Publié le 10 Mar 2021 - 12:35
PILLAGE DES ENSEIGNES FRANÇAISES

Des actes de vandalisme qui pèsent sur l’économique nationale

 

Les enseignes françaises Auchan, Total, Orange, Shell, etc., sont pillées depuis avant-hier, dans le cadre des manifestations contre l’arrestation du leader du Pastef, Ousmane Sonko, pour trouble à l’ordre public et participation à une manifestation non-autorisée, alors qu’il se rendait chez le juge du 8e cabinet, pour répondre d’une accusation de “viols’’ et de “menaces de mort’’ par la masseuse Adji Sarr. Des actes de vandalisme qui, selon des économistes, ne sont pas sans conséquences sur l’économie nationale et aussi sur le climat des affaires au Sénégal.

 

Depuis l’arrestation du leader du Pastef Ousmane Sonko, avant-hier, les manifestants ne cessent de déverser leur colère sur les enseignes françaises. Auchan, Total, Orange et Shell, sont les groupes qui sont les plus ciblés par les jeunes manifestants qui n’ont pas hésité à les piller et même à vider les caisses. “Depuis hier, on assiste à la destruction de biens et d’enseignes d’origine française ou supposés tels. Du point de vue économique, en plus de l’impact direct sur l’emploi et des revenus des Sénégalais qui travaillent dans ces enseignes, il faut regarder l’impact, à moyen terme, en termes d’image, pour ce qui concerne l’investissement direct étranger. Maintenant, le Sénégal peut choisir. Est-ce qu’on veut une économie où il y a aucun investisseur où on accepte de se connecter aux échanges mondiaux, tout en conservant les intérêts nationaux ? Il peut y avoir un équilibre à cet égard. Ce qui a été fait ces derniers jours peut peser lourdement sur la décision future des investisseurs et peut conduire à freiner leurs ardeurs, s’ils veulent investir au Sénégal’’, explique l’économiste Moubarack Lo, dans un entretien téléphonique avec “EnQuête’’.

L’ingénieur statisticien explique qu’il y a une compétition mondiale pour accueillir les investissements et les délocalisations, et le Sénégal est un pays parmi d’autres. Or, souligne notre interlocuteur, ce qui détermine l’investissement, c’est d’abord le climat des affaires, au-delà des incitations qui sont accordées. “Un inves- tisseur a besoin d’être d’abord le bienvenu. Il faut qu’il sente qu’il est le bienvenu dans le pays et qu’il y ait des procédures administratives qui ne soient pas complexes. Mais, éga- lement, tout ce qui fonde la compétitivité d’une économie, en termes de capital humain, d’infrastructures, etc. De manière générale, le message envoyé par les pillages est un très mauvais message. Cela va handicaper lourdement les efforts du Sénégal pour attirer l’investissement. Parce qu’on est dans une dynamique d’émergence et l’émergence suppose les investissements. Ceux nationaux, c’est l’idéal, mais, dans certains domaines, il est important de s’ouvrir aux technologies étrangères, au savoirfaire et de bâtir des partenariats. Il ne faut pas que le Sénégal soit vu comme un pays qui n’aime pas l’investissement étranger’’, dit-il.

Comme M. Lo, l’économiste Thierno Thioune dénonce aussi les pillages. “Aujourd’hui, si ces manifestations, vraiment regrettables, conduisent au pillage et au saccage de ces enseignes, sous le sceau d’attaquer la France, les intérêts français, c’est ignorer qu’aussi tout le personnel sénégalais qui travaille là- bas et qui a un salaire. En plus de cela, l’Etat du Sénégal perd beau- coup. Puisque c’est des pertes de capitaux sur les chiffres d’affaires que ces pillages et saccages vont engendrer. C’est vrai que ce sont des intérêts français, aux yeux des manifestants, des cibles qu’il faut attaquer. Mais c’est sans savoir qu’il y a beaucoup d’emplois dont plus de 80 % sont des Sénégalais qui y travaillent, qui nourrissent leur famille, y gagnent leurs revenus. C’est aussi l’Etat qui y gagne avec le paiement des impôts’’, renchérit-il.

