Quand le Ramadan devient œcuménique
Le ramadan n'est pas seulement suivi par la communauté musulmane. Il s'invite dans les familles mixtes de diverses façons : par la faim quand rien n'est préparé, ou par le régal pendant la rupture.
Dans les familles mixtes, observer le jeûne est parfois compliqué. Surtout quand le roi ''repas'' arrive au moment où les ventres sont creux. C'est le cas pour Seynabou Faye. La jeune ''Nabou'' habite Nord Foire avec ses deux parents de confession religieuse différente. Elle éprouve d'énormes difficultés pour observer les rigueurs du jeûne. Non pas parce qu’elle est malade, mais tout simplement qu'elle n'arrive pas à résister au repas de midi. ''Je me réveille tous les jours, depuis le début du ramadan, pour le xëdd. Mon père m'oblige à jeûner, mais je n'y arrive pas. Quand le repas de midi est servi, j'ai du mal à me retenir et je coupe mon jeûne. Ma maman est chrétienne et elle prépare tous les jours. Donc, c'est un peu dur de regarder le repas sans y goûter'', se défend-elle.
De l'autre côté de la maison, la maman Adeline Ndiaye est occupée aux tâches ménagères. Chiffon à la main droite, elle tient un seau rempli d'eau de l'autre. La sueur dégouline de son visage. Le ramadan n'a rien changé à ses habitudes. ''Je suis mariée à un musulman, mais cela ne change rien. Je prépare le repas pour la coupure tous les soirs. Pour le xëdd, c'est ma fille qui s'en occupe. Je ne peux pas me lever à 5h du matin pour préparer et me recoucher'', explique-t-elle.
''Se nourrir uniquement de ''thiakri'', c'est une punition''
Ailleurs à Mermoz-Sacré-Cœur, un calme plat habite la maison des Seck. Dans cette famille, tout le monde est obligé de ''jeûner''. Marie Hélène, Judith, Rose et Audrey, trois jeunes filles catholiques sont contraintes de subir les rigueurs du Ramadan. Les trois sœurs cohabitent avec la famille de leur oncle maternel qui a changé de religion. Leur père, ingénieur affecté à Mbour, a prêté sa maison à l'oncle. Toutefois, sur ordre de Sidy Seck, aucune marmite ne doit bouillir à midi dans la maison.
Le trio se nourrit de 'thiakri'' (couscous mélangé avec du lait). ''J'ai fait 3 ans dans cette famille, avant l'arrivée de mes sœurs. Chaque année, pendant le mois de ramadan, on se nourrit de couscous et de pain avec du lait. Mon oncle a interdit à sa femme de préparer le repas. Nous ne pouvons pas payer tous les jours 8 000 francs pour le repas dans les restaurants, (à 2000 francs le plat). C'est dur, mais on s'y habitue'', confie Marie Hélène. Une thèse défendue par la cadette Audrey. L'étudiante en troisième année à la faculté des Sciences de l'économie et de gestion (Faseg), avait pour habitude de passer tout le mois du Ramadan auprès de sa famille à Mbour et de revenir après la fête de l'Aïd El Fitr. Mais cette année, elle est empêchée par ses examens. ''Ce n'est vraiment pas juste. Nous ne sommes pas obligées de jeûner, parce que nous vivons dans une famille musulmane. Ce que nous faisons, c'est du jeûne. Se nourrir de ''thiakri'', c'est une punition'', laisse-t-elle entendre.
Assis sur un fauteuil du salon, le vieux Sidy égrène tranquillement son chapelet. La soixantaine déjà sonnée, il a les yeux rivés sur la télé. Pour lui, il n'est pas question qu'une odeur de repas encense la maison à midi. ''Nous sommes dans le mois ramadan, je ne sais pas qui a jeûné et qui n'a pas jeûné. Je sais qu'il n'y a pas d'enfants dans la maison. Tout le monde a l'âge et la capacité de jeûner. Donc il n'est pas question que l'on prépare à manger. Il faut respecter le mois béni'', lâche-t-il.
Il est 19h à la Sicap Liberté 6. Nous sommes chez Salif Ngom. Le quinquagénaire vit avec sa famille dans une grande concession où logent également ses deux parents, ses frères, ses sœurs, ses neveux, tous catholiques. À l'heure de la rupture, tout le monde s’attelle à dresser la table. La délivrance est proche. L'ambiance est mouvementée. Dans ce lieu, il est difficile de distinguer le musulman du chrétien. C'est un vrai méli-mélo. ''Nous sommes une grande famille mixte. Il y a tellement d'ambiance du matin au soir qu'on ne sent pas la faim. Tout le monde fait de son mieux pour distraire l'autre. Cela va continuer jusqu'à la fin du Ramadan'', informe Salif le père de famille. Il a apostasié, dit-il, après avoir eu une rencontre avec Serigne Saliou Mbacké. ''Nous vivons dans le partage, la solidarité et la compréhension. Chacun respecte son prochain, parce que nous sommes tous les mêmes. Ici, personne n'aimerait couper son jeûne ailleurs, tellement nous nous entendons et il y a plus d'ambiance à cette heure'', dit Stéphane Ngom, neveu de Salif.
Viviane DIATTA