Commission et ''ibadous'' au banc des accusés
Une fois de plus, on aura au Sénégal un Ramadan à deux vitesses, alors qu'une commission a été créée pour éviter ces impairs. Le sujet divise les Sénégalais. D'aucuns font le procès de la commission d'observation du Croissant lunaire, d'autres indexent les ''ibadous''. EnQuête expose les avis des uns et des autres.
Les années se suivent et se ressemblent au Sénégal. Les musulmans ont commencé le jeûne en rangs dispersés. Une frange de la population a débuté le Ramadan hier, tandis que la majorité entre aujourd'hui dans le mois béni. Au cœur du problème : ''le croissant lunaire''. Se pose dès lors la question de l'utilité de la commission d'observation du croissant lunaire.
''Dissoudre la commission''
Cheikh Ndiaye est assis à côté de la porte de sa pharmacie. Teint noir, le trentenaire lit attentivement son journal. Il n'a pas encore commencé le jeûne et n'apprécie pas le fait qu'il continue à y avoir un ramadan à deux vitesses. Si le problème n'est pas résolu jusqu'à ce jour, c'est selon lui la faute à la commission. ''Elle ne s’intéresse qu'aux intérêts politiques, au lieu de régler le problème de la religion. Comment se fait-il que depuis son existence, les musulmans continuent à faire deux ramadans, deux Tabaski et deux korité, voire trois. Tout cela signifie qu'elle ne fait pas un travail sérieux'', fustige-t-il. Aliou Ndoye, mécanicien, va plus loin. ''Il faut que l'on arrête de se voiler la face. Le rôle de la commission est d'apporter de l'ordre dans les nombreuses pratiques des musulmans concernant les fêtes et autres. Mais nous avons l'impression qu'elle n'existe même pas. Il y a trop de désordre et ce n'est pas normal'', assène-t-il. Le musulman, poursuit-il, doit se baser sur l’apparition du croissant lunaire, pour débuter son jeûne. ''La commission est chargée de faire ce travail. Mais lorsqu'on les appelle pour les informer d'une quelconque apparition, ils ne vous écoutent pas. Ce qui n'est pas normal. Cela crée les divergences. Je crois qu'il vaut mieux dissoudre cet organisme qui ne vaut rien'', peste Aliou Ndoye.
Oulimata Ly est comptable dans une banque de la place. Tête bien faite, un maquillage discret, elle est très bien habillée. Cette dame n'a pas attendu la commission pour débuter le jeûne. ''Je ne sens pas l’existence de la commission. Chaque année, je commence le ramadan dès que mon papa me dit que la lune est apparue. La commission ne fait qu'induire les gens en erreur. Je fais plus confiance à mon père qu'à la commission'', dit-elle.
Point de vue sur les ''ibadous''
Ailleurs, à l'université Cheikh Anta Diop, les avis divergent. Ramatoulaye pointe du doigt les ''ibadous''. L' étudiante en Licence à la faculté des Sciences juridiques ne comprend pas pourquoi ils ne font jamais les choses comme les autres musulmans. ''Je ne sais pas ce qu'ils cherchent. Ils se croient plus croyants et plus pratiquants que nous. Alors que c'est faux. Ils refusent à chaque fois de suivre les instructions de la commission. C'est un manque de respect vis-à-vis des sages qui composent la commission'', dit-elle avec hargne. Embouchant la même trompette, Seydou Coulibaly, étudiant à la faculté de Lettres, demande à ce que le gouvernement fixe un jour, pour le début du ramadan. ''Dans ce cas, nous verrons si ces ''ibadous'' le respecteront où pas. Ce n'est pas sérieux. A chaque fois, ce sont eux qui défient les règles. Ils n'ont vu la lune nulle part. Ils doivent respecter la commission, parce que ce sont des sages et des chefs religieux qui s'y trouvent'', dit-il.
Une thèse que ne partage pas son camarade Almami Touré. Pour lui, tout musulman doit commencer le jeûne si son prochain l'informe de la parution de la lune. ''Il faut, dit-il, que les gens comprennent que chacun est libre de commencer son jeûne quand il le veut. Dès qu'on annonce que la lune est apparue, on doit jeûner. Donc, ni la commission, encore moins les ''ibadous'' ne sont coupables de quoi que ce soit.''