T. Thioune : “Les conséquences de ces pillages sont regrettables, rien ne les justifie’’

D’ailleurs, M. Thioune estime qu’Auchan a donné une certaine modernité à la distribution au Sénégal. Parce que maintenant, il y a une classe sénégalaise qui a un peu déserté les marchés classiques, pour aller dans cette nouvelle forme de commerce beaucoup plus moderne où, tous les produits, sur les chaines de distribution nouvelles, se trouvent chez Auchan. “Dans les rayons, il y a une certaine transformation des produits sénégalais qui y sont présentés. Les conséquences de ces pillages sont encore regrettables, rien ne les justifie.

Alors que cela pouvait être un des fleurons de la distribution, en termes de création d’emplois, mais aussi de gain, de ressources fiscales pour l’Etat. C’est vrai que c’est regrettable. Mais cela ne devrait pas être la raison pour laquelle ces entre- prises quitteraient le pays. Il y a des contrats d’exploitation qui lient ces entreprises et des contrats qui lient les travailleurs à ces groupes-là’’, soutient le professeur d’économie à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad).

Pour lui, ce sont des épisodes “malheureux’’ qu’il faut dépasser, en appelant tout le monde à la raison. Car, M. Thioune relève qu’il y a beaucoup de points positifs qu’Auchan apporte au consommateur sénéga- lais, mais aussi au travailleur, en création d’emplois. Même s’il rappelle que le groupe Auchan a pénétré le marché de la distribution de l’Afrique et principalement de l’Afrique de l’Ouest, alors qu’il était en difficulté, après des chiffres en baisse en Europe. “Depuis lors, Auchan fait pas mal de 30 magasins entre le Sénégal et la Mauritanie. Le marché africain et sénégalais lui permettait de pouvoir rehausser son chiffre d’affaires. C’est pourquoi, depuis 2015, il y a eu le développement d’Auchan au Sénégal, avec plus de 28 magasins. Le chiffre d’affaires a bondi. Malgré les contestations, avec le collectif ’Auchan dégage’, cela n’a pas empêché l’installation du groupe français dans le paysage commercial local. Même si Auchan est constitué de capital étranger français, il s’est déployé, en créant des emplois et en payant aussi des impôts’’, ajoute M. Thioune.

Toutefois, le maître de conférences titulaire à la faculté des Sciences économiques et de gestion (Faseg) de l’Ucad pense qu’il urge de réformer la nature des partenariats entre ces groupes et l’Etat. Ceci, en intégrant davantage dans les rayons des produits locaux transformés pour le bien de tous les Sénégalais. “On aurait pu comprendre que les entreprises arrivent et qu’on intègre les commerçants sénégalais qui sont organisés au sein de l’Union nationale des commerçants et industriels du Sénégal (Unacois) et leur demander de prendre part dans le capital. On aurait pu faire cela, sous forme de contractualisation plus innovante. Nous devons nous donner cette perspective, en intégrant les commerçants sénégalais à prendre part dans des actions du capital, pour faire un ensemble beaucoup plus cohérent au bénéfice de l’Etat, des Sénégalais et de ces enseignes françaises’’, préconise-t-il.

Maintenant, M. Thioune admet que cela n’empêche qu’il y a une politique de développement de la filière locale que le gouvernement aurait pu intégrer dans le processus de cette chaine de distribution. “Cela suppose qu’il faut transformer les produits locaux : le lait au Fouta, la mangue en Casamance, le coton, les chaussures de Ngaye, les produits issus de la spéculation tels que la tomate, la cerise dans les Niayes, tous les produits qu’on cultive. Il y a aussi les produits halieutiques. On aurait pu transformer le thon, en mettant en conserve dans des boites et le vendre dans les rayons. C’est dans ce sens que le gouvernement doit orienter sa politique industrielle’’, fait-il savoir.

