaks en 2020, les Pandora Papers mettent la lumière sur de près de 11,9 millions de documents confidentiels faisant état d'évasion fiscale à large échelle de plusieurs milliers de personnalités politiques, publiques et de monarques.
Rien de nouveau dans le procédé des dirigeants fortunés de ce monde, mais, l’enquête permet au moins de faire tomber des masques. Et cette cinquième parution risque, à l’image des précédentes, de ne pas faire tomber beaucoup de mis en cause. Pourquoi ? EnQuête vous explique.
Pour échapper au fisc, les personnalités se tournent vers des cabinets offshores, formés par des avocats spécialisés dans la fiscalité. Ces boîtes vont ouvrir des sociétés écrans qui ne sont en général que des boîtes aux lettres dans un paradis fiscal. Le nom de la personnalité à l’origine du montage financier n'apparaît nulle part. Donc, c’est la société écran qui ouvre un compte en banque officiel et va acheter des biens.
Ces montages ne sont pas éthiques, mais, sont réalisés par les meilleurs avocats spécialisés. Et ils savent flirter avec les lois des pays concernés, tout en restant dans les frontières extrêmes de la légalité. D’ailleurs, la plupart des mis en cause adoptent cette ligne de défense. Ces comptes ont été ouverts dans des paradis fiscaux comme le Panama, les Îles vierges britanniques, Hong Kong, Singapour, la Suisse, Chypre, le Nevada. Ces Etats mettent en place des structures garantissant l’anonymat et qui permettent à de riches particuliers de se délester, sur le papier, de leur patrimoine (argent, parts d’entreprises, bien matériels etc.) en le transférant à un tiers de confiance.
Les comptes dans les paradis fiscaux ne sont pas forcément illégaux
Ainsi, malgré le manque d’éthique et de transparence de ces opérations, elles ne sont pas forcément illégales. Mais, c’est l’ampleur des pratiques révélées cette fois-ci qui fait froid au dos. En 2016, avec le scandale des Panama papers, seul le nom du cabinet d’avocat Mossack Fonseca était au centre de l’ensemble des montages financiers. Cette fois, 14 cabinets offshores ont été révélés avec les Pandora papers. Ces derniers ont monté près de 4 000 sociétés écrans, ouverts près de 30 000 comptes en banque qui appartiendraient à 35 chefs d’Etat, 300 responsables publics et 130 milliardaires.
Le consortium international des journalistes d’investigation évoque des sommes entre 4 800 et 28 000 milliards d’euros qui ont échappé, entre les mains des riches, à la taxation des Etats. Selon ces documents, le roi Abdallah II de Jordanie a créé au moins une trentaine de sociétés offshore, c’est-à-dire dans des pays ou territoires à fiscalité avantageuse. Par le biais de ces entités, il a acheté 14 propriétés de luxe aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, pour plus de 106 millions de dollars. Quant au Premier ministre tchèque, Andrej Babis, il a placé 22 millions de dollars dans des sociétés-écrans qui ont servi à financer l’achat du château Bigaud, une grande propriété située à Mougins, dans le sud de la France. Le président équatorien, Guillermo Lasso, a lui logé des fonds dans deux trusts dont le siège se trouve aux Etats-Unis, dans le Dakota du Sud.
Ali Bongo, Denis Sassou-Nguesso, le premier ministre ivoirien et le président Kényan citées, mais encore de sénégalais
L’Afrique n’est pas en reste, car 43 responsables politiques ont été démasqués par le ICIJ. Les premiers grands noms sont ceux de Denis Sassou-Nguesso, le président congolais déjà abondamment cité dans les enquêtes précédentes du consortium international, mais aussi, le chef de l'État gabonais, Ali Bongo, ainsi que Zacharia Deby, le frère de l'actuel président tchadien, ou encore Patrick Achi, le Premier ministre ivoirien. L’évasion fiscale la plus documentée concerne celle du président kényan Uhuru Kenyatta.
Les détails de la fortune du fils du premier président kényan révèlent un patrimoine familial de 11 entreprises – dont l’une était évaluée comme détenant des actifs de 30 millions de dollars américains. Figurent également dans ces biens cachés des propriétés au Royaume-Uni, dont un appartement, près de Westminster, à Londres, d’une valeur estimée à 1 million de livres sterling, qui était jusqu’à cet été loué à un membre du Parlement britannique.
Pour l’instant, aucun sénégalais n’a vu son nom associé à ces Pandora papers. Mais les documents sont nombreux et de nouvelles révélations pourraient être faites, dans les jours à venir. Dans le cadre d’un atelier de capitalisation du projet Offensive locale pour la lutte contre la Corruption et le blanchiment de capitaux (Projet OFFLOCC) tenu, hier, l’ong Enda Ecopop développe un plaidoyer pour impliquer les citoyens dans la lutte contre la corruption. Plusieurs activités ont été mises en œuvre dont des campagnes de sensibilisation, de diagnostic des activités vulnérables à la corruption, des formations de coaching et d’accompagnement d’élus et d’acteurs territoriaux dans sept communes du Sénégal.
Les faux discours mis à nu
Le bon côté des révélations des Pandora Papers est qu’ils permettent de mettre en exergue la cupidité dont font preuve les dirigeants du monde et de relever les faux discours. Selon l'ICIJ, « ces documents révèlent que de nombreux acteurs puissants qui pourraient aider à mettre fin au système offshore en ont au contraire profité, en cachant des actifs dans des sociétés secrètes et des fiducies, alors que leurs gouvernements ne font pas grand-chose pour ralentir un flux mondial d'argent illicite qui enrichit les criminels et appauvrit les nations ».
Un autre enjeu de l'enquête était de montrer comment l'opacité des systèmes offshore a aussi facilité « les manœuvres financières de personnes confrontées à des enquêtes criminelles ou à des poursuites civiles coûteuses », par exemple, pour une entreprise chimique belge, accusée de crime contre l'environnement ou pour un complice de la famille Colombo au sein de la mafia, ou la dissimulation de vol et contrebande d'œuvre d'art, reliques ou d'antiquités, parfois ensuite achetées par des musées de premier plan.
Lamine Diouf