Les nouveaux « gladiateurs » de l’arène médiatique

Le débat public sénégalais, autrefois marqué par des joutes oratoires nourries et des confrontations d’idées, semble aujourd’hui s’enliser dans la médiocrité. Entre attaques ad hominem, polémiques stériles et postures clivantes, l’espace politique peine à produire des figures capables d’élever le débat. Pourtant, deux hommes politiques, bien que distincts par leur affiliation partisane, se démarquent par leur rigueur intellectuelle, leur éloquence et leur capacité à privilégier l’argumentation aux invectives : Amadou Ba (Pastef/Les Patriotes) et Pape Malick Ndour (APR).
L’un, jeune député brillant, juriste aguerri, incarne la nouvelle génération de Pastef, portant une parole structurée et une maîtrise rare des questions constitutionnelles. L’autre, économiste chevronné, ancien ministre et président de conseil départemental, défend avec verve les réalisations de l’ancien régime tout en maintenant un niveau de débat élevé. Opposés politiquement, ils partagent une même exigence : celle de substituer la réflexion à la polémique, la cohérence à la démagogie.
Amadou Bâ, député et membre de la mouvance présidentielle, s’est très tôt distingué par son verbe facile et sa maîtrise des questions constitutionnelles. Un contradicteur redoutable mais jamais complaisant, il se distingue par son calme olympien et sa préférence pour l’argumentation solide plutôt que pour les attaques personnelles. Très à l'aise en français comme en wolof, il mise sur la substance plutôt que sur les débats superficiels, les exemples concrets plutôt que sur les digressions inutiles.
Récemment, alors que certains cadres de Pastef appelaient au boycott du groupe GFM suite aux « insultes » du chroniqueur Badara Gadiaga contre lui et Ousmane Sonko, le parlementaire a choisi une autre voie. Au lieu de suivre cette interdiction populiste, il a accordé une longue interview à L'Observateur (quotidien du groupe GFM). Ce face-à-face lui a permis de revenir en détail sur la proposition de loi interprétative sur l’amnistie, un texte qu'il porte depuis plusieurs semaines. Il a déployé une véritable campagne de communication autour de cette proposition, multipliant les interventions médiatiques et les publications sur sa page Facebook afin d’expliquer ses positions.
Face à la polémique suscitée par cette proposition, Amadou Bâ a présenté plusieurs amendements pour tenter d’en clarifier la portée. Prévu pour un vote le 2 avril 2025, le texte a suscité de vives protestations et des appels à manifester.
Mais loin de se limiter à cette question, le député s’attaque à d'autres chantiers législatifs. Parmi ses propositions figurent une loi sur le foncier visant à interdire toute délibération foncière dans des zones stratégiques afin de lutter contre la spéculation, ainsi qu'une modification terminologique sur les finances publiques. Il propose notamment de remplacer l’expression « deniers publics » par « deniers du Peuple » ou « deniers de la Nation » afin de souligner que ces fonds appartiennent avant tout aux citoyens.
Le natif de Thiès ne compte pas être un parlementaire passif. Son activisme contraste fortement avec un autre député et un autre Amadou Bâ, ancien Premier ministre et candidat malheureux à la présidentielle de 2024. Ce dernier semble être éclipsé par l'autre. Légalement, il a été élu député suppléant lors des législatives de 2022 et a pris la place de Birame Soulèye Diop lorsque celui-ci a été nommé ministre. Son rôle fut encore plus crucial lors de l’élection présidentielle de 2024, où il a été le mandataire du candidat Bassirou Diomaye Faye.
Son aisance médiatique et son expertise en droit en font une figure incontournable du Pastef. Militant de la première heure, il a occupé la tête de liste du parti à Thiès au dernier scrutin en novembre 2024. Il nourrissait de grandes ambitions pour l'hémicycle, qu’il estimait avoir besoin d’une « cure de jouvence ». Juriste de formation, il est titulaire d'un DEA obtenu à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar et a poursuivi ses études en France à l’Université de Reims. Pendant 20 ans, il a vécu dans l'Hexagone, où il s’est investi dans l’accompagnement juridique des demandeurs d’asile, des sans-abris et des jeunes en situation de précarité.
Ces années d’engagement auprès des plus démunis lui ont donné une perception affinée des inégalités, tant en Afrique qu’en Occident. Lui-même le dit : « Cela m’a permis de comprendre toutes les difficultés de l’Afrique et des autres pays sous-développés. » Flegmatique, de taille élancée et au regard perçant, il est imperturbable face aux critiques. Lorsqu’il est attaqué sur sa personne, il répond soit par le silence, soit avec une courtoisie qui désarme ses détracteurs.
Avec une vision ancrée dans la justice sociale et le développement du pays, il continue de tracer son sillon au sein de l’Assemblée et au-delà.
Pape Malick Ndour : le nouveau fer de lance de l’opposition
Depuis la chute du régime de Macky Sall, peu de figures du camp présidentiel déchu ont su maintenir une présence aussi active sur la scène politique que Pape Malick Ndour. L’ancien ministre de la Jeunesse s’est illustré par une implication continue dans l’espace public, prenant le flambeau des marrons-beige à un moment où la majorité des cadres de l’Alliance pour la République (APR) ont préféré se terrer face à la montée en puissance de Pastef.