Moubarack Lo : “Aucun pays n’a réussi à émerger sans des partenariats étrangers’’

A ce propos, son confrère Moubarack Lo indique que cette ouverture à l’investissement étranger n’empêche pas le pays d’avoir une stratégie de développement qui lui permette progressivement de contrôler l’essentiel de l’économie. “Et cela, c’est une démarche de moyen et long terme qu’il faut gagner, non par des manifestations, mais en travaillant de manière concrète à développer l’entreprenariat national, en favorisant le financement des entrepreneurs, à leur facilitant l’accès au marché à la fois national et étranger. C’est cela la bonne voie. Dans l’histoire moderne, aucun pays n’a réussi à émerger sans des partenariats étrangers. Ce qui a fait l’émergence de la Chine, c’est le travail des Chinois, mais c’est également l’ou- verture économique, à travers les zones économiques spéciales (Zes), les zones spéciales qui ont permis d’accueillir la technologie développée dans les pays les plus avancés du monde, d’accélérer les exploitations chinoises’’, note l’ancien conseiller spécial et économiste en chef du Premier ministre Mahammed Boun Abdallah Dionne.

Selon M. Lo, cette démarche a conduit à l’émergence de la Chine, en plus des stratégies qui ont été mises en place pour promouvoir l’agriculture et le développement endogène au niveau industriel. “Dans la vie, il faut un équilibre entre le développement orienté l’intérieur et le partenariat avec le monde extérieur. Aucune économie du monde ne peut vivre, aujourd’hui, en autarcie, et aucun pays ne peut se déve- lopper, en se recoquillant sur luimême. Il faut avoir une vision plus claire et des stratégies pour arriver au but. Le but, bien évidemment, c’est de manière progressive, en faisant en sorte que l’économie soit aux mains des nationaux. Parce que ce sont eux qui doivent être au cœur du développement local. Mais cela ne peut pas se développer d’un jour à l’autre. C’est un processus qui doit se décréter calmement et, de manière concrète, en se fixant des objectifs et en développant des actions permet- tant de les atteindre’’, insiste-t-il.

Aujourd’hui, Moubarack Lo relève qu’il y a un quasiconsensus de tous les économistes pour affirmer que les économies les plus ouvertes ont des taux de croissance et des niveaux de développement plus élevés que les économies fermées. “Et la sécurité, c’est un prérequis en matière d’investissement. S’il n’y a pas de sécurité, l’investissement ne peut pas se développer. C’est même valable au niveau intérieur. Et s’il n’y a pas d’in- vestissement, il n’y a pas d’emplois et, finalement, tout le monde perd. Donc, il vaut mieux avoir une situation où tout le monde gagne, des par- tenariats équilibrés’’, souligne-t-il.

La nouvelle loi sur les PPP : une solution pour corriger les dysfonctionnements

Pour arriver à partenariat gagnant- gagnant entre l’Etat et ses différents partenariats, l’économiste Thierno Thioune juge “salutaire’’ le fait de corriger les dysfonctionnements qui ont existé, depuis très longtemps, dans cette loi de partenariat public privé. “C’est une bonne révision qui a été faite pour permettre quand même, aujourd’hui, une avancée assez notoire dans ce segment qui est très important. Ces importantes réformes sont mises en œuvre pour pouvoir atteindre des objectifs importants. Dans les types de contrats de partenariat public-privé (PPP), il y a plusieurs formes. Beaucoup d’actes sont mis dans les contrats de construction, exploitation, transferts d’infrastructures, etc.’’, dit-il.

Maintenant, le maitre de conférences note qu’il est nécessaire de mettre l’accent sur les transferts de technologies et autres. Vu qu’il y a des investissements importants qui sont attendus dans le Plan d'actions prioritaires ajusté et accéléré (PAP2A) pour une satisfaction des besoins des Sénégalais qui nécessitent une plus grande cohérence et efficacité dans l’optimisation et l’utilisation des ressources publiques.

“C’est pourquoi l’Etat, dans ce plan de 14 700 milliards de francs CFA, a donné 30 % au secteur privé, qui va y contribuer à près de 4 400 milliards. Donc, cette nouvelle loi va renforcer le recours aux sources de financement privé. C’est un grand correctif qui a été apporté et c’est très important. Aujourd’hui, les investissements ne vont plus dépendre du domaine public, comme ce qui se faisait avant. L’exercice se fondera maintenant sur les apports du secteur privé, parce qu’on l’a toujours décrié, en disant que les privés n’étaient pas bien pris en compte dans les projets de l’Etat’’, signale M. Thioune.

