Le dialogue de l’espoir
Pour que le dialogue, qui sera lancé aujourd’hui au Centre international de conférences Abdou Diouf de Diamniadio ne soit pas un dialogue de plus, différents acteurs de la société civile tracent la voie et déclinent leurs attentes.
Des dialogues sur le fonctionnement de la justice, il y en a eu beaucoup. Mais rarement ils n’ont suscité autant d’espoir. Considérés par beaucoup, à tort ou à raison, comme des victimes eux-mêmes de la justice à double vitesse, le président de la République et son Premier ministre engagent le premier point de la réforme majeure qu’ils promettent en ce qui concerne le fonctionnement des institutions. Tout en saluant l’initiative, le président du think thank Afrikajom Center, Alioune Tine, exhorte : ‘’Il y a eu effectivement beaucoup de concertations. Il faut maintenant qu’on avance. Je pense que dans le cadre de la rupture et de la réforme des institutions, ce gouvernement n’a pas droit à l’échec. Il est tout à fait heureux de les voir entamer la nécessaire réforme des institutions par le secteur névralgique de la justice. Cela montre, à mon avis, qu’ils ont pleine conscience de ce qu’ils ont à faire.’’ Pour Alioune Tine, ‘’il faut définitivement mettre un terme à la justice du ‘kumba am ndey et de kumba amoul ndey’ (justice à double vitesse)’’, pour éradiquer le sentiment d'injustice qui a fini d’habiter une bonne partie des citoyens.
De l’avis du doyen, Sonko et Diomaye n’ont guère le choix. ‘’C’est à eux de voir s'ils veulent une rupture systémique ou s'ils veulent faire comme tous les autres. S'ils font comme tous les autres, ils auront la sanction comme tous les autres l'ont eue. Si on leur a donné une légitimité aussi forte, c'est pour leur dire : changez-nous le Sénégal, en dépit des forces de résistance au changement qu’ils peuvent rencontrer. Je pense qu’ils sont bien conscients de ces aspirations du peuple qui les a portés au pouvoir’’ met en garde M. Tine.
Le même espoir semble habiter Elimane Haby Kane, coordinateur de la plateforme MESURe (Mobilisation nationale pour l’engagement citoyen, la souveraineté, l’unité et la refondation) qui, dans un document intitulé ‘’64 mesures pour un Sénégal souverain et solidaire dans la prospérité durable’’, avait préconisé des réformes sur plusieurs secteurs, dont la justice. À la question de savoir s’ils seront à Diamniadio pour le dialogue, il rétorque avec le sourire : ‘’Non, parce que je n’ai pas été invité.’’ Cela dit, Elimane a bon espoir sur une prise en charge efficace des réformes tant souhaitées. ‘’Si ce dialogue est convoqué maintenant, à moins de 100 jours de la prise effective du pouvoir par les nouveaux tenants du régime, je pense que c'est pour répondre à une pression forte, venant de personnes qui ont partagé avec eux les mêmes difficultés à cause des dysfonctionnements de la justice. Le président de la République lui-même et son Premier ministre ont vécu ces dysfonctionnements. Je pense que ce facteur psychologique est important et a dû influer sur l’érection de ce secteur en priorité parmi les priorités’’, commente le président de Legs (Leadership, éthique, gouvernance et stratégies) Africa, espérant que le nouveau régime ira jusqu'au bout.
‘’Il y a toujours eu des assises, mais…’’
Embouchant la même trompette, Moundiaye Cissé, tout en saluant l’initiative, tient à souligner que c’est certes un pas important, mais pas le plus déterminant. ‘’Ce qui est nouveau à mon avis, s’il doit y avoir nouveauté, ce ne sera pas le fait de tenir ces assises. La nouveauté, ce sera non seulement de les tenir, mais surtout que les conclusions soient appliquées. Des assises de la justice, il y en a toujours eu, des recommandations fortes ont toujours été faites, mais elles n’ont pas été suivies d’effet. C’est donc notre attente principale et nous avons bon espoir que ce ne sera pas simplement des assises de plus’’.
L’objectif principal, selon lui, c’est de faire en sorte que ce dialogue ‘’apporte une valeur ajoutée à notre système judiciaire’’. ‘’Il faudrait une réelle séparation entre les pouvoirs, mais aussi une réelle séparation des pouvoirs au sein de l’institution même judiciaire ; que le procureur ne soit plus l’omnipotent ; qu'il y ait par exemple un juge des libertés pour veiller sur le respect des droits des citoyens. Cela nous semble important’’, indique le directeur exécutif de l’ONG 3D.
