L’intransigeance aux commandes
Le roi est en prison, vive le roi ! Oumar Sarr en taule, Cheikh Tidiane Sy devient le nouveau ‘’Khalife’’ du Pds. Cet ancien ministre de la justice puis de l’Intérieur est peint comme un homme fermé, un partisan de la répression et à l’immixtion dans des dossiers judicaires. Ami de Wade et un des bailleurs du Pds dans les périodes de vaches maigres, sa légitimité de coordonnateur intérimaire ne fait pas pourtant pas l’unanimité, parce que n’étant pas parmi les anciens du parti.
À la veille du dernier comité directeur du Parti démocratique sénégalais (Pds), le secrétaire général Abdoulaye Wade a envoyé une note de la France pour demander à Cheikh Tidiane Sy de présider la séance. Pour le moment, les libéraux ne veulent surtout pas parler de remplaçant d’Oumar Sarr, coordonnateur du parti, placé sous mandat de dépôt pour avoir accusé le président de la République d’avoir financé sa campagne avec de ‘’l’argent sale, l’argent de la drogue et de la corruption’’. Il y en a même au Pds qui refuse de parler d’intérimaire. Qu’importe, le fait est que Abdoulaye Wade absent et Oumar Sarr en prison, c’est M. Sy qui est devenu le nouveau ‘’Cheikh’’ de la formation politique, en attendant d’autres développements. Cette nouvelle position a conduit EnQuête à s’intéresser à sa personnalité et sa place au Pds.
Visage fermé et regard perçant atténué par des lunettes transparentes, Cheikh Tidiane Sy est présenté comme un homme de caractère. Il est difficile de surprendre le moindre relâchement de ses traits faciaux, toujours rigides. Parmi les dizaines, voire centaines de photos qui circulent sur Internet, il n’y a pas une seule où il esquisse un sourire. Les différents témoignages révèlent un homme dur, un partisan de la répression. Ce qui lui avait valu d’ailleurs le surnom de ‘’faucon de Wade’’. ‘’Cheikh Tidiane Sy est assez difficile. Le contact n’est pas très facile avec lui. Il n’est pas forcément tendre avec les dissidents et les contestataires. Il est très autoritaire et intransigeant’’, affirme Marie Mbengue, ancienne responsable du Pds. ‘’Il est rigide dans ses convictions. Ce n’est pas un homme de dialogue, ni de consensus’’, ajoute un responsable de premier plan du Pds sous couvert de l’anonymat.
Des propos que corroborent au moins deux incidents connus du grand public. En 2011, ce natif de Saint-Louis était ministre de la justice dans le gouvernement dirigé par Souleymane Ndéné Ndiaye. Le climat politique était alors délicat à cause de la candidature à un troisième mandat de Me Wade jugée anticonstitutionnelle. Le 18 mars, Cheikh Tidiane Sy, Garde des Sceaux, surprend les Sénégalais par une annonce d’un projet d’une prise de pouvoir par les armes. C’est le fameux ‘’coup d’Etat de minuit’’ supposé être fomenté par des jeunes opposants parmi lesquels Thérèse Faye Diouf, actuelle directrice de la Case des tout petits.
Au bout de 48 heures d’investigations, les tenants du pouvoir étaient obligés de le désavouer. Le porte-parole de la Présidence, Serigne Mbacké Ndiaye, ainsi que celui du gouvernement, avaient repris presque le même communiqué pour le démentir de manière formelle. «Aucun élément de l’enquête ne permet de dire avec certitude qu’il s’est agi d’un complot ou d’une quelconque tentative de coup d’Etat’’. Il sera contraint de démissionner car les partisans de la majorité estimaient, selon les termes de l’un d’eux, qu’avec ce monsieur, ‘’les Sceaux ne sont pas bien gardés’’. Le jeudi 5 mai 2011, il remit sa lettre de démission à Wade à la fin du conseil des ministres. C’était aussi dans un contexte où les magistrats avaient paralysé le système par une grève pour réclamer de meilleures conditions de travail et surtout plus d’indépendance.
Il prend un journaliste pour un RG
Le 15 octobre 2015, le Pds tenait une conférence de presse au sujet de l’affaire Modou Diagne Fada (meneur d’une fronde au Pds). Un journaliste arrivé en retard et n’ayant pu trouver une place pour s’asseoir, relate le journal L’AS, s’est donc arrêté à la porte pour suivre les prises de parole. L’ancien ministre de l’Intérieur et ex-conseiller de Mobutu (1988-1990) l’a alors pris pour un membre des renseignements généraux. Il l’a apostrophé en lui intimant l’ordre de décliner son identité. Non content de cela, l’ex-patron des RG, bien que derrière le présidium, a interrompu la conférence et déclaré de vive voix : « Nous sommes infiltrés, mais cela ne nous empêchera pas de dire ce que nous avons à dire. » Le journaliste allait bouder, n’eût été l’intervention d’un responsable qui le connaît.
Cet homme à la tête chauve est un ancien compagnon et fidèle ami de Me Abdoulaye Wade. Haut fonctionnaire, il a été le directeur général de l’Ecole nationale d’économie appliquée (INEA), dans les années 1970. Ses aptitudes scientifiques ne doivent donc pas souffrir d’un quelconque doute car, avec Senghor, la compétence ne se négociait pas. Il s’y ajoute qu’il a été dans les instances onusiennes, en plus d’être consultant dans des pays africains. Un responsable du Pds raconte que c’est parce qu’il a été frustré par l’ancien président socialiste Abdou Diouf que M. Sy s’est rapproché d’Abdoulaye Wade. En sa qualité d’ami, il aidait le Pape du Sopi dans le financement du parti. ‘’Il contribuait au fonctionnement du parti, sans être militant. Il mettait la main à la poche lors des périodes de vaches maigres’’, reconnaît ce responsable libéral.