Cette fois-ci, avec cette nouvelle législation, d’après lui, c’est important que, sur les domaines d’inter- vention et durant tous les projets qui sont mis en place, l’Etat arrive à faire une harmonisation des procédures. “Ce qui va simplifier davantage les contrats et permettre au secteur privé de se mettre à niveau. C’est vraiment important avec de nouveaux organes qui sont mis en place. L’organe qui va uniquement s’occuper des marchés publics au sein de l’Autorité de régulation des marchés publics (ARMP), va per- mettre d’appuyer cette initiative, de faciliter rapidement le développement des projets PPP, au niveau central, mais aussi au niveau des collectivités territoriales’’, conclut l’économiste.

PAPA SAMBA DIOUF (RESPONSABLE COMMUNICATION AUCHAN RETAIL SÉNÉGAL)

“Actuellement, nous avons évacué la direction et tout pour des raisons sécuritaires’’

Pour ne pas mettre son personnel français en danger, face à la détermination des manifestants, toute la direction d’Auchan a été évacuée. C’est ce qu’a avoué à “EnQuête’’ le responsable de la communication d’Auchan Retail Sénégal, Papa Samba Diouf.

A uchan est le groupe français sur lequel les manifestants ont le plus déversé leur colère, en pillant presque tous les magasins où la sécurité n’arrivait pas à maitriser la foule. Plus d’une dizaine de magasins ont été pillés. Le ministre du Commerce parle de 21 grandes et moyennes surfaces pil- lées. Que douze (12) stations essence Total ont connu le même sort. De Point E à Malika, en passant par Gibraltar, HLM, Castors, Scat Urbam 2, Liberté 5, Soprim, Mbour et Keur Massar. “Dans d’autres magasins, ils ont tenté d’y entrer, heureusement que les forces de l’ordre sont arrivées à temps. Nous

avons renforcé la sécurité au niveau de tous les magasins Auchan du Sénégal. A Yoff, il y a des éléments des forces de l’ordre qui y sont posi- tionnés et qui assurent la sécurité de la zone. Actuellement, nous avons évacué la direction et tout pour des raisons sécuritaires. Tous les maga- sins pillés étaient fermés. Les rideaux étaient baissés, les portes fermées. Les manifestants ont cail- lassé d’abord l’extérieur des magasins avant de forcer les grilles et portes de sécurité’’, confie le responsable de la communication d’Auchan Retail Sénégal, Papa Samba Diouf.

Après le passage des manifestants, les responsables d’Auchan se sont rendus dans les magasins, afin d’évaluer tout ce qui s’est

passé, les dégâts matériels, notam- ment. “Pour le moment, on ne peut pas donner objectivement des chiffres. Mais ce qui sûr et certain, ce sont des centaines de millions de francs CFA. Parce qu’il y a des magasins qui ont été saccagés, certains pillés. Le magasin des HLM n’existe plus. Ils ont tout pillé jusqu’aux moteurs des climatiseurs, des réfrigérateurs, les caisses, ont pris de l’argent. Et même à Auchan HLM, ils ont pris de l’argent dans le coffre-fort. C’est un magasin fantôme aujourd’hui’’, précise M. Diouf.

Regrettant le comportement de ses compatriotes, Papa Samba Diouf affirme qu’Auchan est un “patri- moine sénégalais’’. Car le groupe

français emploie plus de 1 760 collaborateurs. “Ce sont des pères et mères de famille qui travaillent dignement, qui gagnent honnêtement leur vie au sein d’Auchan Sénégal. Nos fournisseurs aussi, qui sont plus de 600, sont des Sénégalais. Ils nous donnent leurs produits, nous les mettons en rayon pour les distribuer. Ce sont des Sénégalais lambda, l’agriculteur, tout un chacun qui est impacté. Parce que ces gens-là cultivent, nous envoient leurs produits et nous les

commercialisons. Donc, nous leur avons trouvé un circuit de distribution propice à leurs produits. C’est une économie, une chaine de valeur créée grâce aux magasins Auchan. C’est pourquoi je dis qu’Auchan est un patrimoine sénégalais à conserver et que les gens sachent raison garder. C’est des Sénégalais qui y travaillent. C’est des produits sénégalais qui y sont commercialisés par des entre- prises sénégalaises’’, soutient le responsable de la communication d’Auchan Retail Sénégal.

MARIAMA DIÉMÉ

 

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