Publié le 16 Oct 2023 - 06:59
PARTICIPATION D’OUSMANE SONKO À LA PRÉSIDENTIELLE 2024

Une bataille encore très indécise

 

L’Etat du Sénégal a raté le coche, ce jeudi, dans sa volonté de radier le leader de l’opposition des listes électorales et l’empêcher ainsi de participer à la prochaine présidentielle. Après l’échec du tribunal de Ziguinchor, d’autres batailles judiciaires sont à venir ; la Cour Suprême étant au cœur du débat judiciaire.  

 

L’espoir est permis pour les partisans et sympathisants du leader de l’opposition politique. Dans la nuit du jeudi au vendredi, le président du tribunal d’instance de Ziguinchor, le juge Sabassy Faye, après 13 heures de plaidoiries des avocats d’Ousmane Sonko et ceux de l’Etat du Sénégal, a déclaré nulle la radiation de l’opposant des listes électorales et ordonné son rétablissement. Dans les rues de Ziguinchor, dans d’autres localités, des scènes de danse et de joie ont été partagées par des militants qui ont repris espoir que leur leader soit candidat à l’élection présidentielle du 25 février 2024.

Pourtant, la journée fut éprouvante dans la petite salle du tribunal dont l’enjeu de l’affaire en cours a révélé l’exiguïté. Un des protagonistes, membre du Pool d’Avocats d’Ousmane Sonko, donne sa vérité. ‘’Les agents de l’État ont d’abord perturbé l’audience après les premières plaidoiries des Avocats de Monsieur Ousmane Sonko, pour suggérer au juge de se déporter, au seul motif qu’ils venaient de recevoir l’information selon laquelle il aurait un frère qui serait conseiller municipal à la mairie de Ziguinchor, une institution dirigée par Monsieur Ousmane Sonko’’, relate Maître Ciré Clédor Ly.

‘’Intimidations et sabotage des représentants de l’Etat’’

Voyant que la stratégie de marchait pas, et à quelques moments de la décision du président du tribunal, ‘’l’agent judiciaire de l’État a de nouveau interrompu intempestivement les plaidoiries, pour remettre au juge un papier griffonné de sa main et informer le magistrat, que l’État du Sénégal venait de déposer auprès du Président de la Cour d’Appel de Ziguinchor, une demande de récusation le concernant’’, ajoute l’avocat.

En effet, Yoro Moussa Diallo a écrit au premier président de la Cour d’appel de Ziguinchor, en cours de procès pour solliciter ‘’en vertu des dispositions des articles 220 et suivants (Code de procédure pénale) la récusation de Sabassy Faye, Président du tribunal d’instance de Ziguinchor qui a reconnu les liens de parenté avec le sieur El hadj Saër Faye. Ce dernier militant de Pastef est par ailleurs 16e adjoint au maire demandeur dans cette affaire.’’

Maître Ciré Clédor Ly conclut le récit de ce qu’il considère comme un ‘’manque de respect et de considération de l’institution judiciaire’’, en révélant que ‘’c’est à la lumière d’une lampe torche, puisque l'électricité a été coupée, que le juge a été contraint de travailler pour rédiger sa décision qui a mis K.O tous les artisans de la déconstruction de l’État de droit et du système démocratique ; fruits de longues luttes et de conquêtes du peuple sénégalais’’.

L’agent judiciaire de l’Etat s’en prend au Juge Sabassy Faye…

Mais pour l’agent judicaire de l’Etat, ce qui s’est réellement passé à Ziguinchor, c’est que ‘’le juge n'a cessé tout au long de ladite audience, (qui a duré 13 heures) de multiplier les violations de la loi, allant jusqu'à ignorer sa récusation formulée vivement par les représentants de l'Etat. Or, tout en droit l'obligeait à surseoir à statuer jusqu'à l'intervention d'une décision sur cette grave allégation. En effet, le juge est le propre frère de l'un des adjoints au Maire de Ziguinchor et membre de l'ex parti PASTEF.’’

Se fondant sur cela, Yoro Moussa Diallo, a annoncé dans le même communiqué que l’Etat a décidé d'intenter un recours contre la décision du juge d’annuler la radiation d’Ousmane Sonko des listes électorales et l’ordonnance de sa réinscription, ‘’afin que la Loi soit rigoureusement appliquée’’.

Une liberté de ton qui a ‘’stupéfaite’’ l'Union des Magistrats du Sénégal (UMS) qui a sorti un communiqué pour ‘’s'en indigner’’.  En effet, l’UMS ‘’condamne vigoureusement les attaques contenues’’ dans le communiqué de l’agent judiciaire de l’Etat ‘’et visant un juge qui, selon elle, a rendu une décision dans le sens qu'il croit conforme à la loi’’.

