Publié le 8 Mar 2023 - 22:22
RÉVÉLATION DE SCANDALES

La nouvelle stratégie des hommes politiques

 

Autrefois sources privilégiées des journalistes, les hommes politiques s’érigent de plus en plus en ‘’révélateurs’’ de scandales pour leur propre promotion politique, parfois au détriment de l’efficacité et de l’impact.

 

Les scandales, vrais ou faux, sont devenus l’outil de promotion par excellence des hommes politiques. À chaque leader son dossier. Si Ousmane Sonko a été l’un des précurseurs à travers notamment l’exonération des députés, le pétrole et le gaz, ainsi que l’affaire du titre foncier 1451/R, d’autres hommes politiques, en quête effrénée de gloire et de notoriété, n’ont eu de cesse de s’engouffrer dans la brèche. Le dernier en date, c’est l’ancien Premier ministre Hadjibou Soumaré, qui a marqué de manière fracassante son retour dans le Game politique, avec l’affaire des 12 millions d’euros de financement que Macky Sall aurait donné à une personnalité politique française, Marine Le Pen, selon beaucoup de Sénégalais. Dans le même temps, le leader de la coalition Gueum Sa Bopp, Bougane Guèye Dani, refuse de lâcher le dossier des 98 milliards du ministère chargé des Transports.

 Il ne se passe pas un jour, depuis une semaine, sans qu’un journal de la place revienne à la charge pour tirer sur le régime avec une jolie photo du politicien businessman.

 Mais qu’est-ce qui fait donc courir les hommes politiques ? Est-ce simplement une volonté de lutter contre la mal gouvernance ? Sont-ils uniquement mus par les visées de politique politicienne en préférant divulguer eux-mêmes ces informations au lieu de sourcer des professionnels de l’information ? À qui profitent ces nouvelles façons de faire des hommes politiques ?

Pas mal de questions qu’’EnQuête’’ a posées à certains analystes politiques pour en percer le mystère.

Du point de vue de la motivation, les raisons sont multiples. Elles peuvent aller de la lutte contre les scandales à une simple quête de gloire ou tout ça à la fois. Spécialiste des sciences de l’information et de la communication, Dr Moussa Diop appréhende le phénomène sous deux angles.

‘’D’abord, souligne-t-il, sous l'angle de l'adoption de certaines logiques et modes d'action que l’on connaissait surtout aux lanceurs d'alertes. Des méthodes qui allient recherche et dénonciation d'un problème ou d'un scandale qui touche à l'intérêt public, pour ensuite l'inscrire durablement dans l'agenda médiatique. Une sorte de "Name and Shame". Cela dit, il faut noter qu’un lanceur d'alerte ne ment pas, même s’il peut être manipulé ou induit en erreur’’.

D’un autre côté, il évoque ce qu’il appelle ‘’l'inscription des pratiques politiques dans une logique de crétinisation généralisée du débat public ou de stratégie de détournement de l'opinion publique. Dans cette perspective, pense-t-il, certains peuvent avoir des stratégies fondées sur la diffusion de Fake-news, de contrevérités, dans le but de polluer, orienter le débat public dans un sens ou dans un autre’’.

‘’Les peuples ont soif de transparence…’’

Pour sa part, le journaliste, titulaire d’un Master en communication politique, Chimère Junior Lopy, estime que la finalité, c’est principalement la volonté de se positionner. ‘’Actuellement, soutient-il, les peuples ont soif de transparence et c'est pourquoi toute révélation ayant trait avec des malversations financières, suscite l’intérêt et des polémiques. C’est pourquoi les hommes politiques n’hésitent pas à surfer dessus. Cela leur permet non seulement de se faire connaitre davantage auprès des populations, de se positionner en alternative, mais aussi de gagner du crédit. La politique, c'est aussi le crédit et la popularité pour atteindre ses objectifs électoraux’’.

En matière de stratégie politique, cette forme de communication peut s’avérer particulièrement efficace pour les raisons susvisées par M. Lopy. Mais il ne s’agit pas simplement de débiter n’importe quoi et n’importe comment. Si Ousmane Sonko a pu en tirer grand profit, d’autres essaient de lui emboiter le pas, mais sans grand succès.