À en croire Elimane Kane, la méthodologie est importante pour que ce dialogue ne soit pas comme les précédents. ‘’Il faut que ce dialogue aboutisse à une véritable feuille de route, avec des actions clairement identifiées, un calendrier de mise en œuvre bien élaboré, jusqu'au format de la mise en œuvre. C'est-à-dire si cela requiert des réformes constitutionnelles, des réformes de la loi... Je pense qu’il faut surtout aller dans ce sens’’, plaide M. Kane, très optimiste.
Relativement aux différentes réformes attendues, nos interlocuteurs ont surtout mis l’accent sur le Conseil supérieur de la magistrature, le statut du parquet… En ce qui concerne le Conseil supérieur de la magistrature, la tendance, c’est surtout la sortie de l’Exécutif du conseil et le renforcement des magistrats élus. Alioune Tine déclare : ‘’Je pense qu'il faut éviter que la majorité des membres du conseil soient issus de l'Exécutif. Ça, c’est très important. Aussi, la présence du président de la République doit être revue, à mon avis, parce que tant qu’il sera là, il aura une certaine influence sur les délibérations. L’Exécutif peut certes être là, mais qu’il soit représenté par un fonctionnaire du ministère de la Justice, par exemple.’’
Sur ce point, Moundiaye Cissé appelle de tous ses vœux à des réformes, mais n’a pas de point de vue tranché. ‘’La composition et le fonctionnement du conseil doivent être revus. On ne dit pas qu’il faut que l’autorité sorte, mais qu’on réfléchisse sur la meilleure formule. Je pense que c’est essentiel pour une justice véritablement indépendante’’.
Dans le cadre de l'initiative MESURe, Elimane Haby Kane et ses amis se sont déjà penchés sur le secteur de la justice. L’une des recommandations fortes, c’est de remplacer le Conseil supérieur de la magistrature par une Haute autorité de la justice et de l’intégrité, composée de manière multipartite et paritaire par des représentants de magistrats, d’universités, du Haut conseil des collectivités territoriales et du Conseil économique, social et environnemental. Laquelle autorité devrait être présidée par un magistrat élu par ses pairs. Cela permettrait, selon lui, non seulement de rendre au conseil son autonomie tout en évitant, par l’ouverture, un gouvernement des juges.
La mise en place d’une Haute autorité de la justice et de l’intégrité proposée
S’il y a une chose sur laquelle tout le monde s’accorde, c’est la nécessité de se réunir pour voir comment réformer le secteur de la justice qui souffre de plusieurs maux, selon les acteurs de la société civile. ‘’Ce que nous souhaitons de tout notre cœur, c'est d'en arriver à l'effectivité de l'indépendance de la justice, la finalité étant de garantir l'égalité entre tous les citoyens, qu'il y ait un traitement équitable des justiciables’’, soutient Elimane rappelant les multiples récriminations dont ceux de l’Union des magistrats sénégalais, les démissions dont celle du juge Dème pour souligner qu’il y a un vrai problème, sans parler de l’immixtion de la politique dans le fonctionnement de la justice. L’affaire Ngor Diop étant là pour le rappeler.
Par ailleurs, nos interlocuteurs plaident également pour une plus grande autonomie des magistrats du parquet vis-à-vis de la tutelle, mais aussi pour l’accessibilité de la justice. Alioune Tine : ‘’Il faut couper le cordon ombilical entre le procureur qui est sous l'autorité du ministère de la Justice qui est lui-même sous l'autorité du président de la République. Le procureur est un magistrat comme le juge ; il faut lui laisser son indépendance, son impartialité et surtout qu'il ait le soin de décider en toute conscience.’’
Afin de matérialiser tous ces défis, le président d’Afrikajom Center a plaidé une augmentation du budget du ministère de la Justice. ‘’Pour que la justice soit efficace, il faut qu'elle soit aussi accessible. Pour cela, il faut des moyens. Jusque-là, on est à moins de 1 % du budget national. Or, d'après les Nations Unies, on devrait avoir au moins 3 % du budget alloué à la justice. Cela permettrait de recruter plus de magistrats. On a aujourd'hui la moitié des magistrats qu'on devrait avoir. Il nous faut aussi plus d'avocats, pour que les populations puissent avoir accès à un avocat où qu'elles se trouvent’’.
MOR AMAR