Pape Malick Ndour n’est pas un novice en politique. Avant la défaite de l’APR aux élections présidentielles de 2024, il était déjà une figure incontournable des débats publics. Pourtant, il était souvent éclipsé par d’autres porte-parole du régime, comme Seydou Guèye ou Pape Mahawa Diouf, qui captaient davantage l’attention médiatique. Aujourd’hui, en l’absence de ces ténors, il occupe une place centrale dans le camp de l’opposition.
Régulièrement invité sur les plateaux de télévision, il est devenu un ardent défenseur du bilan de Macky Sall et un contradicteur redoutable du nouveau pouvoir. Ses interventions, marquées par une solide maîtrise des dossiers économiques et budgétaires, lui confèrent une crédibilité que peu d’opposants parviennent à égaler. Son camarade de parti, Mouhamed Faye, souligne que Pape Malick Ndour « a toujours aimé participer à des débats riches en politique, économie et développement », une passion qui transparaît dans chacune de ses prises de parole.
Une voix imposante contre les accusations du FMI et de la Cour des comptes
L’un des dossiers les plus sensibles sur lesquels Pape Malick Ndour s’est positionné ces derniers mois concerne les révélations du Fonds monétaire international (FMI) sur une supposée dette cachée de 7 milliards de dollars sous le régime de Macky Sall. L’ancien ministre a vivement contesté ces accusations, affirmant que le rapport de la Cour des comptes était « infondé et partial » car il n’aurait pas respecté « le principe du contradictoire », privant ainsi les anciens responsables de la possibilité de défendre leur gestion.
Lors d’une interview sur France 24, il a réaffirmé sa position : « Ce sont des accusations infondées et mensongères. » Selon lui, les difficultés économiques actuelles du Sénégal ne sont pas dues aux choix budgétaires du précédent gouvernement, mais à des erreurs de gestion du nouveau régime.
Dans un contexte où le débat public est souvent marqué par des postures populistes, Pape Malick Ndour se distingue par une approche plus technique. Économiste de formation, il privilégie l’argumentation chiffrée et documentée, ce qui le rend difficile à contredire sur les sujets liés aux finances publiques. Contrairement à d’autres figures politiques qui préfèrent les polémiques stériles, lui choisit de camper son discours sur des thématiques substantielles.
Un parcours politique et académique impressionnant
Né en 1984 à Mbadakhoune, dans la région de Kaolack, il a gravi les échelons de la politique sénégalaise avec une ascension fulgurante. Il est, à ce jour, le plus jeune président de Conseil départemental de l’histoire du Sénégal.
Son engagement politique remonte à ses années étudiantes. Titulaire d’un Master 2 en économie, avec une spécialisation en économie monétaire, financière et bancaire à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), il s’est très tôt intéressé aux questions de finances publiques. Il a également obtenu une maîtrise en analyse et politique économique à l’UCAD. Cette expertise lui a permis d’intégrer le ministère de l’Économie et des Finances, où il a contribué à plusieurs travaux stratégiques.
Sur le plan politique, il a été Coordonnateur National Adjoint et Porte-parole du Mouvement des Élèves et Étudiants Républicains (MEER). Membre fondateur de l’APR, il est également un responsable actif de la Coordination des Jeunesses Républicaines (Cojer) et un cadre influent dans le département de Guinguinéo. Depuis décembre 2008, il milite sans relâche au sein de l’Alliance pour la République.
Une nouvelle figure de l’opposition face au pouvoir en place
Dans un paysage politique sénégalais en recomposition, où l’opposition peine à structurer une riposte efficace face au gouvernement de Bassirou Diomaye Faye, Pape Malick Ndour apparaît comme l’une des rares figures capables de mobiliser et d’incarner un discours cohérent.
Contrairement à d’autres anciens dignitaires du régime de Macky Sall, qui ont choisi la prudence, il n’hésite pas à affronter directement le pouvoir en place. Il dénonce régulièrement ce qu’il considère comme des manipulations du gouvernement actuel, notamment sur les réalisations économiques du précédent régime. À chaque intervention, il rappelle que c’est sous Macky Sall que le Sénégal est sorti du groupe des 25 pays les moins avancés.
Son franc-parler et sa capacité à argumenter avec rigueur font de lui un acteur incontournable du débat public. Régulièrement vêtu d’une chemise et d’une cravate, ou d’un blazer décontracté, il cultive une image d’homme sérieux et accessible. Son aisance sur les sujets économiques lui confère un avantage indéniable dans une opposition qui manque cruellement d’experts dans ce domaine.
Pour beaucoup d'observateurs, s'il continue sur cette lancée, il pourrait bien s’imposer comme l’un des leaders de la future opposition sénégalaise. Dans un contexte où le débat politique est souvent réduit à des attaques personnelles, il privilégie la substance et la clarté des idées.
Face à un gouvernement qui cherche encore ses marques, il se positionne déjà comme un sérieux contradicteur. Reste à voir s’il parviendra à fédérer autour de lui une opposition encore en quête de repères. Mais une chose est sûre : avec son énergie et son expertise, il est bien parti pour jouer un rôle clé dans les années à venir.
Amadou Camara Gueye