Franchise, sincérité et fidélité
Cheikh Tidiane Sy ne fait donc pas partie de cette caste de pauvres d’avant 2000 qui se sont enrichis à la faveur de l’alternance. ‘’Il avait une bonne situation financière, parce que fonctionnaire de haut niveau. Il n’était pas pauvre, pas très riche non plus’’, révèle Marie Mbengue qui souligne au passage que sa première épouse était aussi une universitaire. C’est sans doute ce qui fait de lui l’un des rares responsables qui n’ont pas froid aux yeux devant Wade. Il ose dire à Wade la vérité et donne ses opinions sans sourciller, indique-t-on. Marie Mbengue lui reconnaît la franchise, la sincérité et la fidélité.
Cependant, malgré cette participation financière dans le fonctionnement du Pds, Cheikh Tidiane Sy n’était pas militant du parti. Il était surtout guidé par son attachement à Abdoulaye Wade. Ce n’est qu’après l’alternance qu’il va sortir de l’ombre pour devenir un membre actif. Quant à sa fidélité à Wade, elle sera récompensée une fois ce dernier au pouvoir. En 2005, il est nommé ministre de la justice. Auparavant, il a été président du Conseil régional de Saint-Louis, à la suite des Locales de 2002. Un poste qu’il doit surtout à la volonté de Me Wade. En effet, entré fraîchement en politique à Saint-Louis, il a retrouvé dans le parti des responsables plus populaires que lui dans la vieille ville. C’est le cas notamment d’Ousmane Masseck Ndiaye et d’Ameth Fall Baraya.
‘’Craint et respecté’’
D’ailleurs, un responsable politique du Pds trouve qu’il n’a pas la légitimité de diriger le Pds, parce que ne faisant pas partie des anciens du parti. Toutefois, d’aucuns lui reconnaissent un certain nombre d’avantages sur les autres. Car, au-delà d’être universitaire, il a exercé les fonctions de ministre dans des départements stratégiques. Il a aussi été ministre d’Etat. En sus de tout cela, cet homme de 78 ans est ‘’craint et respecté’’, en plus d’être le plus âgé du parti, après Wade. Il était aussi du groupe restreint qui, autour de Wade, décidait de tout dans le Pds et l’appareil d’Etat. Vers les années 2004, l’opinion parlait de ‘’Goor gui’’ (Wade), ‘’Ngor si’’ (Idy), ‘’Goné-gui’’ (Fada), ‘’Ndawsi’’ (Aminata Tall). ‘’On avait oublié un cinquième larron, ‘’xarit-bi’’ (l’ami, Cheikh Tidiane), parce qu’il était plus discret’’, souffle-t-on. C’est sans doute sur cette poigne et cette familiarité que veut miser le Pape du Sopi pour gérer un parti qui, depuis la perte du pouvoir, ressemble à bien des égards à une auberge espagnole.
Par ailleurs, cet homme sait parfois s’habiller comme un chef religieux. Cependant, il ne doit certainement pas être un exégète de la religion. Mais il a quand même une bonne base dans les études coraniques. Il suffit juste de réécouter les prières d’ouverture formulées lors du congrès d’investiture du candidat du Pds le 23 décembre 2011 (vidéo disponible sur You tube). Il y a certes quelques prononciations incorrectes mais, dans l’ensemble, on note une certaine familiarité avec le b. a. ba de la religion.
En 2008, ce sociologue de formation a donc quitté le département de la justice pour le ministère de l’Intérieur. Un peu plus d’un an plus tard, en octobre 2009, il est sorti du gouvernement pour être nommé par la suite président du conseil d’administration de la Société africaine de raffinage (SAR). Il n’est pas resté longtemps hors du gouvernement. En 2010, le père de Thierno Ousmane Sy est revenu comme ministre de la justice pour étouffer, selon Madiambal Diagne (Le Quotidien du 11 mai 2010), certains gros dossiers comme celui de la LONASE, les rapports de l’ARMP et de l’IGE, la licence de SUDATEL...
Tendance à intervenir dans les dossiers
D’ailleurs, certains magistrats interrogés vont dans le même sens. D’après ces derniers, ‘’sa conception du ministre, c’est celui qui donne des ordres’’. ‘’Du point de vue de la gestion, il avait tendance à intervenir dans les dossiers. Il a voulu même continuer quand il a quitté la justice pour l’Intérieur’’, soutient un interlocuteur. Des thèses qui vont à l’encontre de celle d’un membre du Sytjust qui le présente comme ‘’le meilleur ministre de la justice du Sénégal’’. Les juges, eux, retiennent de lui celui qui n’a posé aucun acte majeur, ni dans le sens positif, ni dans le sens négatif. Bref, pour reprendre l’expression de l’un d’eux : ‘’Il a dirigé administrativement la justice’’. Mais avec sa nouvelle position, il lui faudra plus qu’une gestion administrative pour remettre sur les rails un Pds à la dérive.
BABACAR WILLANE