C’est que, estime le journaliste, spécialiste en communication politique, il y a un minimum de prérequis pour convaincre. D’abord, la crédibilité du révélateur ; ensuite, son honnêteté et sa personnalité, mais surtout, il doit s’assurer du caractère béton de l’information. Chimères Lopy : ‘’C'est une forme de communication qui peut être très risquée, comme elle peut très payante, si les infos qu'on donne sont fiables. Parce que ces révélations affaiblissent le pouvoir et renforcent le révélateur. Je pense que c’est l’avance de Sonko sur beaucoup d’autres. D’abord, il a un parcours plus ou moins exemplaire, ensuite, il donne souvent des informations fiables’’.

Une forme de communication très risquée

Autrement, les effets peuvent aussi être dévastateurs, surtout dans un contexte marqué par ce qu’il est convenu d’appeler la ‘’Var’’. De l’avis du journaliste communicant, avec cette forme de communication, l’auteur peut ainsi très vite passer de héros à zéro. ‘’Il est un héros, si les infos sont fiables. Mais il peut passer pour un bouffon, si les infos sont fausses. Avec l’effet amplificateur des réseaux sociaux, on devient la risée sur la toile’’.

Dans la même veine, le journaliste met en garde contre la malhonnêteté des uns et des autres. Là aussi, il donne un cas pratique. ‘’Le "révélateur", souligne-t-il, doit être sûr qu'il a la primeur de l'info. Or, dans le cas de Bougane avec l’affaire des 98 milliards, le député Birame Soulèye Diop avait déjà parlé de ce dossier. Alors, il s'approprie un dossier dont il n'est pas le premier à parler. C’est aussi mauvais de vouloir forcer les choses et parfois c’est ce qu’on sent chez certains hommes politiques. On active tout un arsenal, alors que les choses doivent être naturelles. C’est quelque chose de divin, parfois’’.

Cela dit, la pire des choses pour un politicien qui essaie de jouer au lanceur d’alerte, c’est de se faire démentir. Comme Bougane Guèye Dani dans l’affaire dite du nombre de neurochirurgiens au Sénégal. ‘’C’est le plus grand risque : donner une fausse information, se faire démentir. Dans ce cas, le révélateur va perdre en crédibilité et en cote de popularité. C’est ce qui est arrivé à Bougane. Il y avait laissé beaucoup de plumes. Et cela laisse des séquelles, les gens prennent toujours avec des pincettes tes déclarations. C’est d’ailleurs aussi valable pour les journalistes’’.

La crétinisation du débat et la tendance des hommes politiques à désacraliser eux-mêmes les institutions qu’ils peuvent incarner demain

Autrefois sources privilégiées des professionnels de l’information, les hommes politiques, activistes et autres membres de la société civile tentent de plus en plus de concurrencer ces derniers dans leur métier d’informer le public. Si les uns tentent de se justifier par la perte de crédibilité de la presse, il n’en demeure pas moins que l’hypothèse la plus plausible reste la quête de gloire. Ce qui est, au demeurant, de bonne guerre.

Hélas, la portée de l’information peut s’en trouver largement altérée. ‘’Je pense que souvent, la manière dont les débats sont posés est biaisée. S'il y a un avantage, ce serait une pression temporaire ou permanente sur les opinions publiques qu'on dresserait contre un camp et en notre faveur. Les limites sont surtout la crétinisation du débat public, un désenchantement progressif du politique qui, selon beaucoup, se limite au ‘xooti woorma bi wor’ sur les institutions, ainsi que ceux qui les représentent (désacralisation des institutions et ceux qui les incarnent’’.

À son avis, le marché politique est en train de se transformer, sous le joug des pratiques informatives, communicationnelles et participatives liées aux plateformes numériques. ‘’Ces plateformes inscrivent l'action politique, la séduction et la communication politique dans une temporalité et une logique différentes. Conséquences : horizontalité, instantanéité, défiance des citoyens vis-à-vis des personnalités publiques et des institutions’’.

Pour Chimère Lopy, il est évident que le journaliste doit se réinventer, essayer de reprendre la main, dans ce contexte où la concurrence arrive de toutes parts. ‘’Les journalistes, dit-il, doivent se remettre en question, voir s'ils sont vraiment en train d'accomplir leur rôle. En plus de l’opacité qui règne dans les administrations, ils n’ont pas toujours la confiance de certaines personnalités comme Sonko ou Hadjibou Soumaré. Il faut travailler à avoir la confiance des sources’’.

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