… L’UMS le recadre

Reconnaissant le droit du représentant de l’Etat d'exercer les voies de recours prévues par la loi, les magistrats ont invité les parties de tous bords à faire preuve de courtoisie et de délicatesse dans le traitement des affaires judiciaires.

Un qui n’a pas pris autant de formes est l’ancien premier ministre, Abdoul Mbaye. Lui aussi a fustigé l’attitude de l’agent judiciaire de l’Etat, mais en allant plus loin. En effet, assure le leader de l’ACT : ‘’Quand un haut fonctionnaire de l’Etat accuse par communiqué public un magistrat de ne pas avoir respecté la loi, il donne l’exemple du peu de respect accordé à la justice par nos gouvernants. Il devrait être immédiatement démis de ses fonctions pour l’honneur de notre justice’’.

Il faut rappeler que lui aussi a été sauvé de l’inéligibilité par le président du tribunal d’instance de Ziguinchor. Ce qu’a rappelé Alioune Tine, membre de la société civile. ‘’Sabassy Faye a jugé Abdoul Mbaye, et lui a évité d’être inéligible. Il a ensuite été affecté à Kounguel. Avec Sonko, il confirme simplement son indépendance. C’est ça la norme. Dans notre contexte de gouvernance d’allégeance, ça devient héroïque. Car, la transgression est notre norme’’, dénonce le fondateur d’AfrikaJom Center.

Abdoul Mbaye demande la démission de l’agent judicaire de l’Etat

Condamné par contumace à deux ans de prison, puis arrêté pour d’autres accusations, Ousmane Sonko, principal opposant du régime de Macky Sall, a été radié des listes électorales, en même temps que son parti dissout par le ministère de l’Intérieur. Ce qui compromet ses chances d’être candidat à l’élection présidentielle de février prochain.

Mais la décision du président du tribunal d’instance de Ziguinchor vient le remettre en selle. Et l’effet immédiat est que son mandataire dispose désormais d’une ordonnance d’un juge pour retirer les fiches de parrainages qui lui avaient été refusées par la direction générale des élections (DGE), sous prétexte que son candidat a été radié des listes électorales.

Une décision qui devrait relancer la collecte de parrainages pour les militants du maire de Ziguinchor. Car, comme le confirme Ndiaga Sylla, ‘’l'ordonnance du juge, notifiée à l'intéressé et au préfet dans les 2 jours suivant la décision, doit être exécutée’’. Et, ‘’en vertu de l'article 37 de la loi organique sur la Cour suprême, les recours en matière électorale ne sont pas suspensifs’’, ajoute l’expert électoral.

Ce qui veut dire que la démarche de l’agent judiciaire de l’Etat ne devrait pas empêcher l’opposant de dérouler ses activités de candidat à la présidentielle jusqu’à la décision de la Cour Suprême. Et celle-ci sera définitive, en ce qui concerne cette procédure.

Ndiaga Sylla, expert électoral : ‘’L’ordonnance du juge doit être exécutée’’

A la Cour Suprême, des juristes interrogés par RFM, ont expliqué que le juge va statuer sur le respect par le président du tribunal d’instance de Ziguinchor des droits des différentes parties et non sur les faits. Si Sabassy Faye n’a violé aucune loi dans sa prise de décision, alors Ousmane Sonko sera tiré d’affaire. Dans le cas contraire, ajoutent-t-ils, "le juge suprême casse la décision et demande à une juridiction du même ressort que le TGI de Ziguinchor de rejuger l’affaire".

Une position que ne partage pas Ndiaga Sylla qui estime que ‘’pour la récusation du juge, le coup est déjà parti’’ et qu’il n’y aura pas de nouvelle audience. S’appuyant sur l’article 652 du code de procédure pénale, il ajoute : ‘’il revenait non pas au juge de surseoir à statuer, mais c’est le président de la Cour d’appel saisi d’en prendre la décision’’.

La bataille loin d’être gagnée par Ousmane Sonko

Quoiqu’il en soit, la partie est loin d’être gagnée pour Ousmane Sonko. La semaine dernière, la requête en Référé Liberté introduite par ses avocats à la Cour Suprême pour contester le refus de la DGE de donner des fiches de parrainage à son mandataire a été rejetée. Et dans le cas où il obtiendrait gain de cause sur cette affaire, une autre procédure pourrait être activée par le régime, à savoir le recours que ses avocats ont introduit à la Cour suprême dans l’affaire de diffamation qui l’oppose au ministre du Tourisme, Mame baye Niang. Si la condamnation de six mois avec sursis est confirmée, il ne pourra pas être candidat pour le présidentielle 2024.  

Empêtré dans une bataille judiciaire pour garder son éligibilité, le leader de Pastef doit encore se battre pour le rétablissement de son parti, dissous par les autorités. Même s’il peut toujours déposer une candidature, si nécessaire, sous la bannière de la coalition Yewwi Askan Wi.  

Lamine Diouf

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